Avance en eau profonde

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Homélie de monseigneur Dominique Rey le 16 avril 2014 (pour la messe chrismale)

La messe Chrismale, au cœur de la Semaine Sainte est un événement pour l’ensemble de l’Eglise universelle. Au cours de cette célébration unique, les Huiles saintes sont consacrées.  C’est également au cours de cette célébration que les prêtres renouvellent leurs engagements sacerdotaux, année après année.

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Homélie messe chrismale

Chers Frères prêtres,

Cette célébration liturgique qui nous rassemble au seuil du triduum pascal est l’expression de l’unité du presbyteriumautour de l’évêque. Tout à l’heure, chers frères prêtres, vous renouvellerez les engagements sacerdotaux que vous avez pris au jour de votre ordination.

Le feu de la passion

Je suis un pauvre pécheur sur lequel Jésus a posé son regard, disait le pape François. La rencontre que vous avez faite avec le Christ a eu raison de tous les autres motifs de vivre (et vous ne vous êtes jamais remis de cette rencontre). Le feu qui vous a brûlé du dedans, est celui qui éclaire votre route d’aujourd’hui. Et la brûlure est toujours à vif.

En réécoutant le récit de la Passion, l’amour du Christ qui le pousse jusqu’à la perte de soi pour le salut de tous, nous conduit à sa suite à nous libérer de ce qui freine notre course, à consentir à des détachements nécessaires par rapport à ce qui nous empêche d’être radicalement à Dieu et à nos frères. Bref, à croître en liberté spirituelle pour le service de l’Eglise. Dans le sacerdoce, disait il y a quelques jours le pape François, il n’y a pas de place pour la médiocrité ! Et d’ajouter : Nous avons tellement de prêtres à mi-chemin. C’est douloureux qu’ils n’aient pas réussi à parvenir à une plénitude sacerdotale. Ils sont quelque part des fonctionnaires, et cette posture bureaucratique ne fait pas du bien à l’Eglise.

Ces propos décapants du Saint Père nous font prendre conscience du chemin de conversion qu’il nous reste à parcourir, les uns et les autres. Le oui à Dieu que vous reformulerez dans quelques instants est un consentement à monter avec le Christ au Golgotha dans le don plénier de soi.

La disponibilité apostolique

Ce oui prend toute votre vie. Il mobilise chaque jour votre prière, qui est celle de l’Eglise. Il justifie vos fidélités et vos combats apostoliques, votre disponibilité vis-à-vis de tous, en particulier à l’égard des plus petits d’entre vos frères.

Je recevais il y a quelques mois la visite d’un prêtre qui me confiait son découragement. Avec des lunettes noires, il considérait tous les aspects négatifs de la communauté à laquelle il avait été envoyé : le vieillissement des paroissiens, la faible mobilisation des bonnes volontés, la défection des demandes sacramentelles et catéchétiques. Il dressait un tableau sombre sur fond de démobilisation personnelle… C’est alors que je me remémorais les réflexions du pape François qui taxait d’adultère spirituel le regard du pasteur désabusé qui passait son temps à ressasser les souvenirs de ses ministères antérieurs qu’il n’avait pas psychologiquement quittés ; à jalouser ses confrères établis sur des terres qu’il pensait plus fertiles ; à se projeter sans cesse vers d’autres cieux en pensant que l’herbe est toujours plus verte ailleurs !

Quel regard posons-nous sur les autres ? Est-ce que nous projetons sur eux nos déprimes, nos amertumes et nos acidités ? Ou bien les considérons-nous, sans retour sur soi avec les yeux de Jésus, avec un regard théologal, paternel, rempli d’espérance, capable de discerner l’action discrète de l’Esprit-Saint, dans ce qui n’est pas encore l’Eglise, mais qui est appelé à le devenir ?

L’ancrage spirituel

Sur le chemin du retournement spirituel et pastoral que nous avons à vivre, je me risquerai à utiliser l’image du voilier, bien connu dans notre diocèse ouvert à la mer.

Il convient d’abord de vérifier les amarres du bateau. Votre attachement au Christ est fait de fidélités à l’oraison, à la confession de nos péchés (car il nous faut être des deux côtés du confessionnal), à l’accompagnement spirituel, à une authentique vie eucharistique. L’eucharistie est la raison d’être du sacerdoce, disait Jean-Paul II, qui ajoutait : Le prêtre existe pour célébrer l’eucharistie. Nous y trouvons la signification de tout le reste de notre ministère.

Cet ancrage spirituel requis pour le prêtre vaut aussi pour sa mission. Jésus conquerrait son auditoire à partir du sol où ses auditeurs étaient plantés. Le prêtre rejoint les personnes là où elles sont, là où elles en sont, et il demeure auprès d’elles pour cheminer au rythme de l’amitié et de l’Evangile. Ceci réclame une stabilité dans une société en perpétuelle mutation, marquée par le zapping et les mobilités. La paroisse souligne cette permanence : c’est l’Eglise qui vit durablement au milieu des hommes et des femmes de notre temps, et qui cherche sans cesse le contact avec eux. Elle ne doit pas se contracter sur elle-même pour être un groupe d’élus qui se regardent entre eux (Pape François).

Le témoignage des prêtres âgés est particulièrement éloquent. A travers les vagues et les tempêtes que l’Eglise a traversées ces dernières années, ils attestent de la fidélité au Christ. Ils sont cru jusqu’au bout en leur ministère. Je voudrais ce soir les saluer.

A l’écoute de l’Esprit

Pour que le trimaran gagne le large, il faut également s’enquérir de la voilure. Saura-t-elle capter les brises et les vents pour trouver l’énergie nécessaire à sa course ? La mission du prêtre est mobilisée par le dynamisme de l’Esprit Saint. Ministre de la grâce, il communique l’Esprit-Saint aux fidèles, en proclamant la Parole de Dieu, en célébrant les sacrements. Il discerne aussi la présence discrète de l’Esprit dans les attentes de notre temps, car si l’Esprit habite l’Eglise (qui est sa maison), il travaille le cœur de tout homme pour faire la vérité, débusquer le mensonge, attirer vers le Christ.

S’il est un homme de prière et d’écoute, le prêtre sera sensible à la présence cachée de l’Esprit, propédeutique, préalable à sa manière d’accueillir les personnes et les situations avec justesse et miséricorde. L’Esprit nourrit son zèle pour les âmes, sa créativité missionnaire, sa supplication pour le monde (ses gémissements), mais aussi sa patience, sa confiance en Dieu, maître du temps et de l’histoire.

La communion

Amarré, le mât dressé vers le ciel, le bateau pour voguer, a besoin d’un équipage. Le prêtre doit être un homme de communion. Il ne peut se résoudre à être un chef d’orchestre solitaire. Il n’est député ni à tout laisser faire aux autres, ni à tout faire faire, ni à tout faire lui-même. Dans ces travers se nichent ou la paresse ou le cléricalisme. En bon père de famille, le prêtre portera une attention bienveillante à chacun pour qu’il déploie son talent au service des autres. Il veillera à ce que les plus engagés puissent se renouveler, qu’ils ne s’approprient pas leur mission. Il cherchera à déployer une véritable coresponsabilité des laïcs, un travail d’équipe entre tous. Il formera des disciples missionnaires, en donnant lui-même l’exemple de la solidarité, de la subsidiarité et de l’attention accordée aux plus faibles.

La biodiversité de notre diocèse, riche de tant de sensibilités différentes, appelle une responsabilité mutuelle. Que chaque charisme soit accueilli pour ce qu’il est, comme un don de Dieu, mais qu’il ne s’érige pas comme le tout de l’Eglise. Seule l’Eglise a le charisme de tous les charismes. Il nous faut cultiver entre nous, sans pression, sans prétention exclusiviste, une vraie communion fraternelle qui se fonde sur la communion magistérielle, sacramentelle et ministérielle.

La conversion

Le bateau n’est pas destiné à rester cloué au port. Duc in altum ! Avancez en eau profonde, nous clame encore Jésus. Ne reste pas à quai. Le déplacement à vivre est d’abord intérieur. La conversion eucharistique que les paroles et les mains du prêtre accomplies à chaque messe est emblématique et le point de départ de toutes les autres transformations que le monde doit vivre. Tous les retournements du cœur ; toutes les conversions pastorales de nos communautés ; tous les changements sociétaux à promouvoir, trouvent leur origine dans l’eucharistie.

La véritable question qui est posée aux ministres ordonnés que nous sommes : acceptons-nous de vivre nous aussi des conversions personnelles ? La conversion des pécheurs passe d’abord par la conversion des pasteurs. La pastorale de maintenance de l’auto-référencement cache souvent des peurs, des rigidités, des mécanismes de défense face aux changements indispensables à vivre dans notre manière d’être au monde, de vivre en Eglise, d’accepter d’être dérangés dans nos habitudes, de remettre en question nos dispositifs pastoraux. C’est pourtant le prix qu’il faut payer, le sacrifice qu’il nous faut consentir pour une plus grande fécondité. Avant et afin d’évangéliser les périphéries de notre société, il s’agit de sortir vers nos propres périphéries : les personnes que je ne rencontre jamais, les lieux où je ne vais jamais, et qui sont parfois à la porte du presbytère.

Dépouiller pour accueillir

C’est en allant vers la mer que le fleuve est fidèle à la source, dit un proverbe. C’est dans un perpétuel mouvement de sortie de soi, que le prêtre rejoint le Christ dans l’élan universel par lequel celui-ci ne cesse de se donner aux hommes. Le prêtre porte la grâce d’un sacrement qui le conforme au Christ serviteur pour défendre la foi et pour répandre la foi, sans se contenter de se reposer sur ses œuvres propres. Aimer Dieu, c’est vouloir le protéger contre soi-même, en particulier contre l’égoïsme qui rapporte notre mission à nous-mêmes.

Dans un petit état d’Afrique que je visitais il y a 10 ans, je découvrais à l’orée du village un magnifique tapis de fleurs que les gens avaient confectionné pour le passage de la procession du Saint Sacrement, que je présidais. Un catéchiste eut la sage précaution de me glisser à l’oreille : Rassurez-vous, Monseigneur, ce n’est pas pour vous que nous avons fait ce chemin de roses, c’est pour le Christ !

Du magnifique témoignage de foi sacerdotale que nous a laissé le père Frédéric Galtié, qui a rejoint le Seigneur il y a quelques semaines, à l’âge de 50 ans, alors qu’il était atteint par un cancer généralisé, je retiens cette confidence : Il faut se laisser dépouiller pour parvenir à accueillir . Je le réentends encore me dire à l’hôpital de Mougins, décochant un large sourire dans un corps épuisé : Il faut être prêtre jusqu’aux limites de soi-même.

Tel est le secret de la sainteté du prêtre à laquelle cette célébration nous convie.

+ Dominique Rey
Messe chrismale en la cathédrale Notre-Dame de la Seds (Toulon)
16 avril 2014


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