« On ne peut penser la France sans considérer notre héritage chrétien »
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Mgr Rey. Un pôle d’espérance pour l’avenir de la France.
“On ne peut penser la France sans considérer notre héritage chrétien”
Esprit. Mgr Dominique Rey, l’iconoclaste évêque de Fréjus-Toulon, revient pour Valeurs actuelles sur les mois de crise écoulés et met en garde contre ceux qui se profilent encore. Une solution, pour les surmonter, d’après lui: le retour à la culture et aux valeurs de l’“humanisme chrétien”. Entretien.
Propos recueillis par Quentin Hoster
Quel message souhaitez-vous délivrer en cette période de tensions et de crises sanitaire, identitaire et politique plus exacerbées que jamais?
Beaucoup, durant cette période délicate et anxiogène, ont été confrontés à la souffrance, à la maladie, à l’isolement, à la fragilité sous toutes ses formes. C’est peut-être l’opportunité, d’abord, de retrouver les fondamentaux. De sortir de la culture de la distraction pour revenir au sens profond de l’existence humaine. C’est aussi l’occasion renouer avec l’Espérance, qui consiste notamment à ne pas désespérer de soi-même ni du monde. Enfin, cette crise, qui conduit à l’enfermement sur soi, nous invite à retrouver le lien social, la nécessité de la fraternité, ce mot de la devise républicaine qui est aussi un mot chrétien. Car pour empêcher de mourir, on empêche quelquefois les personnes de vivre. Je pense à la situation dans les Ehpad et les hôpitaux.
Parmi les valeurs dont vous appelez au retour, il y a la charité. N’est-ce pourtant pas de cela qu’a étévictime le père Olivier Maire, assassiné par un ressortissant rwandais qu’il hébergeait, malgrésa mise en cause dans l’incendie de la cathédrale de Nantes ?
Accueillir cet homme était une décision courageuse pour lui et sa communauté, elle faisait partie de son ADN chrétien. Ce qui a fait défaut ici, c’est l’absence de cadre judiciaire et juridique suffisant. À l’intérieur de cette générosité, qui fait partie du témoignage chrétien, il faut se doter de moyens juridiques et médicaux afin d’encadrer et d’accompagner des personnes en difficulté pour qu’elles ne tombent pas plus bas qu’elles ne sont tombées et ne risquent pas de devenir des criminels.
L’explosion des violences, visible depuis plusieurs mois dans le pays, est-elle selon vous la conséquence d’une perte de
repères spirituels ? Nous assistons à un profond malaise social, à une perte de sens du bien commun, à une fragmentation de la société, qui nécessitent de retrouver du liant. Le mot religion, qui vient du latin religare, relier, signifie qu’il faut se réunir autour d’une transcendance nous permettant de vivre avec les autres, avec leurs différences. L’éclipse de Dieu explique en grande partie cette perte de repères dans une société sécularisée, qui devient de plus en plus éparpillée.
À la veille de l’élection présidentielle, la question identitaire n’a jamais été aussi fortement posée. Diriez-vous qu’en cela, 2022 fera figure de tournant décisif pour la France?
On constate un émiettement de la sociétéàcause d’une perte d’ancrage, de racines et du sens de l’autorité. Nous devons donc nous interroger sur les moyens pour que la société, déchirée par l’individualisme et par le communautarisme, puisse partager une identité commune, alors que notre pays connaît l’arrivée de populations exogènes qui n’ont pas le même terreau culturel. Ce n’est pas seulement par des ajustements politiques et des dispositifs juridiques que l’on y parviendra. Il est indispensable d’engager un travail beaucoup plus profond, qui nécessite de retrouver une âme à ce qu’on appelle le “vivre-ensemble”, une ressource commune, pour nous rassembler à partir de notre diversité.
L’immigration massive, indissociable de la montée de l’islam en France, menace-t-elle la cohésion nationale?
La France s’est toujours enrichie de l’autre quand elle savait qui elle était et que l’autre le savait aussi. La France a su et pu accueillir et intégrer en son sein quand son identité était claire et reconnue. Mais aujourd’hui, le phénomène inédit auquel elle est confrontée est le caractère massif et rapide de l’apport de populations venues d’univers culturels très différents. Cela pose le problème d’une identité commune. Notre première responsabilité est d’aider les personnes tentées par l’immigration à demeurer dans leur pays, de ne pas les laisser croire à un meilleur avenir en Europe, qui est souvent un leurre. C’est un véritable défi, alors que la présence croissante de l’islam pose la question de l’intégration.
“TRAVAILLER POUR
QUE LES CATHOLIQUES ATTACHÉS À LA FORME EXTRAORDINAIRE N’AIENT PAS
DE SENTIMENT
D’EXCLUSION OU
DE MARGINALISATION.”
Les conversions de musulmans au christianisme sont de plus en plus fréquentes, notamment en région Paca. Comment l’expliquez-vous?
Les populations qui viennent de l’islam et qui ont été accueillies ou intégrées culturellement depuis des années découvrent de l’intérieur le christianisme, surpassant d’anciennes peurs ou méconnaissances. Un certain fondamentalisme islamique conduit aussi des gens qui veulent s’en extraire à puiser dans d’autres sources spirituelles, grâce au témoignage évangélique donné par les communautés chrétiennes. Ces personnes issues de l’islam nous invitent aussi à revisiter nos propres propositions pastorales, afin de pouvoir établir un meilleur contact avec elles. Cela nous interpelle sur notre manière d’aller nous-mêmes jusqu’au bout de notre foi.
L’identité de la France est-elle indissociable de l’identité chrétienne?
Je pense que les chapelles, sanctuaires et calvaires qui drapent notre pays y distillent un témoignage qui nous fait comprendre nos racines. On ne peut pas penser la France aujourd’hui sans considérer nos sources, notre héritage, notre mémoire, que l’on soit chrétien ou non. Le christianisme fait partie de notre vocabulaire et de notre culture. Il a profondément irrigué notre culture depuis mille cinq cents ans. Il ne s’agit pas de regarder dans le rétroviseur de l’histoire de manière nostalgique, mais de puiser dans
cet héritage la sève évangélique qui nous permettra de construire l’avenir, en nous épargnant de tout vouloir réinventer.
De quelle manière les Français, même non croyants, peuvent-ils puiser dans cet héritage, afin de renouer avec des racines qui parfois leur échappent?
D’abord par l’art, par la culture, par le patrimoine et l’histoire. On constate, à travers Notre-Dame de Paris ou d’autres lieux saccagés et détruits, combien les Français y sont viscéralement attachés et donc révulsés par l’oubli de la mémoire et de l’histoire. À travers ce qui a été scellé dans la pierre, il y a toujours un témoignage d’intériorité, de transcendance. Ensuite, je crois qu’une certaine conception chrétienne de l’homme survit dans nos sociétés. Elle nous permet de nous retrouver autour d’un même souci des personnes fragiles, d’un primat de la charité et d’une recherche authentique du bien commun. Ce sont autant d’expressions de la foi chrétienne dans un monde qui a oublié Dieu, mais qui se trouve en quête de sens et de transcendance. Ces racines sont toujours là, même si l’on n’en a pas toujours conscience.
Avec son motu proprio publié en juillet, le pape François espère mettre au pas les différentes communautés coexistant dans l’Église, en restreignant la célébration des messes latines. Comprenez-vous ses raisons ?
Ce texte a été écrit dans un contexte où le pape craint que l’application de la liturgie tridentine exprime un refus du concile Vatican II, une instrumentalisation de la liturgie pour s’écarter du message de l’Évangile et du magistère de l’Église. Personnellement, je trouve qu’une authentique paix liturgique s’est installée en France, grâce à des efforts de dialogue et de fraternité mutuels. Dans ce sens, beaucoup d’évêques essayent de travailler pour que les catholiques attachés à la forme extraordinaire n’aient pas de sentiment d’exclusion ou de marginalisation.
Que répondez-vous à ceux qui estiment que la liberté de s’affranchir du passe sanitaire revient à prendre la liberté de contaminer autrui, retournant ainsi cette notion contre eux?
La situation actuelle nécessite des précautions sanitaires indispensables, c’est une charité que l’on doit exercer. Mais il ne faudrait pas qu’elle porte atteinte à des principes fondamentaux de notre socialité et que la liberté de conscience se trouve menacée, car ce sont les moments où l’on a le plus besoin d’elle. Il ne faudrait pas passer d’une société de protection mutuelle à une société de culpabilisation ou de surveillance mutuelle. La responsabilité du politique est de ne pas nous faire entrer dans un régime de contrôle, en encourageant la police de la pensée, notamment sur les réseaux sociaux. Il convient au contraire de favoriser le dialogue et la responsabilisation citoyenne de chacun. Évitons d’entrer dans un flicage généralisé qui serait une porte ouverte à des dérives mortifères. •