Saint Joseph ou le mystère de Nazareth

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Homélie de monseigneur Dominique Rey le 19 mars 2014

Voici l’homélie prononcée par monseigneur Dominique Rey lors de la fête de saint Joseph à Cotignac en 2014.

Merci de ne pas la reproduire sans les copyright signalés en pied d’article.

 


 

Durant 30 ans Jésus a vécu au contact d’un homme, Joseph, son père. Son père nourricier. La vie de Jésus et de Joseph va se dérouler dans un hameau de Galilée : Nazareth. Nazareth, un lieu tellement chargé de la présence du Verbe fait chair, qu’on identifiera Jésus à ce village. Matthieu appellera Jésus « Le Nazaréen ».

En fêtant en ce jour Joseph, l’Eglise célèbre aussi le mystère de Nazareth. Ce mystère nous apparaît sous trois traits :

Joseph et la valeur sacrée du silence

D’abord le silence. « Nazareth, c’est le silence » disait Paul VI lorsqu’il se rendit sur place en 1964. Nazareth, c’est le silence de Joseph, j’ajouterais l’intériorité de son silence. Son intensité. Il y a une concentration du silence en ce lieu. A Nazareth, Jésus, la Parole de Dieu, se tait. Jésus n’y prononce aucun discours, n’y délivre aucun message, hormis cette réponse adressée à ses parents inquiets lorsqu’adolescent, ils le retrouvent à Jérusalem parmi les docteurs de la loi : « Il me faut être aux affaires de mon Père » » (Lc 2, 41)

Mais ce silence n’est pas du mutisme. Ce n’est ni une abstention ou une rétention de paroles, c’est un silence habité par une présence : la disponibilité de son âme à la présence du Père qui réclame attention et réceptivité.

A Nazareth, Joseph est le docteur du silence. L’Evangile ne rapporte aucune parole qui n’ait jailli de ses lèvres. Son silence est retrait de toute parole humaine devant La PAROLE de Dieu, manifesté en son Fils. Par son silence, Joseph se recueille devant l’unique et définitive Parole que Dieu a professée en son Fils. Les seuls mots qu’auraient pu exprimer l’entier acquiescement au don qui lui est fait, ont été déjà prononcés par Marie : « Fiat ! Je suis la servante du Seigneur » Et ce consentement de la Vierge est si radical et si pur, que tout autre discours ne pourrait que l’altérer ou le corrompre. Il serait de trop. Alors Joseph se tait.

La foi réclame le silence. Les mots pour la dire s’avèrent vite débiles tant la réalité excède et épuise tout essai d’explication ou d’expression. L’inouï de l’amour offert est tel qu’il rend muet d’admiration et de reconnaissance. Le silence de Joseph est un aveu d’impuissance face à la surabondance de l’amour divin qui a pris, en son fils adoptif, un visage d’humanité. Joseph n’ose plus rien plaider, revendiquer ou justifier tant il est plongé dans l’accueil radical d’un mystère : celui de la paternité de Dieu dont il est le vicaire.

Jésus se cache et se protège dans le silence de Joseph. A Nazareth, il s’y dispose en creux. C’est son milieu nourricier. Il s’y absorbe totalement. Dans ce silence de Joseph, Jésus prospère en humanité. Joseph est la toile vierge sur laquelle Jésus pourra tracer le chemin du salut.

Ce silence de Joseph laissera filtrer pourtant une seule parole. Une parole qui est un ordre reçu « d’en Haut ». Un nom dicté par Dieu, et que Joseph devra répéter puisqu’il revient au père de famille de prononcer le nom de son enfant : « tu lui donneras le nom de Jésus » (Mt 1, 21). Voilà tout ce que l’Evangile a gardé des paroles prononcées par Joseph : « Jésus » fut sa seule prédication.

Joseph nous enseigne la vertu du silence de Nazareth, par son propre silence. Son silence est expression à l’échelle humaine de l’éternel silence qu’il y a en Dieu, dans la pure contemplation de sa vie trinitaire, de laquelle Jésus est engendré et vers laquelle il va retourner. De la sorte, toutes les paroles de Jésus sont ainsi bordées des deux côtés par du silence. Et le silence de Joseph est comme l’irruption du silence infini et éternel d’où vient Jésus, et vers lequel il se dirige.

Dans notre civilisation bavarde et tapageuse, qui a d’autant plus horreur du silence que celui-ci le renvoie à ses vides intérieurs, saint Joseph, témoin du silence trinitaire, éduque notre cœur à la loi exigeante du recueillement et de la contemplation.

Joseph et grâce du quotidien

Joseph ne nous enseigne pas uniquement la valeur sacrée du silence. Il nous parle aussi de la grâce du quotidien. C’est le deuxième trait que nous retenons de lui. « De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bien ? » s’exclament, dubitatifs, les contemporains du Christ.

Comparée aux vastes cités hellénistiques de la Décapole à l’Est et aux capitales méditerranéennes réputées à l’Ouest, Nazareth, à l’époque de Jésus, faisait figure de « trou ». Village inconnu de la province de Galilée, complètement sous-développé. C’est dans ce lieu-dit insignifiant, dans cette contrée marginale que Jésus a vécu et grandi « soumis à ses parents », comme le relève saint Luc (Lc 2, 51).

A Nazareth, la sainte Famille s’est « livrée » aux usages et habitudes de son temps et de son environnement. Plongée dans un univers villageois où tout le monde côtoie et connaît tout le monde, la vie de Jésus, Marie et Joseph se déroule dans la modestie et la routine, dans le train train du devoir d’état, au fil des tâches obscures et dérisoires et répétées. Chaque journée ressemble invariablement à la précédente (à l’exception de quelques fêtes religieuses).

Joseph est la figure emblématique de cet enfouissement dans le quotidien, dans la banalité du quotidien avec son lot de sentiments de vide, d’ennui, de conformisme… Il devient l’otage des contraintes qui bornent ce quotidien, Jésus comme Joseph, comme chacun d’entre nous, éprouve la difficulté d’être le sujet de sa propre histoire.

Redevable vis-à-vis des repères culturels et sociaux de son temps, débiteurs de son éducation et de sa culture, Joseph est l’obligé des attentes, des besoins qui lui viennent de son entourage, de son milieu, de son métier.

Pour chacun d’entre nous, la tentation est grande de rêver ou de fuir hors de ce quotidien, avec l’illusion que le sens de la vie s’élabore dans l’insolite, dans l’extraordinaire ou le magique, en cultivant ou en provoquant des événements ou des expériences qui nous libèrent artificiellement des contingences du quotidien et de son tic-tac monotone.

La vie pourrait-elle être un perpétuel Disneyland en s’exonérant des labeurs et des pesanteurs des jours ? Au contact de Joseph, Jésus assume a contrario le quotidien. Il prend sur lui la finitude de l’homme qui reconnaît que la terre n’est pas encore le ciel et l’éternité, et qui découvre que l’appel infini de Dieu se trouve dans les limites de notre existence et à l’intérieur des contours et des singularités de la vie. Jésus a appris son métier de charpentier comme il a appris son métier d’homme.

A cause de Joseph, il a été engendré à la lecture quotidienne de la Torah, à l’histoire d’Israël, au respect des coutumes liturgiques et des règles morales. Grâce à Joseph, le Verbe s’est fait juif.

Aux côtés de Joseph, il s’est plié aux imprévus de la vie, aux aléas de l’histoire, à l’incognito des mœurs de son temps. Il a été buriné par la modestie des tâches quotidiennes. Aussi on ne plus, après Nazareth, regarder le ciel, mettre nos pas sur le sol, boire ou manger, lire l’Ecriture de la même manière. Les choses et le cosmos ont été transfigurés par l’usage que Jésus en a fait.

Cette sanctification du quotidien pendant 30 ans de vie cachée, nous prémunit de la tentation d’imaginer un salut en dehors de l’Incarnation. Le christianisme n’est pas un spiritualisme, un déisme, une sortie extatique hors de la vie des hommes. Dieu ne va pas sauver le monde sans lui. Dieu ne nous a pas sauvé de l’extérieur, en surplomb, mais en s’immergeant dans l’épaisseur de l’humanité, dans la matière première du quotidien dont il a fait le lieu originel de sa manifestation et de son salut. C’est là que sa mission nous y fixe rendez-vous.

Joseph, l’homme de la vie cachée

Troisième trait de Joseph : il est l’homme de la vie cachée. La vie de Jésus, cachée en Dieu, prend la forme pendant trente ans, d’une retraite à Nazareth. Joseph est l’icône de cet effacement. Pourquoi la dimension publique de Jésus a-t-elle commencé si tard ? Pourquoi un tel décalage entre le moment de l’Incarnation et celui de la Révélation ? Pourquoi le Christ ne s’est-il pas fait remarquer plus tôt ? Pourquoi avoir attendu trente ans ?

Répondre à ces interrogations, c’est toucher le cœur de la Révélation chrétienne. L’essentiel dans l’événement du christianisme n’est pas une doctrine, c’est une personne. Et, à la différence d’une doctrine, une personne n’accède que progressivement à ce qu’elle est, à travers un processus incompressible de croissance.

Si le christianisme n’était qu’un message spirituel ou moral, les années de la vie cachée ne reviendraient à rien. Il suffisait de commencer aux premières paroles de Jésus. Non, le christianisme n’est pas la communication d’un message, ni même la révélation des vérités sur Dieu. Il est la Révélation de Dieu par lui-même, dans une figure humaine. Il faut donc que celui qui est ainsi révélé, à savoir la personne du Christ, se constitue comme le fait une personne humaine, à travers l’épaisseur d’une histoire, l’apprentissage laborieux d’une singularité, l’accession progressive à l’âge adulte. Histoire personnelle d’une maturation graduelle. Mais aussi, entrée dans une histoire collective en s’appropriant un patrimoine de valeurs, de culture, par l’éducation et par la réflexion. Pour cela, il faut du temps, des années. Et ces années sont indispensables au mûrissement de la personnalité.

De la sorte, la « vie cachée » aux côtés de Joseph est exigée par la nature même de ce qu’apporte le christianisme.

Cette « vie cachée » n’est pas une réclusion. Elle n’abstrait ni ne soustrait Jésus des réalités du monde. Elle n’implique nullement une dissimulation de Jésus. D’ailleurs, à deux reprises, que rapporte Luc, (Présentation et Recouvrement au Temple) Jésus apparaît en public, à Jérusalem.

En vérité, cette « vie cachée » est une immersion du Fils de Dieu dans l’épaisseur de la condition humaine. Quand il se cache à Nazareth, le Fils de Dieu se montre pleinement homme.

Paradoxalement, cette « vie cachée » se déploie aussi dans sa vie publique. Le ministère public du Christ le montrera en même temps qu’elle le cachera. Jésus intimera le silence aux apôtres, leur interdisant de divulguer la prophétie de sa mort et de sa résurrection, au moment-même où il s’ouvrira de son agonie prochaine.

Il n’y a donc pas d’un côté une vie obscure de Jésus, masquée et enfouie sous des apparences ordinaires, et d’autre part, une vie éclatante où tout est révélé. La croix elle-même, que Jean l’évangéliste associe à la glorification du Christ, n’est-elle pas le signe paradoxal d’un mystère à la fois révélé et caché ?

Seule la foi nous donne l’intelligence d’entrer dans ce que Dieu cache à nos yeux de chair, mais qui est déjà une manifestation de sa grâce. Il en va de Nazareth comme de l’eucharistie que nous allons partager dans quelques instants. La présence sacramentelle se voile derrière les espèces qui la signifient.

Puisse saint Joseph nous permettre d’entrer dans le mystère de l’humanité du Christ : humanité silencieuse, humanité ordinaire, humanité cachée !

Dans le récit du Jugement dernier que Matthieu rapporte au chapitre 25 juste avant de relater le procès et la mort du Christ, cette humanité enfouie, silencieuse, nue, malade, en prison, affamée et assoiffée, est le visage même du Christ qui s’avance, qui se donne à voir, tout en se cachant. Que Joseph, apôtre de Nazareth, vous aide à discerner et à servir cette humanité de Dieu, dont Dieu lui a confié la garde.

+ Dominique Rey
Messe de la fête de saint Joseph (Cotignac)
19 mars 2014

 


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