Homélie Messe Chrismale 2023

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Jésus monte à Jérusalem. Toutes les douleurs du monde, en commençant par les nôtres, se rapportent au Christ, en son chemin de Croix, que l’Eglise fait à sa suite. Au Calvaire, il y a du nommé et de l’innommable. Ce que l’on peut exprimer du malheur, autant que du non-dit que cache nos silences. Un innommable fait de honte et de dépit, de colères parfois inavouées. Silences plus lourds à porter que les mots qui s’essaient à balbutier, nos peurs et nos cris.Jésus prend tout sur lui, en sa nuit. Jusqu’à ce qu’éclose sur ses lèvres, en une ultime confidence, une totale déprise de soi. « En tes mains Père, je remets mon esprit. »

Notre chemin de foi nous amène aussi en ces jours saints et à la suite du Christ, à consentir à une déposition de nous-mêmes entre les mains de Dieu.

En particulier lors de cette messe chrismale, les prêtres vont renouveler leur engagement sacerdotal. L’offrande de chacun à Jésus pour le salut de tous, vient rejoindre pour le ressourcer, le réanimer, le don de soi que chaque prêtre a fait au jour de son ordination. Le prêtre ne se comprend qu’à partir du Christ, Alter Christus ; ipse Christus. Jamais le prêtre n’est autant prêtre qu’à la Croix. Ce crucifiement qu’actualise chaque messe pour qu’on en recueille les fruits.

Le Concile, dans Presbyterorum Ordinis, souligne « ministres de la liturgie, surtout dans le sacrifice de la messe, les prêtres y représentent de manière spéciale le Christ en personne qui s’est offert comme victime pour sanctifier les hommes ; ils sont invités à imiter ce qu’ils accomplissent » (PO 13)

Le Golgotha, au terme de la vie du Christ, constitue le sommet de son amour pour nous, mais également la pointe de notre amour pour Lui, de notre désir de l’annoncer. Le prêtre ne peut se comprendre qu’à partir de cette cime, où tout s’achève dans le Christ, dans son absolu abandon au Père. Notre fin, au double sens du mot, de terminaison et de finalité, c’est le Seigneur qui affronte la mort afin de nous l’ouvrir à la vie éternelle. « L’unique ascension légitime vers le ministère du pasteur, c’est la Croix », disait Benoît XVI.

La Croix est le lieu de tout détachement alors que notre tentation est de nous raccrocher à nos œuvres, à nos réalisations pastorales. A la Croix, nous n’avons pour point d’appui que Dieu seul. Ce joug, nous le recevons comme le centre de gravité de notre existence, le levier de notre engagement en essayant de répondre jour après jour à son appel, par le don désintéressé de nous-même et pour le service du peuple chrétien qui nous est confié. Nous avons été ordonnés à partir de la Croix, pour enfanter des âmes à Dieu, en unissant nos efforts, en offrant nos souffrances à celles du Christ. « Je complète en ma chair ce qui manque à la Passion du Christ pour son corps qui est l’Eglise », déclarera l’apôtre Paul aux Colossiens (Col 1, 24). Taire, flouter, édulcorer cette dimension verticale du sacerdoce aboutit à diluer notre identité ministérielle. Cette Croix du Christ que nous portons et qui nous porte, nous associe à toutes les agonies du monde.

Verticale certes, néanmoins la Croix est aussi horizontale et missionnaire. Elle recouvre toutes les situations d’humanité où l’être humain vit en dessous du projet de Dieu sur lui, où la personne ne se trouve plus à la hauteur de son humanité, où l’avenir lui est fermé. « La plus grande des pauvretés, est d’être privé d’avenir », disait St François.

Comme prêtre, nous coopérons à la rédemption du monde par notre ministère de sanctification, de gouvernement et par la proclamation de l’Evangile, mais également en inscrivant dans notre chair un peu de la Passion du Christ.

Offrir et s’offrir. Telle est la clef de l’unification de notre ministère au service du peuple de Dieu et de l’Eglise. Notre raison d’être. « Mon secret est tout simple, disait le St curé d’Ars, c’est de tout donner et de ne rien garder ». Faisons nôtre, en ce soir, cette livraison inconditionnelle de nous-même à Dieu pour le service de son Eglise, son Epouse, à l’occasion du renouvellement de notre engagement sacerdotal, dans quelques instants.

Ce que le Christ a souffert et traversé, et que nous célébrons en ces jours de la Passion, ouvre à la fois une intelligence et une issue à ce que nous traversons, aussi bien pour notre monde qu’au cœur de notre Eglise. En particulier que nous tirions des incertitudes que nous traversons dans notre diocèse, des leçons de purification et de conversion, comme le soulignait St Augustin : « Dieu permet le malheur, parce qu’il est assez bon et puissant pour tirer le bien du mal lui-même. »

En cette période de crise, plusieurs dangers nous guettent.

  • En premier lieu, le découragement

Contradictions, oppositions, échecs peuvent nous conduire au désespoir vis-à-vis de nous-même, du monde et parfois de l’Eglise. Victimes, voire quelquefois otages de la solitude, de la lassitude, des dépressions de l’âme, qui génèrent fatalisme et défaitisme, nous pouvons être aussi les complices de ces abattements. Un orgueil très subtil se niche dans une fausse estime de soi ou dans des prétentions qui ne supportent pas le spectacle de nos erreurs. Au bord de cet accablement, se trouve la désespérance, ce « péché contre l’Esprit » que dénonce l’Evangile de Marc (Mc 3, 28-29).

Ce péché, de ne pas se laisser sauver par le Christ.

Judas est le portrait type de ce découragement-désespoir lorsqu’il prend conscience de sa trahison, et pense que Dieu ne peut pas lui pardonner. Aussi bas que nous chutions, Dieu nous offre son pardon jusqu’à tomber plus bas que nous. La vraie vie du disciple commence lorsque l’âme consent à se regarder humblement, à s’amender et à quérir la miséricorde inconditionnelle du Seigneur pour pouvoir se redresser et se convertir.

L’espérance chrétienne est portée par le courage. « Espérer, c’est s’engager », disait le pape François. L’espérance s’adosse à la vertu de force. « Continuons sans fléchir, d’affirmer notre espérance » (Heb. 10, 23).

  • Un second combat nous menace : celui du retour sur soi. « Sache bien, écrit Paul à Timothée, que dans les derniers jours surviendront des moments difficiles. Les hommes en effet seront égoïstes » (2 Tim 3, 1-2). Revenu de tout, refusant tout absolu et toute transcendance, l’individu se livre au culte de l’ego. Cet amour démesuré de soi-même est à l’origine des maladies de l’âme. Par ce repli narcissique, le « moi » devient l’horizon ultime de l’existence. Ce « moi » que l’on câline, que l’on cultive jusqu’au mépris et à l’oubli d’autrui. « Savez-vous quand vous trouverez le bonheur, demandait Ste Thérèse de Lisieux à une jeune novice du carmel ? C’est quand vous ne le rechercherez plus » Et elle ajoutait : « j’en ai fait moi-même l’expérience ».

St Paul note qu’une des intentions du Christ mourant puis ressuscitant fut de décentrer l’homme de lui-même afin qu’il se fixe en Dieu. « Le Christ est mort pour nous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour Celui qui est mort pour eux » (Cor 5, 15). L’oubli de soi par le don de soi, tel que nous l’enseigne Jésus au Calvaire, est le parfait contrepied à l’obsession orgueilleuse et narcissique du moi. En donnant sa propre vie, il donne la vie aux autres.

Le reflux sur soi-même est par ailleurs source de délitement du sens du collectif, de fragmentation sociale qui commence souvent par les fractures familiales. Dans nos sociétés individualistes et hédonistes qui font l’impasse de l’altérité, du contact avec autrui et avec le réel, cet isolement génère une violence qui prospère dans des espaces de désocialisation, de marginalité. Violence par absence (ou perte) de sens et de lien.

Notre foi s’énonce, s’incarne dans un élan de charité qui rejoint le monde, non point pour s’y dissoudre, en perdant notre âme, mais pour lui apporter un témoignage de salut, un surcroît de charité, une vérité sur l’homme sur le bien commun, une qualité de présence qui vient relever, panser le corps brisé, abreuver le cœur assoiffé, conforter l’esprit désemparé. C’est ce que souligne l’Evangile que nous venons d’entendre.

Le christianisme est attendu dans notre monde plus que nous le pensons. Notre mission est de signifier l’actualité de Dieu ; la pertinence et quelquefois, l’insolence de l’Evangile, lorsque par exemple, Jésus au Temple renverse les tables des changeurs ou lorsqu’Il éconduit les scribes et les pharisiens. Notre mission est de témoigner du prophétisme de l’Evangile. Le Christ est en nous par sa Parole, dans notre prière, grâce aux sacrements, mais il se trouve aussi devant nous. Il nous accompagne et nous précède en Galilée. Il devance nos pas et nous fraye un chemin.

Face au tumulte du temps, aux vagues médiatiques qui secouent le bateau qu’est notre Eglise (Eglise qui est appelée à se réformer sans cesse pour être à la hauteur de l’Evangile), cette semaine sainte nous invite tout à la fois, à cultiver l’espérance et à intensifier notre charité fraternelle, pour nous soutenir mutuellement dans notre combat.

La fécondité de notre vie chrétienne et de notre sacerdoce demeure souvent voilée et mystérieuse. Elle est portée par la fécondité de la Croix et par la communion fraternelle C’est ce chemin pascal que nous gravissons ensemble en ce triduum.

+ Dominique Rey
Cathédrale Notre Dame de la Seds
5 avril 2023

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