Joseph, héraut du silence
Homélie de monseigneur Dominique Rey le 19 mars 2016 (fête de Saint-Joseph à Cotignac)
En cette année de la Miséricorde, Monseigneur Dominique Rey a donné l’homélie reproduite ci-après à l’occasion de la fête de saint-Joseph, lors d’une messe solennelle au Bessillon, devant une foule de plus de 3000 fidèles.
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Joseph, héraut du silence
Le 7 juin 1660, au cœur de la Provence, à quelques encablures du village de Cotignac, Gaspard Ricard, 22 ans, conduit son troupeau sur le versant est du mont Bessillon. Vers une heure de l’après-midi, l’astre brûlant parvenu au zénith, le jeune berger s’allonge sur le sol rocailleux, à l’ombre des branches noueuses d’un chêne vert. Soudain, se tenant près de lui, un homme d’imposante stature lui indique un rocher : « léusiéuJousè. Enlevo-lou e béuras »… « Je suis Joseph. Soulève-le et tu boiras ». Gaspard hésite, la pierre est lourde… huit gaillards n’y suffiraient pas à la déplacer. L’homme réitère son ordre. Le jeune berger s’exécute enfin et, stupéfait, soulève sans peine l’énorme bloc sous lequel jaillit un filet d’eau fraîche. Il boit aussitôt. Lorsqu’il se relève, le mystérieux bienfaiteur a disparu.
Trois heures après l’événement, en un lieu que tous savaient être dépourvu de source, l’eau jaillit pourtant. Depuis lors, la font Saint Joseph ne s’est jamais tarie. Les grâces non plus, dont on ne saurait faire à ce jour la liste…. De cette figure humble et austère, virile et taiseuse qu’est le père adoptif de Jésus, jaillissent comme l’eau de la source tant de vertus que la tradition de l’Eglise a mises en exergue.
- D’abord sa fidélité à Marie, son épouse. Il fomente le projet de la répudier en secret lorsqu’il s’aperçoit que Dieu a mis sur elle. Son retrait n’a rien d’une dérobade. Il exprime au contraire la quintessence de l’amour : aimer c’est laisser le Seigneur accomplir son œuvre dans celui ou celle qu’on affectionne. Laisser Dieu passer devant soi, devant ses intérêts immédiats, devant ses désirs personnels.
- On peut aussi souligner la patience de Joseph, sa force d’âme lorsqu’il entraîne la Sainte Famille sur la route de l’exil en Egypte. On peut discerner dans ce geste de protection face au danger, comme une réappropriation de l’histoire du peuple hébreu, comme un nouvel exode sous la conduite de Joseph en direction de la vraie terre promise.
- Retenons encore la pudeur de Joseph, son écoute intérieure ou encore son obéissance à Dieu, à ses injonctions
- Dans la longue litanie des titres que l’on attribue au chef de la Sainte Famille de Nazareth, je m’attarderai à évoquer la foi cachée de Joseph. Sa foi s’est développée dans l’obscurité. Cachée aux yeux du monde, comme le trésor dans le champ dont parle la parabole de l’Evangile de Matthieu. Celui qui a découvert ce trésor doit le maintenir caché en attendant la pleine révélation du Royaume, l’Enfant Jésus est le trésor caché de Joseph. Permettez-moi de citer Ste Thérèse de l’Enfant Jésus « Jésus est un trésor caché… et pour trouver une chose cachée, il faut se cacher soi-même. Il nous faut ressembler à Jésus, à Jésus dont le visage était caché… » (et j’ajouterais, qui continue de se cacher dans l’eucharistie).
Oui, Joseph se tapit dans le silence qui l’enveloppe. Joseph respire le silence, et il inspire le silence. Le silence est son atmosphère, son intériorité. Quel contraste, quelle contestation par rapport à une société qui promeut le bruit, la culture de l’image, la représentation narcissique de soi ! (cf selfie) « Là où est Joseph, là règne le silence », disait Ernest Hello. Silence apaisant. Silence de solitude en Dieu. Silence de plénitude où l’âme est absorbée par le mystère de Dieu qu’elle contemple. Le silence est abdication de toute parole devant la réalité de la présence de Dieu, devant l’inouï de cette présence réelle.
Dieu aime le silence. C’est sa signature, son effet. Il agit dans la pénombre. Au désert du Sinaï, la nuée accompagne sa révélation. La nuée découvre sans dévoiler. Le Père se découvre dans le Fils qui est le visible de l’invisible de Dieu, mais en même temps, Dieu se cache dans l’humanité de Jésus. Au Thabor, la gloire entraperçue prépare les apôtres à la nuit du Golgotha.
Toute l’histoire du salut atteste que l’obscurité entoure le divin. Dieu en dit juste assez pour se révéler, sans jamais dissiper le secret de ce qu’Il est. Il se montre de dos. Les grands chapitres de l’Ecriture se passent de nuit : nuit de la création lorsque Dieu sépare la lumière des ténèbres ; nuit de la sortie d’Egypte du peuple élu ; nuit de la Nativité ; nuit du tombeau ; et même le Ressuscité se manifeste tandis que le jour baisse. (Jn 20, 19).
Joseph participe de cette obscurité. Il scrute l’invisible. Il nous initie à dépasser le visible du monde. Dans l’Evangile, il reste toujours effacé, pas un mot ne jaillit de ses lèvres, et en même temps, il efface. Il demeure caché et il cache Jésus en son ombre. A Nazareth, il soustrait l’Incarnation aux yeux de ses contemporains. Oui, Joseph marche dans l’obscurité de la foi. Et le Seigneur lui parle de nuit en songes. Ces songes sont des révélations tellement lumineuses qu’elles ont besoin de la ténèbre pour être dévoilées, comme l’étoile qui guidait les mages avait eu recours à la nuit pour scintiller.
Le Seigneur maintient Joseph dans la nuit de la foi pour ne pas imposer à ses sens défaillants une clarté trop vive dont il ne pourrait soutenir l’éclat, pour ne pas peser sur sa liberté de le suivre, pour donner à sa foi l’espace de son exercice. Le P. Marie Eugène, fondateur de l’Institut Notre Dame de Vie et qui va bientôt être béatifié, use de l’image du manteau. « Le rôle de St Joseph est un rôle d’humilité. Il est le manteau qui couvre tout, parce que Dieu ne voulait pas révéler son mystère au monde. Joseph couvre de discrétion l’œuvre de Dieu, la naissance de l’Enfant Jésus. Ce manteau sera maintenu jusqu’à ce que Jésus soit assez grand pour se suffire. Son rôle terminé, Joseph disparaît. »
Aux apôtres il reviendra de parler ; à Joseph la mission de se taire, afin de protéger le déploiement de la grâce dont l’Enfant Jésus est investi. La retenue à laquelle il est assigné bannit tout réflexe de possession. La foi de Joseph est un chemin sacrificiel de désappropriation. Il doit absolument compter sur la Providence divine. Il lui faut porter dans l’ombre un triple secret que rappelait Bossuet : la maternité virginale de Marie, l’avènement du Fils de Dieu en notre chair, la révélation de la paternité de Dieu dont il est le vicaire. A ce triple dépôt, correspondent trois vertus pratiquées par Joseph : la pureté associée à la virginité de son épouse, la fidélité persévérante liée à la mission de père nourricier (putatif), l’humilité obéissante qui découle de sa vocation de représenter auprès de l’Enfant de Bethléem le Père éternel qui l’engendre de toute éternité.
Joseph ne s’exprime pas par la bouche mais par les mains. Le charpentier de Nazareth initie son fils au sens du travail, au bienfait et à la dignité du travail : participation à la fois à la transformation du monde et au service du prochain ; travail qui est également prophétie du travail d’enfantement de la Croix. « Grâce à son atelier où il exerçait son métier en même temps que Jésus, Joseph rendit le travail humain proche du mystère de la Rédemption » disait Jean-Paul II (Redemptoris Custos, n° 22).
Joseph sort de l’Ecriture comme il y est entré : discrètement sans qu’on s’en aperçoive. Après l’épisode du recouvrement au Temple de Jérusalem dans l’Evangile, on n’entend plus parler de lui. La Tradition spirituelle fait de ce témoin oculaire de l’aurore du salut, le patron du crépuscule de l’existence, le patron de la bonne mort. Plusieurs peintres ont immortalisé le vieillard octogénaire, entouré d’angelots, tenant en main le lys qui couronne sa chasteté. Cet humble retrait jusqu’aux portes de la mort prolonge le silence de Joseph qui laisse place au Verbe, à la Parole divine qui est son enfant.
On dit qu’un homme a plusieurs vies : la sienne et celle de ceux qu’il aime. On est la somme de toutes les personnes que l’on a côtoyées tout au long de sa vie, et qui de près ou de loin, ont façonné notre existence. Au terme de sa vie, et dans le clair-obscur de sa foi, Joseph a puisé auprès de Jésus et de Marie la lumière nécessaire pour l’ultime montée. C’est à l’automne qu’on récolte les fruits.
Au temps de la vieillesse, le prix de chaque instant se densifie au fur et à mesure que se vérifie le temps qui reste. Quand les jours sont comptés, chaque jour compte davantage. L’érosion du quantitatif convoque le qualitatif. Ainsi la pédagogie de l’eucharistie s’accomplit-elle dans cette « manducation du temps ». Le tout de la présence dans l’économie de la parcelle. L’infini dans l’infime. L’éternité dans l’instant. La vie devant la mort.
Joseph nous offre le témoignage d’une présence ouverte à Dieu, offerte à Dieu, disposée dans le ciboire d’une attente silencieuse de Dieu, et que Dieu vient infiniment combler.
+ Dominique Rey
Messe au sanctuaire du Bessillon (Cotignac)
19 mars 2016
Mot d’accueil prononcé par monseigneur Rey au début de la messe
L’Eglise en France a été dans la tourmente médiatique à la suite de la révélation d’affaires de pédophilie concernant certains prêtres et religieux de l’archidiocèse de Lyon.
En cette année de la miséricorde, nous pensons en premier lieu aux victimes de ces agissements criminels, aux enfants qui ont été agressés et souillés. Je vous invite à célébrer dans les paroisses des messes de réparation à leur intention. Nous pensons également aux victimes et à leurs familles, celles qui n’ont pas été entendues quand les faits se sont produits, qui n’ont pas reçu d’elle des demandes de pardon, ni bénéficié d’un soutien pour se reconstruire.
Comment croire en Dieu quand ceux qui la représente et qu’on appelle « père », ont trahi cette paternité, quand ce sont les mêmes mains qui donnent le Corps du Christ, et qui attouchent le corps d’un enfant ? Comment accueillir la tendresse de Dieu dont parle le pape François, lorsque les gestes qui l’expriment sont pervertis, trahissant la confiance dans l’Eglise et dans ses ministres ?
Ces abus sont des coups de poignard donnés à des êtres innocents de la part de ceux qui devraient être des signes de l’amour de Dieu et du respect d’autrui. Réécoutons l’évangile de Marc : « Si quelqu’un scandalisait un de ces petits, il vaudrait mieux qu’on lui mît au cou une grosse meule de moulin et qu’on le jetât à la mer« . (Mc 9, 42)
Ces scandales blessent aussi l’Eglise. Alors que tant et tant de prêtres donnent le meilleur d’eux-mêmes, donnent leur vie, leur corps, leur affectivité, leur temps, tout leur amour pour le service de leurs frères, voici qu’ils sont mis en cause, insultés par l’irresponsabilité meurtrière de quelques-uns.
Le buzz médiatique, prenant appui sur des faits avérés qu’il faut absolument dénoncer, cherche ainsi à décrédibiliser l’Eglise auprès de l’opinion publique. En s’attaquant au sacerdoce ministériel, en salissant ceux qui font le choix du célibat à la suite de Jésus pour le donner au monde.
Hélas la pédophilie est un phénomène dramatique, une déviance qui frappe toutes les strates de la société : l’éducation le sport les loisirs… et surtout à l’intérieur des familles de plus en plus décomposées, dans un contexte de fragilité psychique et de libéralisme des mœurs promu par les médias.
Ces événements tragiques appellent des mesures claires, sans équivoque de la part de l’Eglise et des évêques : dénoncer à la justice et travailler loyalement avec elle, lorsque de tels agissements sont connus, privilégier l’accueil et l’accompagnement des victimes et de leurs familles en les invitant à porter plainte, engager des procédures canoniques contre les auteurs de tels actes… En amont, l’Eglise doit prendre des dispositions fermes sur le discernement des vocations, la formation des séminaristes, l’accompagnement des prêtres et le suivi de ceux qui, ayant purgé leur peine, ne devraient plus exercer de ministère ou un ministère très limité et strictement encadré.
A l’occasion de cette célébration, prions pour les victimes, leurs familles mais aussi les agresseurs pour qu’ils trouvent un chemin de rédemption. Prions pour nos frères prêtres fidèles et généreux dans leur engagement évangélique. Confions-nous les uns les autres à St Joseph, protecteur de l’Eglise. D’habitude, on célèbre une messe de réparation après la profanation d’un tabernacle, je voudrais en ce jour célébrer cette messe en réparation pour les victimes profanées en leur corps.
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