Homélie : pères de familles à Cotignac 01/07/2023

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Pèlerinage des Pères 2023 – Homélie du 1er juillet 2023

 

Au cours de ce pèlerinage à Cotignac, en traversant les collines ombragées de Provence, avec le chant des cigales et une chaleur parfois accablante, vous avez mobilisé vos corps pour affronter la fatigue, vous avez prié pour offrir à Dieu vos joies et vos épreuves. Vous avez confié au Seigneur le passé qui souvent nous encombre, le présent qu’on a parfois du mal à assumer, le futur qui peut se dérober ou s’assombrir.

La foi nous rejoint par le bas et vers le haut. Par le bas, à partir de nos racines personnelles (depuis le jour de notre baptême), à partir de structures familiales et amicales qui nous soutiennent, des bases culturelles et mémorielles qui imprègnent notre éducation et notre histoire.

La foi s’énonce aussi par le haut, comme un appel au dépassement de soi. Un pèlerinage constitue ainsi une opportunité pour retrouver un idéal, un nouveau souffle. Mobilisés par la quête narcissique de confort, absorbés par la routine du quotidien, nous avons du mal à donner une intensité à notre vie, à respirer l’air pur des sommets. Nos âmes végètent, emportées par le tourbillon de l’action, absorbées par la superficialité. Elles demeurent si souvent en friche.

Mais ce n’est pas nous qui grimpons jusqu’à Dieu pour prendre sa place, c’est lui qui, dans le Christ, est venu à notre rencontre pour nous ouvrir l’accès à la patrie du Ciel.

Oui, la foi (comme celle de Marie par son fiat) accueille, par l’Incarnation, la venue du Christ en nos vies pour nous entraîner jour après jour, sur le chemin pentu et escarpé (parfois chemin de Croix) qui nous conduit à Dieu.

Le Christ est à la fois avec nous, en nous, il nous accompagne ; et Jésus se trouve aussi devant nous, il nous précède. Il nous entraîne. Nelson Mandela, dans son discours d’investiture en 1994 disait « Vous restreindre, vivre petit, ne rend pas service au monde… En vous libérant de votre propre peur, votre présence libère automatiquement les autres ». Nous avons la responsabilité de ne pas voler les rêves, l’espérance et les joies aux personnes qui nous sont confiées. Et pour ce faire, nous avons la responsabilité de ne pas étouffer les rêves qui sont en nous.

Cette ascension vers Cotignac que vous avez vécue dans un climat de recueillement, de conversion et de fraternité, constitue ainsi une parabole éloquente de la foi qui passe par les pieds, mais qui nous élève vers les Cieux. Le contact avec le sol parfois aride, la confrontation à nos propres limites physiques… nous ramènent au mystère de Nazareth, avec Marie et Joseph, honorés particulièrement ici à Cotignac, (en épousant, en assumant notre condition humaine, le Christ est descendu et descend encore jusque dans nos fragilités, jusque dans la mort). La foi n’est jamais hors sol.  Elle doit s’inscrire dans le réel de notre existence, dans notre manière d’être au quotidien. Elle suscite un art de vivre comme chrétien en ce monde. Elle constitue un socle, un point d’appui pour porter notre ascension jusqu’à Dieu. Ascension dont le ressort est la résurrection du Christ.

Ces journées de marche, d’effort, d’ascèse, de mortification, de partage, pour se dégager des routines, des addictions, des banalités et des retours sur soi qui accaparent nos vies, vous ont permis de retrouver une force d’âme, un tempérament, une volonté ferme de vous réformer, d’acquérir ou de retrouver une énergie, des vertus viriles en refusant les compromissions et les capitulations, les paresses et les découragements.

Un homme de caractère est résolu, pour entreprendre et avancer ; fort, pour résister. Il n’est pas le jouet des évènements et des humeurs. Il fait tout pour connaitre son devoir d’état, l’assumer et l’accomplir.

Face aux impressions du dedans, parfois aux dépressions, et à nos états d’âme ; face aux pressions du dehors, le chrétien doit demeurer libre en agissant toujours avec prudence, vaillance, détermination. Il doit résister à la flagornerie et aux frivolités mues par l’instinct ou le caprice.

D’un côté la foi enracine et de l’autre, elle transporte. Elle transporte à partir d’un idéal qui, par l’action de l’Esprit Saint, élève, soulève, mobilise l’existence vers le vrai, le bon, le beau. Cet idéal n’est en rien une projection de soi mais une aventure qui prend sa source en Dieu et se définit par la charité. La foi nous invite à « passer sur l’autre rive » en sortant de nous-mêmes et de nos fictions et de nos frustrations. Ni l’apathie, ni l’utopie ne peuvent nourrir notre vie.

Chacun de vous, chers pèlerins – comme homme, époux, père – porte en vous-même un désir profond d’aimer et d’être aimé, un désir d’être fécond, de bâtir une famille solide, de servir les autres et de les faire grandir, de s’engager pour le bien commun et la solidarité envers les plus fragiles. L’autre m’oblige toujours.

Porter durablement un tel idéal mu, non par l’exaltation de soi mais par le souci de l’autre, requiert 3 attitudes :

1 – D’abord une volonté forte

Notre bonheur dépend de notre capacité à nous mettre en route et à nous engager d’un pas décidé. Il n’est pas possible de devenir un homme, un époux, un père, de nous engager à nous perfectionner, de canaliser notre énergie, sans la claire décision de prendre notre vie en main. Pour aller là où notre cœur nous conduit, il faut « quitter nos divans et chausser ses crampons » comme le dit le pape François. Le caractère fait passer du projet à la décision, de la décision à l’action, en bravant les peurs et les menaces, en résistant à la facilité, en ne cédant ni au fatalisme, ni à la passivité, ni à la fuite en avant. Nos contemporains privilégient souvent le cocooning, la gratification, la protection. On consomme de façon compulsive des émotions en quête d’être sans cesse materné et émasculé. Dans un discours à la jeunesse, le général Mac Arthur disait en 1945 « On devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. Les années rident la peau ; renoncer à son idéal ride l’âme ». Emascule.

Chers pèlerins, ne soyez pas seulement des gestionnaires mais aussi des visionnaires.

Si l’on veut faire preuve d’abnégation, le courage est requis. Courage dont parle l’Ecriture dans les adresses de Dieu à son peuple « Courage, soyez fort » (Dt 31,6), « Courage ô mon peuple » (Bar 4,5), et que Jésus reprend dans l’Evangile « Courage j’ai vaincu le monde » (Jn 16).

Charles de Montalembert écrivait déjà au 19ème siècle « Ce qu’il manque aux chrétiens, c’est le courage ». « Ce courage d’avoir peur » dont parlait le père Moulinié en suivant le Christ en agonie qui traverse la mort. Pour persister dans nos efforts jusqu’à ce qu’ils aboutissent, il faut la persévérance. Ne jamais céder à la désespérance qui peut conduire à la violence, une violence parfois incandescente, comme en témoigne l’actualité de ces jours avec ces émeutes urbaines et ses scènes de pillage. Saint Bernard disait que la persévérance est la vigueur des forts et le couronnement de la volonté, à la condition qu’elle ne soit pas présomptueuse par rapport à nos capacités.

2 – Pour aller jusqu’au bout de soi-même, il faut ensuite nous entourer de grandeur, fréquenter et nous adosser à des figures exemplaires qui incarnent ce courage, ce caractère fort. Les personnes habitées par une passion, une vision, sont appelantes. La vie du Christ en témoigne. C’est la grandeur qui inspire la grandeur. Les saints, les héros du passé, ces témoins tutélaires, peut-être dans notre entourage, dans nos familles, nos parents, qu’on a pu fréquenter, nous tirent vers le haut, vers le meilleur de nous-même, pour accoucher de nous-même. Il convient de nous en imprégner, de nous en inspirer, non par mimétisme en répétant à l’identique, mais pour avancer à partir de notre propre créativité « Dieu ne sait compter que jusqu’à un » (proverbe juif). L’Eglise est riche et belle de tous ces tableaux de saints et de martyrs, portant et déployant chacun leur charisme propre. L’Eglise nous invite dans leur sillage à nous mettre à la suite du Christ, au service d’autrui, jusqu’à donner notre vie pour le salut de tous. Rappelons-nous les paroles de Matthieu (20, 6). « Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur. Celui qui veut être, le premier parmi vous, se fera votre esclave. Ainsi le Fils de l’Homme n’est pas venu sur terre pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ».  La vraie grandeur se déploie par l’humilité, le sacrifice de soi et par la charité. Comme le disait Mère Térésa « Ne laissez jamais quelqu’un s’approcher de vous, sans repartir meilleur ou plus heureux ».

3 – Enfin, tout chemin de foi requiert une juste connaissance de soi-même. Le précepte gravé sur le temple de Delphes « Connais-toi toi-même » doit nous interpeler. Nous ne pouvons pas rester étranger à nous-même. Le philosophe Sénèque recommandait à ses disciples de se poser trois questions : « Aujourd’hui, de quel défaut je me suis corrigé ? Quel vice ai-je combattu ? Quel progrès ai-je accompli » ?

Il s’agit d’aller dans les détails, examiner les mobiles profonds de nos actions afin de connaître la cause réelle de nos échecs ou de nos victoires, en consentant à chaque fois à se remettre en cause.

Comment pourrions-nous grandir en unité de vie, en exemplarité, en cohérence intérieure si, à la lumière de l’Evangile, nous ne nous prêtions pas à cet examen de conscience, à cet exercice de relecture, de mémoire et de discernement qui consiste à confronter notre existence à notre idéal et à nos convictions à l’appel du Seigneur.

Pour se livrer à cet exercice et sans tomber dans une introspection narcissique, n’oublions jamais que l’autre est le meilleur moyen de se connaître soi-même, en vérité et avec justesse. Telle est la grâce du mariage et la force d’une vie fraternelle. C’est à partir de cette connaissance de soi que nous devons prendre les résolutions pour ajuster et affiner notre comportement. Devenir maître de nous-même, assumer notre vocation et rendre féconds nos engagements. Sinon on s’enlise et on piétine dans ses habitudes, et l’on ne parvient jamais à devenir soi-même dans un contexte médiatique où priment des modèles auxquels la bien-pensance presse de nous conformer et identifier ?

Chers pèlerins, votre route ne s’achève pas à Cotignac. Elle vous ramène vers les vôtres, votre épouse, vos enfants, pour les entraîner à leur tour sur les traces de la Sainte Famille de Nazareth (avec humilité, charité, courage, fidélité), sur le chemin du vrai bonheur. Ce bonheur que l’homme ne peut se donner à lui-même, s’il ne le reçoit de Dieu. Bonheur qu’on ne trouve qu’en marchant à la suite du Christ et en devenant pour notre monde des prophètes d’espérance, courageux et fidèles.

 

+ Dominique Rey
Sanctuaire Notre-Dame de Grâces
1er juillet 2023

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