Croire, c’est donner son cœur

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Homélie de Mgr Dominique Rey à l’occasion des ordinations sacerdotales et diaconales du 27 juin 2004, à La Castille

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Qu’est-ce que croire ?

Croire, c’est donner son cœur. C’est ce que vous faites, Alexis, Dominique, en ce jour de votre ordination. Offrande de votre liberté, de votre corps, de votre présent et de votre avenir, pour vous rendre disponible à la mission de l’Eglise. Vous ne vous appartenez plus, afin d’appartenir uniquement au Christ et à l’œuvre pour laquelle il vous choisit.

Votre réponse, à la fois, libre, généreuse et onéreuse à l’appel du Christ (réponse mûrie et approfondie durant votre vie au séminaire), votre réponse vous rend déjà heureux. En effet, ce qui fait le bonheur de l’être humain, c’est de se donner. Le malheur, c’est de ne pouvoir consentir ou accomplir ce don parce qu’on est l’otage de ses peurs, de ses calculs et de ses intérêts.

Ce choix d’une vie simple, évangélique, du célibat et de l’obéissance à l’Eglise n’est pas une amputation, une aliénation, mais une offrande de nous-même à Dieu, en suivant de près le mode de vie de Jésus, par une disponibilité du cœur, du corps et de l’esprit, et pour la mission pour laquelle je vais, tout à l’heure, vous envoyer.

Sur quoi va porter votre mission ?

  • D’abord l’Eglise vous confie des personnes, des hommes, des femmes, des enfants. Des personnes à aimer à la manière de Jésus et non pas selon le monde, dans le don de vous-mêmes jusqu’au pardon, et non pas en vous servant de ceux et celles que vous prétendez servir. Certaines de ces personnes fréquentent l’Eglise. Beaucoup n’y mettent pas les pieds. Quelques unes, en jugeant l’Eglise, vous jugeront. La plupart seront indifférentes, blasées, apparemment insouciantes quant aux questions qui vous paraissent essentielles pour vous.
    Toutes, quelles qu’elles soient, seront votre peuple, votre héritage, et devront bénéficier de votre charité pastorale. Vous vous donnerez du mal pour chacune. Chacune est précieuse aux yeux de Dieu. Et pour chacune, vous devrez rendre compte de votre sollicitude de pasteur.
  • Ensuite, l’Eglise vous confie une communauté. Votre but n’est pas d’abord de remplir votre église, de multiplier les initiatives, de frapper l’imagination des fidèles, de faire la une des journaux… Le critère de votre fécondité est la croissance du Corps du Christ. Les vrais signes de vitalité seront ceux d’une Eglise qui grandit dans la foi, l’espérance et la charité fraternelle. Faute de quoi, ils seront anecdotiques, équivoques, trompeurs. Vous êtes ordonnés pour la croissance de l’Eglise, dont le déploiement théologal porte le développement missionnaire.
  • L’Eglise vous confie encore : les sacrements de la foi. Ces gestes actualisent l’œuvre de salut réalisée par le Christ. Vous appliquerez ce salut à ceux qui, par le baptême, sont ceux devenus eux-mêmes sauvés par le Christ. Vous appliquerez consciencieusement, jour après jour, d’eucharistie en eucharistie, la grâce de Dieu à ceux et celles qui savent qu’ils ne peuvent concevoir leur existence sans elle. Vous serez les économes de la liturgie au cours de laquelle ces signes sont prodigués. Des gestionnaires de la liturgie, non des propriétaires. Vous ne chercherez pas à imposer vos modes de pensée ou de sensibilité à ceux qui attendent que ce soit la prière de l’Eglise, et non pas la vôtre. Vous suivrez les règles canoniques et les consignes que vous recevrez des autorités compétentes. La liturgie mérite respect, dignité, fidélité, disponibilité, préparation. Vous veillerez ainsi à éduquer les croyants à la beauté et à l’objectivité de la liturgie, à respecter les saisons liturgiques, à honorer le Jour du Seigneur.
  • L’Eglise vous confie encore la Parole de Dieu. Vous aurez à vivre, à étudier, à proclamer, à enseigner cette Parole. Permettez-moi d’insister sur cette tâche noble et délicate qu’il vous revient d’assumer. Notre monde fait beaucoup de bruit. Grâce à l’essor des média, il se réfugie dans un flot de sons, un déluge de mots, comme pour colmater ses vides intérieurs. L’univers cathodique nous abreuve de faits divers, d’annonces éphémères, de banalités, de divertissements. Comment faire entendre et comprendre la Parole de Dieu à nos contemporains ? Comment capter l’attention face à la déferlante d’images provocantes qui sollicitent les désirs ou l’instinct, par la publicité, la télévision, internet ? Comment cette Parole de Dieu, à la fois si puissante puisqu’elle a créé le monde, et en même temps si fragile, si humble, si pauvre, si nue, pour beaucoup usée, dépassée et obsolète, sans atours et sans fard, peut-elle se frayer un chemin jusqu’au cœur de l’homme ? Votre art ou votre rhétorique seront sans effet. Et ce n’est ni par la flatterie, la complaisance ou le racolage que vous parviendrez à convaincre.
    Soyez-en convaincus, Alexis, Dominique, ministres de la Parole, cette Parole que vous aurez à prononcer, dans sa vulnérabilité même, a une puissance inouïe de rédemption, de guérison, de mobilisation. Elle est un feu. Depuis qu’elle s’est faite chair en Jésus, depuis qu’Il l’a investie de son humanité, depuis qu’Il l’a portée jusqu’au Golgotha, depuis que, dans un dernier souffle, il l’a remise au Père, depuis le matin de Pâques, cette Parole de Dieu, que vous prononcez au nom de Jésus, va réaliser dans la vie de ceux à qui vous allez l’adresser, le même chemin de libération et de salut qui s’est accompli dans le Christ.
    « Jésus parlait avec autorité », disent les Evangiles. Vous serez, vous aussi, amenés à parler avec autorité. Une parole d’autorité, c’est-à-dire prononcée sans arrogance ni agressivité, mais dont votre vie fournit la preuve aux yeux de tous qu’elle a saisi votre vie, qu’elle s’est chargée de votre histoire, et qu’elle vous a transfiguré pour votre bonheur.

Une parole d’autorité

Une parole d’autorité, car cette parole ne vient pas de vous, vous n’en êtes pas l’auteur, à peine l’interprète. Elle vous a été donnée par quelqu’un à qui vous portez crédit : le Christ. Et votre seule mission sera de la porter sans la trahir et sans l’altérer auprès des hommes et des femmes de notre temps.

Cette parole est efficace : elle a retourné votre vie, la purifiant et la fortifiant au passage. Elle a vaincu vos doutes et vos peurs, vous livrant à la seule joie d’être au Christ. Votre vie témoigne de l’efficacité de cette Parole, de sa capacité de rédemption et d’espérance.

Vous éprouverez l’efficacité de cette Parole dans la célébration des sacrements. Elle accomplira le pardon des péchés. Elle appellera la présence du Christ dans le pain et le vin. Elle fera descendre la bénédiction de Dieu sur l’amour humain.

Certes, notre monde est soupçonneux à l’égard de toute forme d’autorité et de toute parole d’autorité. Il craint d’être asservi, manipulé, instrumentalisé. Alors, il sombre dans deux formes de pathologies, deux formes de discrédit de l’autorité : la fondamentalisme, le relativisme. En effet, notre culture est prise en étau entre, d’un côté, le fondamentalisme caractérisé par une peur profonde de penser, de se confronter à l’opinion d’autrui, et qui offre la fausse sécurité d’une foi exempte d’ambiguïtés, et, d’autre part, le relativisme teinté de scepticisme. Il dénie à notre intelligence la capacité de connaître la Vérité.

Relativisme et fondamentalisme conduisent, tous deux, à la désespérance et à la violence, à la perte de confiance dans notre capacité à attendre par la raison et par le dialogue, la Vérité donnée dans le Christ. La violence est l’ultime recours d’une société qui a perdu la foi en la raison, et de son aptitude à s’imposer par elle-même aux esprits généreux et disponibles qui se mettent en quête de la Vérité.

Votre Parole doit être prophétique

Elle doit dénoncer l’idolâtrie, les fausses images de Dieu qui nous rendent captifs, sourds et aveugles. L’idolâtrie consiste à mettre Dieu là où Il n’est pas, dans nos intérêts, nos richesses, notre réputation. Les prophètes paient de leur vie les vérités qu’ils annoncent. Ainsi se lamentait le poète Charles Péguy à propos de ceux qui refusent ou oublient de se battre au nom de la vérité : « Ceux qui savent prier ne savent pas se battre Ne pensent même pas à se battre, Et celui qui se bat désapprend de prier. Ceux qui savent prier ne savent pas se battre. Ceux qui savent se battre ignorent de prier. Nul ne sait faire ensemble et la guerre et la paix. Ceux qui marchent debout ont les genoux trop raides. Ceux qui sont à genoux ne se lèvent jamais. »

Votre parole doit être sapientielle

A notre monde sans certitudes ni convictions, et qui s’essaie à gérer au mieux le court terme, et qui est confronté aux interrogations nouvelles que lui posent ses conquêtes, vous proclamez une parole de sagesse.

Ils sont pourtant légion, les « sages » de ce monde à donner de bons conseils, à s’inspirer des traditions orientales ou des thérapies pseudo-scientifiques.… Mais ces sagesses ésotériques ou psychologiques sont réductrices de sens et de transcendance, individualistes, souvent désabusées et fatalistes. Elles se trompent de cible. Le mal être dont nous souffrons est d’abord un mal de l’âme. L’homme contemporain a besoin d’une sagesse compatissante et éducatrice, qui s’adresse au cœur et à l’intelligence, qui révèle le visage du Père. L’homme a besoin de la sagesse de Dieu.

Que votre parole soit normative

Notre monde sans repères et sans loi est en réalité un monde hors-la-loi. L’idéologie libérale, devenue dans bien des cas libertaire, pense trouve l’épanouissement de soi dans l’abolition des normes et des règles. Cette idéologie est fausse et mensongère. La « loi » du libre marché, c’est-à-dire du libéralisme absolu, érigé en principe, conduit à la loi du plus fort. Elle promeut à terme l’injustice et la violence.

Vous rappellerez à vos frères la « loi d’amour » que nous avons reçue de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance. Elle est une charte pour la vie, la carte routière du bonheur, le mode d’emploi de l’existence. Elle distingue le bien (c’est-à-dire ce qui conduit à l’accomplissement de notre existence), du mal (c’est-à-dire ce qui fait notre malheur, personnel et collectif).

Notre conscience a besoin d’intérioriser pour sa structuration, une « loi » faite d’interdits et d’invitations. Il en va de notre santé psychique pour le travail d’identification et de relation qui est le sien, comme de la vie spirituelle. Apprenez donc aux enfants et aux adultes, les dix commandements, les Béatitudes, les repères anthropologiques constitutifs de leur humanité… Enseignez-leur la loi de la Vie.

Votre démarche en ce jour est un signe de Dieu, signe décalé, anachronique, paradoxal, contradictoire par rapport aux valeurs de notre monde. Beaucoup de nos contemporains, comme à tâtons, pourront découvrir auprès de vous le goût et le désir de la seule aventure qui vaille : la montée de l’âme vers Dieu, trouvant en Lui l’ardente soif de Lui appartenir et de servir vos frères.

+ Dominique Rey
Evêque de Fréjus-Toulon
27 juin 2004

 


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