Homélie des ordinations du 29 juin 2002

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Recevoir ceux que l’Eglise nous donne

Le 30 juin 2002, à La Castille, l’ordination presbytérale de trois nouveaux prêtres (Gilles Guénerie, Florian Racine, Stéphane Rède) a été l’occasion d’une magnifique Eucharistie présidée par notre évêque. L’homélie de Mgr Rey a suscité une grande écoute et beaucoup de personnes ont demandé la publication du texte.

Trois jeunes diacres vont être ordonnés.

Par la grâce de Dieu et à l’appel de l’Église, ils nous sont donnés pour poursuivre l’œuvre du Christ :

  • Œuvre d’annonce de la Bonne Nouvelle du Salut,
  • Œuvre de sanctification puisque le Christ se rend présent à son Église par le sacerdoce,
  • Œuvre de gouvernement de la communauté chrétienne pour que celle-ci avance et croisse dans l’unité de la foi.

Ils sont donnés par Dieu à l’Église.

Mais comment l’Église va-t-elle les accueillir ?

Quelle juste place vont-ils trouver dans nos communautés chrétiennes ?

Comment notre société va-t-elle les regarder, elle qui entretient vis à vis des prêtres un scepticisme et une opinion déjà faites par le verdict de la télévision, ou les gros titres de la presse à scandale ?

Ces questions ne sont pas seulement à porter par l’évêque qui appelle, et qui envoie ses prêtres, mais également par tout le peuple chrétien.

Elles nous ramènent à des attitudes spirituelles incontournables. Permettez-moi d’en égrener quelques unes.

 

1 – Ayez de l’estime pour vos prêtres

« Ayez pour eux la plus haute estime, avec amour, en raison de leur travail » (1 Thes 5,13).

Estime envers le sacerdoce ministériel. Estime, c’est-à-dire reconnaissance parce que Dieu se saisit d’une existence humaine, fragile et incertaine, pour la configurer au Christ, tête de son corps qui est l’Église…

Les prêtres ne sont pas seuls porteurs de la mission de l’Église, ni les garants de son avenir. Mais, ce sont eux qui, en raison de leur ministère quotidien, font exister l’Église. En effet, l’Église ne trouve pas en elle-même sa signification, ni sa raison d’être. Ce qu’elle est, elle le reçoit du Christ et de l’Esprit par le ministère des évêques et par leurs coopérateurs les prêtres. L’Église se reçoit du Christ, et le ministère presbytéral exprime, assume, revendique cette place du Christ comme source, origine de la mission de l’Église. Estime pour les engagements du prêtre qu’ils vont prononcer devant vous dans quelques instants :

  • Le choix du célibat dans un contexte où il est décrié ou soupçonné,
  • Un mode de vie simple et sobre qui refuse l’engrenage de l’accumulation matérielle et la logique du profit, et qui conteste l’identification de l’être et de l’avoir,
  • La liberté vécue comme une suite du Christ.

Ces choix de vie sont a contrario de ceux qui priment dans notre monde et sont parfois en rupture, avec l’environnement familial ou social.

Estime pour la mission pour laquelle je vais les envoyer.

L’histoire de l’Église comme notre chemin de foi obéit à la loi de la disproportion entre, d’une part, la tâche à accomplir et, d’autre part, la pauvreté de nos moyens. En définitive, notre seule richesse n’est-elle pas le don de notre propre vie ? Rien d’étonnant à cela. Destinée à la multitude, notre mission provient de l’extrême solitude du Christ mourant sur une Croix. Démuni de tout, il s’offre au Père pour le salut de tous. La modicité de nos ressources nous conduit à la même offrande.

« Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ! N’emportez pas de bourse, pas de sac, pas de sandales et ne vous attardez pas en salutations publiques en chemin… ».

 

2 – Priez le maître de la moisson

Je suis confronté à des demandes constantes de prêtres pour les paroisses ou les aumôneries. Denrée rare. Les uns s’inquiètent de savoir si leur curé sera remplacé. Les plus avisés s’ingénient à faire des profils de carrière ou de promotion pour tel ou tel prêtre qu’ils ont repéré et qu’ils souhaitent ardemment récupérer. Un lobbying s’organise en coulisses. Des autres même interrogent régulièrement pour obtenir un prêtre accompagnateur d’un mouvement ou d’un service ; comme si la survie du groupe était en jeu ; comme si tout dépendait de la présence du prêtre.

Comment ce besoin ressenti par tous (fut-il légitime) se traduit-il en prière fervente, en suggestion faite aux jeunes, non pas en général, mais à ceux de notre famille, de notre entourage, en soutien actif à une vocation qui s’éveille ?

Votre propre famille accueillerait-elle positivement la vocation sacerdotale ou religieuse d’un de vos enfants ? ou comme une « tuile » que vous n’avez pas méritée ?

 

3 – Demandez aux prêtres de vous donner le Christ

« Comme je les écouterais s’ils me parlaient du Fils de l’homme, non en sociologues, non pas d’abord en théologiens, mais comme ceux qui en vivent, et qui touchent de près le Christ Ressuscité » disait F. Mauriac.

Je suis convaincu que pour une bonne part, les prêtres sont façonnés par les attentes et par les demandes de ceux qu’ils servent.

C’est en leur demandant ce qu’eux seuls peuvent vous donner qu’ils s’épanouiront dans leur vie sacerdotale.

En leur demandant le pardon de Dieu, vous les aiderez eux-mêmes à s’enraciner dans la miséricorde du Père.

En les sollicitant pour vous faire grandir dans l’intelligence de la foi, vous les aiderez à approfondir leur attachement au Christ.

En recevant leur conseil spirituel, vous les stimulerez à s’engager plus résolument dans l’aventure de la foi.

En vous montrant disponible pour la mission, vous encouragerez leur zèle apostolique et l’audace d’entreprendre.

Demandez à vos prêtres ce que vous attendez du Christ. C’est le meilleur service à leur rendre. C’est le meilleur service qu’ils pourront vous rendre.

 

4 – Facilitez leur ministère

Comment ?

En leur offrant de votre disponibilité, de votre compétence pour soutenir leur tâche. Je pense à cette multitude de services matériels, logistiques, administratifs, d’organisation et d’aménagement indispensables à la vie d’une communauté et qui est prise en charge par des centaines de bénévoles. Cet investissement est une grâce pour les prêtres. Il leur permet de se libérer au profit de leur ministère propre.

Ce soutien prend aussi la forme d’une collaboration pastorale à l’animation des communautés : liturgie, catéchèse, préparation aux sacrements, responsabilités économiques et pastorales, actions de solidarité et de compassion. Grâce à cette aide, le ministère du prêtre gagne en vérité et en qualité, à condition qu’il veille à ce que l’exercice de l’activité n’étouffe pas les initiatives des laïcs engagés, mais leur donne de pouvoir se déployer dans la communion.

Mais, attention. Acceptez que « vos » prêtres ne soient pas qu’à « vous » ? Ils sont prêtres aussi de la brebis égarée dont la recherche justifie l’abandon des 99 autres ? Ils ne vous appartiennent pas, ils sont au Christ.

 

5 – Aidez vos prêtres à vivre leur célibat

Le célibat du prêtre vous appartient. Vous avez à vous en préoccuper car nous sommes membres les uns des autres, et donc responsables, pour notre part, des engagements pris par chacun devant Dieu et devant la Communauté Chrétienne. Les fidèles laïcs ne sont pas les témoins passifs du jour d’ordination mais des soutiens quotidiens de la vie et du ministère des prêtres.

Le célibat, ou plus exactement à l’engagement à la chasteté consacrée dans le célibat, dit quelque chose d’essentiel du mystère du Christ et de l’Église. Il fait partie du trésor inestimable de l’Église. Suivre le Christ engage toute l’existence, jusqu’au don de son corps et de sa sexualité, pour ceux qui y sont appelés, afin de manifester un amour universel. Un amour qui ne s’investit pas dans une relation particulière, mais se déploie aux vastes horizons de la mission. Parce que « tout à Dieu », le prêtre est « tout à tous ». Parce qu’il a fait le choix de la mission, le prêtre se met en disponibilité affective pour la vivre.

L’évêque doit mettre tout en oeuvre pour offrir les conditions matérielles et psychologiques qui permettent d’assumer durablement cette fidélité au Christ Époux de son Église. Cependant, les laïcs sont appelés à relever, eux aussi, le défi que cet engagement constitue dans le contexte qui est le nôtre :

  • Protestez-vous quand on fait, à la télévision ou sur tel ou tel magazine, du plaisir un absolu ? Quand le sexe est idolâtré ? Quand dans les relations affectives on devient l’otage de ses propres pulsions, ou de celles des autres ?
  • Quelle éducation sexuelle ou affective donnez-vous à vos enfants ? Ou bien vous déchargez-vous sur l’école ou sur telle association de cette responsabilité parentale ? Enseignez-vous le respect du corps ou de celui d’autrui, la discipline et la maîtrise de soi ? le droit de l’autre à ne pas être « instrumentalisé » et traité en objet de complaisance ou de jouissance ?
  • Comment parlez-vous du célibat des prêtres ? Comme un choix positif dans la perspective du Royaume ou comme une indigence affective a priori suspecte.
  • Votre famille est-elle spontanément une terre d’accueil et d’amitié pour vos prêtres lorsqu’ils sont livrés à la solitude du dimanche après-midi ou d’une soirée ?

 

6 – Leur famille : c’est vous !

Recevez chaque prêtre comme celui qui vient de la part du Seigneur ! Je vous le confie comme un frère et un ami. Sans le mettre sur un piédestal, ayez sur lui un regard de foi et d’espérance car il se tient parmi vous au nom du Seigneur. De même qu’il doit avoir sur chacun de vous un regard de foi puisque vous êtes membres du Corps du Christ. Le prêtre est un baptisé parmi tant d’autres. Soumis comme vous aux mêmes combats. Il ne vous parle pas qu’à partir de ses succès mais selon les exigences évangéliques qu’il a du mal peut-être à assumer personnellement. Il annonce un pardon qu’il a des difficultés à donner. Il prêche la foi alors qu’il est peut-être soumis à la tentation du doute. Il rappelle la beauté et la sainteté de l’Église tandis qu’il en éprouve les pesanteurs et les fragilités. Il exhorte à l’audace du témoignage même s’il redoute quelquefois d’être confronté à l’incompréhension, à l’indifférence ou à la dérision. Mais c’est en vous relançant sur le chemin de la conversion et du choix du Christ, que l’Esprit le sollicite pour ajuster sa propre vie à la Parole qu’il prononce. Vous devez accueillir chaque prêtre dans toute son humanité. Ce n’est pas un héros ou un superman. Il peut-être soumis à la fatigue physique ou psychologique. Il devra compter sur votre réconfort. Il est des soirs où il ne se sent plus bon à rien, où il peut douter de la fécondité de son ministère. Attentif à vos fatigues, vous pouvez le trouver, vous-même, fatigué. Attaché au service des malades de la vie, il pourra connaître un jour lui-même la maladie. Une nomination ou un changement d’affectation peut le déstabiliser, susciter des craintes vis à vis de l’autorité, provoquer un mouvement de repli sur soi… Il doit trouver en vous celui qui l’aide à dépasser l’épreuve, consentir aux ruptures nécessaires, et qui lui rappelle l’appel du Christ à marcher radicalement à sa suite. Il doit trouver en vous la fidélité et l’espérance sur lesquelles il pourra s’appuyer pour s’engager plus profondément dans son ministère.

 

7 – Respectez l’âge de vos prêtres

· Les jeunes prêtres se donnent sans compter. Ils ont la fraîcheur et l’enthousiasme de leur ordination. Ils oublient vite les consignes de prudence qu’ils avaient reçu au séminaire dans le gestion du temps, la priorité à la prière, la nécessité d’une relecture pastorale. Je vous en prie, ne leur en demandez pas trop ! Ils ont besoin d’ancrer leur ministère dans la suite du Christ. Ils doivent former leur sens pastoral ; acquérir une expérience, organiser leur cadre de vie, revenir à la source de leur sacerdoce, à la grâce de leur premier appel… · Dans la force de l’âge, les prêtres assument de lourdes responsabilités. Au mépris de leur santé ou de leur équilibre spirituel, ils répugnent parfois à envisager ou à programmer une absence même brève afin d’assumer la continuité du service ecclésial. Ils hésitent à prendre du temps légitime de repos ou de formation. C’est dire le prix de leur engagement. Par votre vigilance vous les aiderez à prendre les moyens nécessaire de détente spirituelle, intellectuelle… · À l’âge où les laïcs mettent fin leurs activités professionnelles, beaucoup de prêtres continuent d’assumer un ministère très actif. Ils veulent servir jusqu’à la fin. Un prêtre, en réalité ne prend jamais sa retraite. Amoureux de son ministère, il souffre d’en faire toujours moins. Il revient à l’évêque et aux laïcs d’accepter que le prêtre dont les forces déclinent, réduise le rythme de ses activités, allège son emploi du temps, aménage ses horaires… Peut-être éprouvera-t-il des scrupules ou de la gène à paraître moins empressé ? Aidez-le à franchir le cap de cette relative indisponibilité, à habiter de manière différente son ministère, à s’appuyer sur des collaborations nouvelles… Les prêtres âgés ont besoin de votre reconnaissance, de vos visites. Vous trouverez auprès d’eux une écoute particulière parce qu’ils sont plus dégagés des urgences du ministère et parce qu’ils ont acquis, au fil de leur expérience sacerdotale, une sagesse une prudence, une connaissance très fine et profonde de la vie des êtres et de leur combat. Peut-être remarquerez-vous, à l’occasion de ces visites, des objets familiers ou des photos qui retracent leur itinéraire. Ils y sont attachés puisqu’elles sont la mémoire vivante de leur sacerdoce et de la joie de ceux qui en ont bénéficié. Leur intercession fidèle se nourrira des nouvelles que vous leur apporterez. Confiez-leur des intentions de messe. Pour certains d’entre eux, le ministère est strictement réduit à la stricte récitation de la prière des heures ou du chapelet. Cette prière est précieuse aux yeux du Seigneur puisqu’elle porte mystérieusement la fécondité de l’Église. Elle est chargée de leur vie donné.

En ce jour, trois jeunes ont rendez-vous avec la grâce. Ils ont compris que, si le Christ n’est pas au centre de leur vie, il n’est nulle part.

Leur appel les traverse et les dépasse. Ils ne seront jamais à la hauteur des paroles que je vais prononcer sur eux.

Aujourd’hui, l’Église vous les confie afin que, grâce à vous, ils vivent de telle façon qu’à leur manière de vivre, ceux qui les fréquentent puissent se dire qu’il est impossible que Dieu n’existe pas !

+ Dominique Rey
Evêque de Fréjus-Toulon

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