Homélie de Mgr Touvet pour l’Assomption, au sanctuaire de Notre-Dame de Grâces

Assomption Cotignac 3

Assomption de la Vierge Marie
Jeudi 15 août 2024
ND de Grâces – Cotignac

Chers frères et sœurs,
Le mystère de l’Assomption est souvent représenté dans nos églises : de grandes peintures ou vitraux nous montrent la Vierge Marie élevée vers le Ciel par une multitude d’anges et accueillie par son Fils Jésus le Seigneur, Premier-né d’entre les morts, le tout dans un grand rayon de lumière. Peut-être moins fréquente est l’image de cette « femme ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles », et devant elle, prêt à « dévorer son enfant dès sa naissance », « un grand dragon, rouge feu, avec sept têtes et dix cornes, et sur chacune des sept têtes un diadème ».
Cette image, ce « grand signe », décrit par le livre de l’Apocalypse, nous dit et récapitule tout le drame de l’histoire de l’humanité. Depuis le premier péché, acte de désobéissance orgueilleuse d’Adam et Ève envers Yahvé, l’homme et la femme sont soumis aux assauts du mal qui cherche à les détourner du Créateur, et Dieu ne cesse de renouveler son Alliance initiale par ses prophètes ; le point culminant pour l’éternité étant la venue de Jésus, le nouvel Adam né de Marie, la nouvelle Ève. On trouve même dans le livre de la Genèse (3,15) ces quelques mots qu’on appelle le protévangile, car écrit bien avant Jésus mais contenant déjà une annonce condensée du message de l’Évangile : « je mettrai une hostilité entre toi [le serpent] et la femme, entre ton lignage et le sien. Il t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon ».
Ce drame continue de se jouer dans notre monde contemporain comme il s’est déroulé au long des siècles. Dès la naissance du Christ, Hérode fit mettre à mort les Saints-Innocents, et la folie humaine s’est déchainée à travers les âges et sur tous les continents en toutes formes de violence et d’injustice. Aujourd’hui encore, sous couvert de la loi, on continue de mettre à mort les enfants innocents avant leur naissance ; on voudrait aussi légaliser un soi-disant « suicide assisté » décrit comme un dernier « acte d’amour » (il fallait oser !), mais que le Pape François avait appelé il y a quelques années « nazisme en gants blancs » (il fallait oser aussi). C’est d’ailleurs le premier projet de loi déposé dans cette nouvelle législature qui fait suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale, comme si c’était la première urgence pour notre pays !
Il y a quelques jours, les Jeux Olympiques, au-delà des exploits sportifs incroyables, de la fraternité universelle et de la ferveur populaire indéniable, ont été l’occasion pour quelques metteurs en scène spécialement choisis par nos autorités – on les appelle des « artistes » – de déployer les « dragons » et les « serpents » de l’idéologie crachant leur venin en caricaturant et parodiant ce qui est beau et vrai et en donnant pour modèle et exemple, y compris aux enfants qui étaient devant les écrans de télévision, toutes les outrances et déviances possibles. Des chrétiens – mais pas seulement – ont eu la force et le courage de réagir en dénonçant cette laideur grotesque et en réfutant que ce soit la France de demain.
Le 2 mars 1922, il y a 102 ans, le Pape Pie XI donnait à la France sa patronne principale : Notre-Dame de l’Assomption, et sa patronne secondaire : sainte Jeanne d’Arc. Il écrivait ceci : « Nous prions Dieu, auteur de tous biens, que par l’intercession de ces deux célestes patronnes, la mère de Dieu élevée au ciel, et Sainte Jeanne d’Arc, […] la France catholique, ses espérances tendues vers la vraie liberté et son antique dignité, soit vraiment la fille première-née de l’Église Romaine : qu’elle échauffe, garde, développe par la pensée, l’action, l’amour ses antiques et glorieuses traditions pour le bien de la religion et de la patrie. »
Il donnait ainsi écho au vœu du Roi Louis XIII consacrant la France à la Vierge Marie le 10 février 1638, en action de grâces pour la naissance d’un héritier, le futur Louis XIV, après 23 ans de mariage avec Anne d’Autriche. Cette naissance du Dauphin avait été demandée ici à Cotignac par la reine qui donna mission au Frère Fiacre d’y faire une neuvaine. Je cite le vœu de Louis XIII : « déclarons que, prenant la très sainte et très glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de notre royaume, nous lui consacrons particulièrement notre personne, notre État, notre couronne et nos sujets, la suppliant de nous vouloir inspirer une sainte conduite et défendre avec tant de soin ce royaume contre l’effort de tous ses ennemis, que, soit qu’il souffre le fléau de la guerre, ou jouisse de la douceur de la paix que nous demandons à Dieu de tout notre cœur, il ne sorte point des voies de la grâce qui conduisent à celles de la gloire. »
Sans regarder le passé avec nostalgie, il est intéressant d’évoquer ici ces deux pages d’histoire religieuse en France. Laissons de côté les outrances morales du moment… Notre Histoire et notre Tradition sont belles, nous le savons bien ici en Provence, porte de l’évangélisation de la Gaule. Elles nous disent quelque chose pour aujourd’hui. La victoire est assurée !
Victoire assurée, c’est notre foi : Jésus est ressuscité, vainqueur de la mort, et sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. « Si la mort est venue par un homme, c’est par un homme aussi que vient la résurrection » nous dit saint Paul dans sa lettre aux corinthiens.
Mais victoire pas encore achevée, l’apôtre nous le dit aussi : « tout sera achevé quand le Christ remettra le pouvoir royal à Dieu son Père après avoir anéanti parmi les êtres célestes, toute Principauté, toute Souveraineté et Puissance. Car c’est lui qui doit régner jusqu’au jour où Dieu aura mis sous ses pieds tous ses ennemis ». Aujourd’hui, le combat des puissances du mal contre l’œuvre de Dieu, et celui des forces occultes qui cherchent à relativiser la vérité et à brouiller l’équilibre de la création de Dieu, se poursuit sous forme d’atteintes à la vie humaine, à la dignité inviolable de toute personne, à la famille et à la filiation naturelle, à la liberté religieuse, mais aussi sous forme d’injustices sociales ou économiques, d’exils forcés, de terrorisme religieux, de « colonisation idéologique » – formule du Pape François – de déséquilibres internationaux et de guerres, et encore sous la forme de notre orgueil, notre égoïsme, notre jalousie, notre péché à chacun. Baptisés, nous sommes déjà vainqueurs, certes, et pourtant, nous faisons l’expérience quotidienne de notre faiblesse. La conversion est devant nous.
Que pouvons-nous faire alors ? Comment pouvons-nous empêcher le dragon de l’Apocalypse de dévorer et balayer l’œuvre d’Amour et de salut du Seigneur notre Dieu ? Que faire pour que toute l’humanité puisse chanter avec la Vierge Marie « le Seigneur fit pour moi des merveilles, saint est son nom ! »
D’abord ne pas se laisser mordre au talon par le serpent, ne pas laisser de prise à l’Esprit du mal, le démon, qui cherche à nous diviser et à nous éloigner du chemin de l’Évangile : la conversion personnelle est un combat de chaque jour. En choisissant de rejeter le mal et de répondre à l’appel du Seigneur, nous pouvons enraciner davantage notre vie dans le Christ Jésus notre Seigneur, afin de lui ressembler et d’être ses témoins par le caractère authentique de notre existence quotidienne. Les sacrements nous aident à fortifier et embellir cette ressemblance reçue le jour du saint Baptême : il nous faut laisser se développer en nous les grâces de la Confirmation et de l’Eucharistie, renouveler chaque jour les engagements de notre mariage ou de notre consécration ou de notre ordination, et accueillir la joie de la résurrection dans le sacrement de pénitence et réconciliation. De même, par notre prière personnelle et communautaire, notre participation à la liturgie de l’Église, nous vivons et respirons vraiment du bon air de la charité divine.
Autre point pour arrêter le dragon de l’Apocalypse : notre engagement concret dans le monde. Nous sommes appelés, chacun selon notre état de vie, à répondre à notre vocation afin que le bien que nous semons comme le grain puisse rejaillir dans le monde entier en une moisson abondante de charité : pour les uns, l’adoption d’un enfant, pour d’autres l’accueil de migrants, le service des malades, la visite aux prisonniers, la protection des enfants, l’éducation de la jeunesse, l’accompagnement des familles, la solidarité internationale, « l’écologie intégrale », bref … toutes les œuvres de miséricorde, tout ce qui fait du bien, sans oublier la réconciliation qui guérit la blessure de la dispute ou de la malveillance ou de la médisance…
Enfin, troisième action : écraser la tête du serpent. Je crois que les temps d’aujourd’hui nous invitent au courage du témoignage et de la parole. En cette fête patronale de la France, prenons la mesure de tout ce qui est en train de se jouer. Ne nous laissons pas bâillonner ou endormir ! Le dragon va encore chercher à nous mordre, et il faut rester vigilants. Mais quelle société voulons-nous pour nos enfants ? Nous n’allons pas assister à ce spectacle décadent sans rien dire. Je vous invite au courage de la parole et du témoignage chrétien : dans vos familles, dans vos relations amicales, dans la vie sociale, sans oublier de saisir quand il le faut ceux qui ont été élus au Parlement pour voter les lois.
Sainte Marie, Notre-Dame de Grâces, toi vers qui sont venus des milliers de pèlerins, nous te prions : veille sur nous, veille sur nos familles et sur nos enfants, veille sur notre chère France, protège-nous, marche avec nous ! Apprends-nous à accueillir le souffle divin de l’Esprit-Saint et à proclamer la victoire du Ressuscité à laquelle tu es associée par grâce depuis le jour de ta dormition. « Toi Notre-Dame, nous te chantons ; toi notre Mère, nous te prions ».
Amen.
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