Le sens chrétien de l’accueil

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J’ai rappelé dans la “Lettre pastorale sur l’actualité de la Mission” que l’accueil constituait une des premières étapes de la mise en œuvre de cette mission. L’accueil nous ouvre aux autres, au monde et à Dieu. Avant de vouloir entreprendre et organiser des initiatives missionnaires, puissions-nous nous poser cette question : “sommes-nous des communautés et sommes-nous des chrétiens capables d’accueillir les autres” ?

L’accueil est d’abord une donnée anthropologique. Nous vivons, en effet, grâce à des apports extérieurs, que ce soit à les aliments que l’on consomme, l’air que l’on respire, le soleil et la lumière indispensable à notre existence. Nous sommes fondamentalement des êtres vivants qui ne survivons que grâce à cette capacité physiologique d’accueil dont nous sommes dotés et que grâce à nos sens.

Cela vaut aussi pour la transmission de la vie. Nous recevons la vie biologique de nos parents. Nous avons reçu d’eux les caractéristiques et les déterminations qui façonnent notre existence et qui constituent également nos propres limites. . C’est tout un travail psychologique de s’accueillir soi-même et de recevoir sa vie des autres. On vaudrait parfois être différent de ce que l’on est, de ce qui fait notre histoire et notre passé ! Les étapes de la vie humaine ; la naissance, l’amour, la mort sont marquées par l’accueil. Par exemple, dans l’expérience amoureuse, les amants auront à apprendre à s’accueillir mutuellement en découvrant peu à peu le mystère de l’autre, ses manières de réagir ou de penser… A l’occasion d’un mariage, j’entends ces paroles de la part de chacun des conjoints : « je t’accueille et je me donne à toi ».

L’accueil est une donnée fondamentale de l’espérance humaine. Nous ne pouvons pas exister si nous n’accueillons pas. En même temps, l’accueil est un impératif de vie commune avec les autres. La société est une communauté d’échanges et de valeurs de biens, à la fois réels et symboliques. Elle est structurée suivant la logique de l’accueil. Par exemple, l’entreprise met en contact sous un mode contractuel, des personnes qui échangent leur force de travail (patron – salarié), leur production (clients-fournisseurs), leurs intérêts parfois divergents qui conduisent parfois à des conflits, lorsque l’offre ne correspond pas à la demande, et vice-versa.

De manière générale, l’accueil est toujours liée à l’attitude d’ouverture aux autres et au monde. Il est une condition sociale humaine d’existence. Robinson Crusoé vivant tout seul sur son île est un mythe. L’isolement, dans lequel sont rendus tant d’hommes et de femmes, est sans doute l’un des plus grands drames de notre société. Comme donnée anthropologique et sociale, l’accueil se heurte aujourd’hui à un certain nombre de difficultés. J’en relève trois.

  1. D’abord, l’activisme. Nous sommes portés à réaliser, à faire des choses. La logique de l’accueil consiste, au contraire, à être désarmé. Certes l’accueil passe par une certaine activité pour que l’autre se sente accueilli. Mais l’accueil implique une disposition de soi en creux, et donc une certaine passivité, de telle sorte que l’autre prenne toute sa place dans notre cœur et dans nos sentiments. Notre société très activiste, très entrepreneuriale et portée à agir sans cesse, éprouve beaucoup de difficultés à créer des espaces, des lieux et des conditions d’accueil. L’accueil est rendu plus aléatoire.
  2. La deuxième difficulté est l’individualisme. Le chacun pour soi et le repli sur soi aboutit à une certaine suffisance égoïste. Cette posture interdit l’accueil. La philosophie de l’accueil m’amène à considérer l’autre comme indispensable à sa propre existence, et, d’une certaine façon, à dépendre de lui.
  3. La troisième difficulté de l’accueil, c’est le matérialisme. Dans un monde où tout s’achète et où tout se vend, le modèle de réussite sociale promu par les médias fait correspondre le bonheur avec l’acquisition du pouvoir, du savoir et de l’avoir. L’accueil relève, lui, de la gratuité. Certes, il y a des métiers d’accueils : la restauration, l’hôtellerie, ou encore les hôtesses d’accueil dont la profession est de bien accueillir et d’informer. Mais l’accueil implique, dans sa nature propre, une qualité de disponibilité qui ne relève pas d’une logique purement marchande. Nous pouvons très bien exercer un métier d’accueil et ne pas savoir accueillir ! L’accueil se fait par le sourire, l’ouverture de soi, la disponibilité à l’autre, l’attention de cœur, l’écoute… Ces valeurs ne s’achètent pas.

Dieu est pur accueil et l’accueil est un don de Dieu.

Dans l’Ecriture, les premiers chapitres de la Genèse montrent combien et comment Dieu accueille. L’accueil de la Création qui jaillit de Ses mains. Dieu accueille le monde minéral, végétal, animal, appelés à l’existence par sa Parole. Il accueille le temps nécessaire pour que tout advienne. Et c’est au cri de “Dieu vit que cela était très bon”, qu’Il accueille l’homme et la femme. Il accueille dans l’admiration aimante.

Dieu place l’être humain dans une terre d’accueil, le paradis. Dieu accueille aussi l’homme avec ses limites de créature et il lui fixe lui-même des limites à ne pas franchir pour lui permettre d’exister. Son accueil n’est pas fusionnel. S’il n’y avait pas une loi qui implique un partenariat , et en même temps une distance à respecter entre Dieu et l’homme, l’homme ne pourrait plus perdurer. Telle est pourtant l’expérience cruelle du péché que l’humanité traverse dès son origine et qui se transmet de génération en génération. Néanmoins, Dieu continue d’accueillir l’homme avec ses fragilités et ses pesanteurs.

Dieu accueille et en même temps, il se révèle pleinement lorsqu’il est lui-même accueilli. Dans l’épisode du chêne de Mambré (Genèse. 12). On voit trois personnages sont accueillis par Abraham et Sarah, et prédisent à ceux-ci que Sarah va enfanter dans sa vieillesse et sa stérilité. Abraham découvre dans cette visitation, (que Roublev a immortalisé dans son icône de la Trinité) le passage même de Dieu. En étant accueilli, Dieu se révèle et révèle sa fécondité.

Dans le Nouveau Testament, Dieu, en Jésus, a été accueilli par Marie. Il a fallu un “oui” sans restriction pour que Jésus prenne chair de notre chair. Grâce au consentement de la Vierge, Marie est pour Jésus une terre d’accueil, une terre vierge où il pourra pleinement déployer (grâce à ce “oui”) tout son mystère et toute son humanité. Jésus est un être d’accueil. Il accueille les êtres tels qu’ils sont. Au fil de l’Evangile, nous pouvons contempler l’universalité de l’accueil de la part de Jésus. Il accueille les publicains, les savants (les Mages), les bergers, les petits enfants dont il loue la grandeur car ils voient la face du Père. Jésus accueille aussi les paralysés, les malades, les miséreux, les gens possédés, toutes les formes d’humanité blessé. Il accueille les gens fourbus aussi bien que les bien portants. Jésus accueille tous ceux qui le cherchent de nuit comme Nicodème, ou comme Zachée, juché sur son arbre. Jésus accueille tous les êtres et accueille tout l’homme. Il a assumé tout ce qui fait la condition de l’homme. Il a accueilli, en les rencontrant, en les vivant tous les âges de l’humanité depuis la naissance ou la petite enfance, l’adolescence, l’âge adulte… jusqu’à la mort. Il a accueilli toutes les étapes et tous les états de la vie : la souffrance, la joie, l’émerveillement, les tentations…

Jésus est un modèle d’accueil. Rien de ce que nous vivons aujourd’hui que le Christ ne l’ai vécu avant nous. Il nous enseigne à sa suite, à habiter toutes ces situations de la façon dont il les a lui-même vécues.

Sur les traces de Jésus, l’Eglise est une communauté d’accueil. Il n’y a pas de ticket d’entrée dans l’Eglise, ni de passeport. L’Eglise fonctionne “portes ouvertes”. Elle se montre hospitalière. L’histoire de l’Eglise témoigne de sa capacité de recevoir des gens qui sont rejetés ou marginalisés.

L’Eglise, parce qu’elle est habitée par l’Esprit de Jésus, qui est un esprit de charité et de communion constitue une terre d’accueil, et elle s’enrichit de l’accueil des autres. En effet, chaque être humain accueilli apporte quelque chose d’’indispensable et d’unique à la beauté de l’Eglise. L’Eglise sera rendue encore plus elle-même au fur et à mesure qu’elle sera enrichie, anoblie et bonifiée par l’apport spécifique de chaque personne et de chaque culture. On doit percevoir que l’accueil est une tâche et une responsabilité qui peut rencontrer des obstacles ou des résistances faites d’égoïsme, de peur qui nous replient sur nous-même, de crainte de dépendre des autres ou d’être envahi par eux. L’accueil suppose une réelle conversion du cœur, un changement d’état d’esprit. L’accueil ne relève pas seulement d’une disposition de cœur, d’une philanthropie naturelle, d’une générosité ou d’un altruisme. Au sens chrétien du terme, l’accueil est façonné par l’Evangile de Jésus et par la grâce de Dieu. Quelles en sont les harmoniques ?

L’accueil chrétien est ouverture. En ce sens, on peut parler de “catholicité” de l’Eglise. Cette ouverture n’a pas de limite. L’accueil est sans exception, sans restriction, sans ségrégation. L’accueil chrétien est écoute, attention. Prendre le temps pour que la personne puisse “se dire”, se sentir chez elle, s’épancher de douleurs profondes et cachées.

L’accueil implique la disponibilité. Pour que l’autre puisse être reçu comme un être unique, il ne faut pas être trop encombré par soi. A la croix, Jésus confie Marie à l’apôtre bien aimé : “Il prit Marie chez elle” (Jean 14). Cette réceptivité est totale, car Marie reçoit le disciple comme l’ultime cadeau de son Fils. L’accueil a besoin de temps, de durée ; Il ne supporte pas la précipitation. Il faut que l’autre s’habitue peu à peu à ce que l’on est et trouve les mots pour se dire. L’accueil va jusqu’à la conviviance, la convivialité, c’est-à-dire la fraternité. L’autre a droit à la même table. Afin qu’il se sente chez soi.

L’accueil chrétien est solidarité et communion. Que les problèmes de l’autre deviennent nos problèmes. Ses joies, nos joies, sans que s’instaure une relation paternaliste ou de componction qui pourrait impliquer un sentiment de supériorité, ou bien de donneur de leçon. Accueillir comme chrétien, c’est accepter de se laisser transformer par l’autre. L’accueilli a quelque chose d’unique à me dire. Il m’adresse un message à travers ce qu’il est, ce qu’il porte, sa manière de vivre, peut être sa souffrance.

Cette évangélisation de l’accueil se déploie dans différentes directions.

D’abord vis-à-vis du prochain. C’est celui qui est proche de nous, qui partage notre vie. Il s’agit de tel voisin ou de tel compagnon de travail, de tel enfant, de mon conjoint, qui vit continuellement à nos côtés. Peut-être ignorons nous tout de ce qu’il (elle) est, de ce qui le (la) fait vivre. Accueillir le prochain, c’est accepter le temps de l’apprivoisement, puis le temps de la confidence sans violenter la confiance ni faire peser sur notre relation nos indiscrétions ou nos ………… Tout commence par l’attention et la disponibilité.

Accueillir le différent : Celui avec lequel on a si peu de contact, car rien ne nous rapproche, ni la couleur de notre peau, ni la situation professionnelle, ni le milieu social, ni la formation, ni la langue, ni la religion. On voit combien Jésus, dans son ministère public, s’est approché des gens loin, des femmes, des étrangers. Pensons à la Samaritaine, au Publicain, aux prostitués. On dénonçait sa proximité avec toutes ces personnes dites “différentes”. Notre société souffre de cloisonnements. On manque d’’interface et de communication avec les gens “différents” qui ne pensent pas, qui ne vivent pas comme nous.

Plus encore, l’accueil se fait à l’égard de “l’indifférent”, celui avec lequel aucune relation ne peut ou ne doit s’établir. Son identité est réduite à un nom ou à un matricule. Il y a une foule de gens anonymes autour de nous. Comment ces gens qui nous sont étrangers peuvent par une parole, un sourire, une attention, ou grâce à des réseaux de solidarité et de convivialité, être reconnus, être salués par une main tendue, être secourus dans leur isolement ? Comment sortir de l’autisme’ ? Comment le lointain peut devenir prochain ?

La quatrième personne que nous avons à accueillir, c’est l’ennemi, l’adversaire. Le Christ est allé jusque là. Accueillir par le pardon et la communication retrouvée celui qui s’est opposé à nous, envers lequel nous avons des griefs ou des soupçons et dépasser les règlements de compte ?

Les diverses perspectives à propos de l’accueil découlent d’une contemplation du mystère d’accueil qui est Dieu lui-même. Jésus nous apprend à conformer notre vie sur son extraordinaire faculté d’accueillir aussi bien le Père que ses frères.

Nous pourrions retenir 3 voies d’imitation de Jésus :

  • D’abord la prière. La prière se définit comme un moment d’accueil, puisqu’on entend Dieu nous parler et que l’on se laisse accueillir par Dieu qui vient à notre rencontre et nous précède. Il nous prend tel que nous sommes et au point où nous en sommes.
  • Ensuite, l’accueil chrétien implique un regard. Il convient de guérir de nos cécités ou de nos strabismes qui nous rapatrient vers le souci excessif de soi. Pensons au regard de Jésus “Il le regarda et il l’aima”.
  • Enfin, l’accueil implique des gestes, parfois des choix de vie. Certaines familles, par exemple, passent régulièrement, soit par quinzaine, soit chaque mois, une soirée pour accueillir des jeunes seuls ou en difficulté. Au-delà du cercle familial, des amis et des mondanités, la providence nous invite à ouvrir notre cœur, mais aussi notre porte.

En ce temps de carême, qu’à l’exemple de la Vierge Marie nous sachions mettre l’accueil au centre de nos résolutions personnelles et communautaires. Le Verbe s’est fait chair en elle, elle a accueilli la Parole.

+ Dominique Rey
Evêque de Fréjus-Toulon

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