Homélie : 50 ans de sacerdoce de Mgr RAVOTTI

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Homélie pour Mgr Jean-Pierre Ravotti

 

Au début de son ministère pétrinien, Benoît XVI avait parlé de la « beauté » pour exprimer l’appartenance au Christ.

« Nous rencontrons dans le Christ, celui qui, en chair et en sang, de façon visible et historique, a apporté la splendeur de la gloire de Dieu sur terre. C’est à lui que s’appliquent les paroles du psaume 44 « Tu es le plus beau des enfants des hommes », Benoît XVI, reprenait alors à son compte une expression de St Bonaventure « Le Christ est la beauté de toute beauté » (cf. Jn 15,13).

Grâce à lui, ajoutait Benoît XVI, « se révèle la beauté de l’homme qui, créé à l’image de Dieu, est régénéré par la grâce destinée à la gloire éternelle.  N’est-ce pas la beauté que la foi a engendrée sur le visage des saints et qui a poussé tant d’hommes et de femmes à en suivre les traces ? La fusion extraordinaire entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain rend la vie belle ».

 

En ce jour, à l’occasion de la célébration du 50ème anniversaire d’ordination presbytérale de Monseigneur Ravotti, nous sommes invités très particulièrement à contempler non seulement la beauté d’être chrétien, mais la beauté du sacerdoce ; la beauté d’être prêtre de Jésus-Christ.

« Il a eu une belle vie sacerdotale ». (50 années d’ordination)

Un film américain est sorti en salles « l’étrange histoire de Benjamin Button ». Grâce à des effets spéciaux, on découvre le destin d’un homme qui naît vieux et rajeunit jusqu’à sa mort, en total décalage avec le monde qui l’entoure. Un récit qui remonte le temps. Une existence vécue à l’envers. Cette histoire romantique se présente en réalité comme une fable philosophique, mais aussi comme une leçon spirituelle. Il s’agit d’inverser le cours chronologique des choses, afin de retourner à l’origine, de remonter à la source. Il en va ainsi de la « beauté » du sacerdoce. Que l’on ait 50, 60 ou 70 ans de sacerdoce, la beauté s’origine dans un appel qui a précédé la conscience qu’on a pu en avoir « dès le sein de ta mère, je t’ai appelé » chantera le prophète Isaïe.

Jean le Baptiste rencontrera Jésus lors de la Visitation alors qu’il n’est lui-même qu’un embryon dans les entrailles de sa mère Elisabeth.

Mais la beauté se manifeste véritablement quand, face à cet appel, retentit la réponse : le oui. La beauté trouve son couronnement et son accomplissement dans le consentement. Telle est la beauté sans défaut de la Vierge Marie, la beauté du fiat. La beauté chrétienne est essentiellement mariale. Telle est aussi la beauté du prêtre. Elle éclate au jour de son ordination.

La beauté de la nature relève d’un don gratuit et en même temps donne un élan, un élancement, provoque une aspiration, un désir d’ailleurs, le pressentiment de ce qui à la fois nous dépasse, et nous fonde.

La beauté est le signe d’une réalité supérieure au-delà du visible.

L’élan vers un au-delà la beauté est toujours en avant de soi. La beauté du prêtre relève aussi de cet élancement à partir d’une grâce reçue de Dieu vers un accomplissement de sa vocation en Dieu et pour le service des âmes.

La beauté du prêtre est sacrificielle : dire « oui » ou dire « me voici », c’est renoncer librement à d’autres formes de valorisation, d’épanouissement humain parce que nous avons compris que la liberté, ce n’est pas de faire n’importe quoi de sa vie, mais la rendre disponible pour le choix de Dieu. La beauté de la mise à disposition de notre vie tient autant à la radicalité (tout pour Lui seul) qu’en la fidélité qu’elle implique (« Celui qui regarde en arrière n’est pas digne du Royaume de Dieu »). L’amour rime avec toujours. Le don de soi n’est pas un prêt.

La beauté du sacerdoce est aussi d’une part de se prêter à l’action de la grâce de Dieu, pour être configuré au Christ, tête de son Corps qu’est l’Eglise, et d’autre part donner cette grâce avec libéralité. L’ordination est une impression, au sens où le Christ imprime au plus intime de son être un caractère indélébile qui qualifie le prêtre pour tenir à jamais, la place du Christ-prêtre, serviteur de ses frères. Le prêtre est identifié au Christ serviteur, mais la beauté de cette configuration au Christ demeure cachée, intérieure, discrète. Elle est le secret et l’intimité du prêtre avec son Seigneur. Elle le rend capable d’agir et de parler au nom du Christ. C’est la joie même de Dieu qui veut se donner aux hommes à travers le ministère du prêtre. Cette joie de Dieu fait la joie du prêtre.

Les promesses de l’ordination s’inscrivent dans la durée, et dans la persévérance, tout autant que dans l’approfondissement de la vocation. La beauté du jeune ordonné, dans la splendeur de l’âge, est appelé à s’intérioriser et se déployer tout au long de son ministère. La croissance sacerdotale comme tout développement humain n’est pas rectiligne. Elle passe par des étapes, des seuils, des crises peut-être. La beauté du prêtre épouse et traverse ces évolutions. Elle est un patient accouchement de soi en Dieu.

N’oublions pas que la beauté du Christ éclate dans sa passion. C’est quand le Christ est le plus défait qu’il est le plus parfait. L’icône du Crucifié au visage défiguré contient pour qui veut le contempler, la suprême beauté de l’amour. Une beauté qui se révèle dans l’offrande de soi, une beauté qui s’accomplit dans la douleur. Une beauté qui assume le tragique de la condition humaine, comme François d’Assise qui contemple la beauté du Christ dans la création, tout autant que dans le lépreux qu’il embrasse. Comme Bernadette au visage maculé de boue pour dégager, à la grotte de Lourdes, la source qui y coule encore. La beauté du Christ éclate toujours dans le mystère pascal. Les fissures de notre humanité sont devenues stigmates parce qu’elles ont été traversées par l’amour.

 

La croix que porte et qui porte le prêtre est celle du Christ, de son souci pour les âmes, de la construction de la communion, du zèle pour la mission, parfois de l’épreuve de la trahison, de l’incompréhension, des échecs et des découragements.

Mais cette croix est source de joie. La joie du Christ nous fait comprendre que c’est en donnant sa vie sans restriction et sans calcul que l’on se trouve soi-même et que l’on trouve Dieu.

La croix traverse le ministère du prêtre. Elle est au cœur de sa mission. Chaque fois que prêtre, nous annonçons ou que nous commentons la Parole de Dieu, elle vous renvoie immanquablement aux chantiers de notre propre conversion que nous n’avons pas encore ouverts ou investis. Elle nous brûle et nous émonde au passage.

Comme Paul, qui supplie le Seigneur d’écarter l’écharde de sa chair, et qui entend le Christ lui répondre : « Ma grâce te suffit. Ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse ». Nos croix deviennent à cause du Christ, à cause de la croix du Christ, des lieux de fécondité apostolique, de bénédiction et de consolation pour nos frères.

Parce qu’il est le ministre du mystère pascal, le prêtre atteste et participe, au rang qui est le sien, à cet avènement de la beauté du Christ, en particulier en chaque messe.

Dans son exhortation apostolique Sacramentum Caritatis, Benoît XVI insiste sur l’importance de la beauté dans la liturgie « la liturgie a un lien intrinsèque avec la beauté. Cette beauté n’est pas un pur esthétisme, mais une modalité par laquelle la Vérité de l’amour de Dieu, manifesté dans le Christ, nous rejoint, nous fascine et nous emporte, nous faisant sortir de nous-mêmes et nous attirant ainsi vers notre vocation véritable : l’amour. La beauté n’est pas un facteur décoratif de l’action liturgique. Elle en est plutôt un élément constitutif, en tant qu’elle est un attribut de Dieu lui-même et de sa révélation » (n° 35).

Dans son ministère de présidence et de prière, le célébrant doit distiller une beauté dans ses moindres gestes, sa posture, son regard, dans sa manière d’être…  afin d’entraîner l’assemblée à la rencontre du Ressuscité. « Rien n’est trop beau pour Dieu », disait le St Curé d’Ars.

Promoteur de beauté dans la célébration liturgique, le prêtre est appelé à la scruter chaque jour dans l’exercice de la charité pastorale. Dans l’accueil de tous, par l’écoute de chacun, par l’accompagnement humain et spirituel. Sa mission est de faire accéder chacun à une qualité d’être, à une existence traversée et sculptée par l’amour. En définitive, il s’agit d‘aider chacun à faire de sa vie une œuvre d’art, à retrouver l’estime de soi, car quelles que soient les tribulations de la vie, le Christ nous espère toujours. Notre foi dans le Christ garantit le bonheur de le suivre. Notre foi en Lui nous libère de cette laideur qui altère notre ressemblance avec Dieu, et qu’on appelle le péché.

Le prêtre est également ministre de la beauté de la communauté. Un document du Conseil Pontifical pour la Culture appelle l’Eglise « le peuple de la beauté qui sauve ». Beauté de la charité fraternelle. Ne parle-t-on pas ainsi d’une « belle communauté », signifiant par là, quel que soit son effectif, que la vie théologale des chrétiens y est rayonnante !

Comme toute œuvre artistique, la beauté est toujours une expérience de communion. Elle est le pressentiment de l’unité du monde, de l’harmonie de l’homme avec le cosmos et la matière, de la créature réconciliée avec le créateur. Dans un monde fragmenté, la beauté fait l’unité entre les personnes qui sont rejointes et mobilisées au plus intime de leur subjectivité.

Le prêtre est garant de cette syntaxe que réalise la communauté, redevable de sa poésie, de son harmonie et de sa cohésion.

Dans la langue chinoise aussi bien qu’en grec et qu’en hébreu, langues originelles des Saintes Ecritures, la Bible ne dispose souvent que d’un mot pour qualifier la beauté et la bonté, signe du rapport étroit qui lie ces deux réalités. L’esthétique se trouve associée à l’éthique.

La beauté de notre sacerdoce va s’enrichir par l’approfondissement de notre relation au « Bon Pasteur ». C’est lui que nous voulons servir, aimer et faire aimer.

S’il est un vœu, Cher Monseigneur, en ce jour d’action de grâce que nous voulons formuler à votre endroit, c’est que vous alliez, toujours plus, jusqu’au terme de votre vie, dans les profondeurs de votre sacerdoce. On n’a jamais fini d’être prêtre, de le devenir. Et je pense à la magnifique prière du Saint Curé d’Ars qui fut son testament spirituel « Je vous aime ô mon Dieu, et mon seul désir est de vous aimer jusqu’au dernier soupir de ma vie. Faites-moi la grâce, ô mon Dieu, de souffrir en vous aimant, de vous aimer en souffrant et d’expirer un jour en vous aimant et en sentant que je vous aime. Plus j’approche de ma fin, plus je vous conjure, ô mon Dieu d’accroître mon amour et de le perfectionner ».

+ Dominique Rey
Saint Maximin
2 juillet 2023

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