Une expérience d’éducation à l’intelligence du cœur

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« Quand je vois Jésus sur la croix, je vois combien Jésus m’a aimé,
Quand je vois Jésus dans l’eucharistie, je vois combien Jésus m’aime ».

Introduction

J’ai exercé plusieurs années durant la responsabilité des pèlerinages de Paray-le-Monial comme supérieur des Chapelains. En retrouvant Paray-le-Monial à l’occasion de ce rassemblement, je m’y sens « chez moi ».

J’ai découvert le titre de ma conférence, en feuilletant le programme déjà édité. Il s’est imposé comme une figure imposée. On y parle d’expérience – d’éducation – d’intelligence. Tout cela se rapporte au symbole du cœur.

Oui, le cœur de Jésus fut l’objet d’une expérience : celle que rapporte l’évangéliste Jean au chapitre 19, celle dont témoigne Marguerite Marie à la fin du 17ème siècle. Celle d’une découverte spirituelle qui nous fait accéder par la contemplation au mystère du Christ. Oui, cette contemplation du cœur de Jésus, est un acte d’éducation. Le seul mot « cœur », déposé par l’évangile de Matthieu sur la bouche de Jésus et s’appliquant à lui-même, met en rapport le mot « cœur » avec le mot « école » (ou apprendre) : « Mettez-vous à mon école car je suis doux et humble de cœur » (Mt 11).

Oui, le mot « cœur » dans l’Ecriture est associé à la pensée, à la réflexion (plus qu’aux sentiments) : « Marie méditait tout cela dans son cœur ». J’organiserai mon propos autour d ‘une problématique qui fait droit à 3 interrogations interdépendantes. Elles dessinent ensemble le contour d’un support singulier entre l’école catholique et le cœur.

1ère question : de quelle manière l’école catholique se trouve-t-elle placée au cœur de la société et de l’Eglise ?

Le cœur désigne ici la situation géographique tout à fait unique qu’occupe l ‘école catholique dans le champ de notre société. Cette topographie est riche de significations mais aussi de défis.

2ème question : cette école catholique se trouve au cœur de notre société, de sa vie et de ses enjeux. Mais quel est le « cœur » de cette école ? Nous serons amenés à nous interroger sur ce que signifie et implique une « éducation à l’intelligence du cœur ».

3ème question : comment la spiritualité du cœur du Christ, honorée ici à Paray-le-Monial, doit-elle, peut-elle éclairer la mission chrétienne et ecclésiale de l’école catholique ? Le cœur du Christ ne relève pas d’une dévotion intimiste et pieuse, mais engage les éducateurs, les formateurs, les parents, les élèves dans un style de vie théologale.

A – L’école catholique au cœur de la société et de l’Eglise

a ) Le cœur est un muscle qui trouve place dans sa position anatomique au centre du corps humain. Cette centralité en fait un lieu de convergence.

Au-delà du sens physiologique du terme, le « cœur » par extension désigne dans l’étude d’un phénomène, la description d’une entité humaine et sociale, ce qui relève de cette centralité :

  • le physicien parle de « cœur » du réacteur
  • le chercheur évoque le « cœur » d’un problème ou d’une question.

Le symbolisme du cœur peut s’étendre aussi à l’école en général, à l’école catholique en particulier. L’école se trouve située au « cœur » d’une société , une école catholique au « cœur » de l’Eglise.

Au cœur de la société ?

Oui, l’école, comme institution chargée de la transmission du savoir, se trouve à la croisée des défis, des attentes et des crises qui traversent la société. Et celles-ci s’y répercutent comme dans une caisse de résonance, en écho. Elle est aussi lieu de révélation des conflits qui secouent cette société et des espérances qui la dépassent (et qui inéluctablement la rencontrent).

Or, cette « centralité » de l’école pose question aujourd’hui, car la transmission pose question aujourd’hui. Le rapport au passé et à l’avenir, qui donne sens au présent, est devenu problématique.

1. Don de la vie

La première des transmissions qui est le don de la vie est ainsi en suspicion ou en suspend. La chute de la natalité en est un indice inquiétant.

2. Erosion de lien entre les générations.

Olivier Mangin « parle d’une érosion de lien entre les générations ».

Posture délicate de l’école aujourd’hui en raison également des ruptures de traditions culturelles. Les sociétés se perpétuent non seulement par le don de la vie, mais aussi par la transmission des structures symboliques (l’histoire et le langage) qui définissent une culture. Jeunes « en mal d’héritage », et en mal de mémoire. Quels sont par exemple les événements symboliques qui peuvent servir de repères actuellement, de manière durable et structurante aux jeunes de 15 à 25 ans ? Déficit de transmission ou excès de transmission avec une pléthore de formations tous azimuts, mises sur le même pied d’égalité.

3. Valorisation de l’émotionnel.

L’hégémonie de l’instant et de l’immédiat, dans une société de consommation et de médiatisation qui valorise l’émotionnel et l’affectif, exacerbe les désirs et génère des appétits et des violences…

4. Valorisation de l’interculturel

Le public scolarisé est souvent un public du « look « , errant dans une « culture nomade » livrée à l’interculturel. Les jeunes cherchent leur identité sans savoir où se fixer. Ils surfent sur la vague des modes.

Alors que tout devient possible, les finalités font défaut. En amont, l’accumulation des documents et des informations mises, sans réserve et sans veto, à la disposition de tous. En aval, les carences d’orientation et de repérage du sens.

Conclusion

Dans ce contexte d’accélération du temps, de pertes de mémoire longue, d’incertitude, sur un futur de plus en plus aléatoire, les processus lourds de transmission qui fonctionnent sur des durées longues et des organisations mentales où les maturations sont progressives et les germinations graduelles, ces processus sont vite disqualifiés. Le temps de l’éducation n’est pas en effet le temps du zapping ou de l’instinct. La fonction enseignante constitue un défi lancé à la société de l’éphémère, du « tout jetable », « du gaspi ».

L’originalité de l’école catholique , « son caractère propre », tient précisément qu’elle apporte de manière singulière à notre société un centre, un cœur, une « âme », une infrastructure décisive pour l’histoire humaine. Car, toute société ne vit pas seulement de la production, de la communication et de la consommation de biens matériels, intellectuels et culturels, mais aussi de valeurs spirituelles et éthiques qui font sens dans le long terme, car elles offrent des racines et dégagent des horizons. J’entends la voix de Soljenitsyne rappeler à l’Occident « l’urgence de semer d’abord ce qui croît le plus lentement ».

L’enseignant chrétien est le jardinier d’un héritage de sens qu’on appelle : caractère sacré, unique et inviolable de chaque personne humaine quels que soient son passé, sa culture, sa race et sa langue. Cet héritage s’origine dans la Tradition judéo-chrétienne :

  • défense et respect du petit sans défense mais dont la vie est sans prix,
  • impératif de la justice fondée sur l’égalité entre tous et l’équité en droit, le chemin d’entraide,
  • le droit inaliénable à la vie pour chaque être humain, de vivre, de savoir, le droit à la propriété de ses biens et de pouvoir librement en disposer.
    Surtout le droit d’être aimé, le droit à une famille, à une éducation,
  • devoir de dialogue, droit à la parole professée et échangée, droit de poser des questions, droit à son image,
  • liberté d’opinion, de conscience,
  • le droit à la mémoire.

L’enseignant chrétien est le gardien et le garant de tous ces biens en raison d’un principe spirituel qui les sous-tend : chaque enfant est un don de Dieu, un être sacré qui lui est semblable et en qui nous pouvons le reconnaître « Ce que tu as fait aux plus petits, c’est à moi que tu l’as fait » (Mt 25). » Mettre au monde un enfant ou accepter d’être un enseignant chrétien, c’est, vis à vis de cet enfant, se mettre en dette de ces sens cachés.

b) Le cœur est un organe central mais caché au fond de la poitrine.

Il n’est pas apparent, (protégé au dedans par les côtes). Si intime qu’il échappe au regard. Cet enfouissement dit symboliquement son inviolabilité « le cœur de l’homme qui peut le scruter et le connaître ? »

L’éducateur travaille un matériau humain qui résiste à la saisie, aux critères de rendement et de succès, aux paramètres usuels pratiqués dans les entreprises ou sur le marché du travail… Il s’agit dans l’acte de transmettre (qui est un geste de lutte contre l’oubli et en fin de compte contre la mort) de constituer l’enfant, le jeune, comme sujet de sa propre histoire. Construire une liberté capable de s’approprier une histoire qui devient mémoire et promesse, projet.

La vocation de l’enseignant est d’engendrer non seulement à un savoir communiqué, mais aussi à une vocation d’adulte capable d’un discernement critique et d’une adhésion réfléchie et énoncée à la première personne.

L’école catholique défend une éducation conçue, non une entreprise prestataire de connaissances (une boîte à bachot) qui serait à la solde des attentes de parents. Ceux-ci se présentant comme les avocats de leurs enfants, et déportant sur l’école leurs échecs éducatifs, leurs démissions, leurs rêves.

L’école catholique défend une éducation dont l’objet est de favoriser la possibilité la plus haute de la liberté humaine qui est de préparer le passage d’une connaissance extérieure pour une connaissance intérieure. Rencontrer un « tu » qui me permet de pouvoir dire « je ». Passer de l’explication à l’implication. Une liberté se construit ; il faut être suffisamment structuré pour réfléchir, être soi-même et faire des choix.

Le cœur de l’éducation, sa vérité cachée (comme le cœur) réside dans ce projet. Elle appelle l’enseignant à une responsabilité redoutable : une liberté ne naît qu’au contact d’une autre liberté qui fait autorité et qui suppose objectivité, courage, générosité, pour transmettre des valeurs et des significations dont ils sont pour eux-mêmes des témoins qualifiés.

c) Le cœur n’est pas un organe comme un autre.

Sa centralité, sa structure en fait un lieu de convergence, de recueillement, d’intégration. L’école est au cœur d’une société car elle remplit aussi ce rôle d’intégration :

  • Intégration culturelle puisqu’elle a pour rôle de faire se rejoindre en elle, l’héritage d’un passé, avec tout ce que cette notion d’héritage véhicule de pesanteurs et de règlements de compte, et d’autre part, la personne des jeunes, ceux qui seront appelés à devenir les acteurs de demain, un demain grevé d’incertitudes , d’attentes (illusions) et d’inquiétude. L’école est fondamentalement un espace de tradition entre générations.
  • Intégration sociale puisque l’école remplit une fonction d’initiation à la vie sociale : transiter de la micro société familiale à la macro société où les rapports répondent à des critères d’organisation objective, d’éthique commune. Il s’agit d’une naissance à la socialité et au vivre ensemble.
  • Intégration chrétienne car la foi (comme le cœur) est le lieu d’une synthèse. L’occidental disant « c’est moi » désigne très spontanément sa poitrine et plus encore son cœur. L’appréhension globale de la personne s’incarne dans le cœur.

Le cœur correspond à un point de repère anthropologique dont la Bible s’est largement inspirés pour parler de la personne humaine. Le mot cœur y apparaît plus de 1000 fois. La Bible ne s’intéresse pas à la fonction physiologique du cœur, mais à sa valeur symbolique : organe interne par excellence, le cœur est conçu comme le siège de toute la vie intérieure, par différence avec le visage qui exprime le visible de la personne. Le cœur est le foyer interne des désirs, de la volonté, de bien des choix décisifs, le centre des émotions, le siège de l’intelligence et de la pensée, de la mémoire, le tabernacle de la présence de Dieu. Dieu « sonde les reins et les cœurs » (Jn 17,10). Il est capable « d’écrire dans les cœurs » (Jn 31,33).

Le cœur n’ajoute pas une dimension de plus à la définition de l’homme. Il est un principe herméneutique pour parler de l’homme en pensant son unité. L’anthropologie du cœur apporte une vision intégrative et synthétique de l’être humain.

Dans un univers éparpillé où triomphe la multiplication des relations par écran, la mobilité des modes de vie et des lieux de vie, la mouvance des identités collectives, l’éclatement des référents familiaux et culturels au gré d’un pluralisme éclectique… le cœur désigne une référence absolue, stable, irréversible, un lieu de convergence et de confluence, un socle immuable où pour nous chrétiens retentit un appel qui nous constitue dans l’être. Alors que tout vacille, le cœur est le lieu d’une certitude qui échappe à notre raison, mais qui est la demeure d’une présence certaine, unifiante. Un essentiel qui nous fait vivre. Une vérité rencontrée dans une présence « Unifie mon cœur pour qu’il craigne ton nom » (Ps 85,11).

L’éducateur chrétien non seulement doit faire droit à l’intégration personnelle des acquisitions intellectuelles, le droit à la cohérence dans une culture éclatée, mais aussi répondre à l’exigence spirituelle d’un rapatriement des informations qui saturent notre conscience jusqu’à ce point intérieur et extrême où elles se rassemblent en un « je », et se conjuguent autour d’une présence (présence d’un visage, celui du Christ). Un cœur situé aux racines les plus profondes de notre désir, là où sourdent nos attentes de bonheur et de la vie nouvelle. Entre le désir trop vite encombré par l’abondance de biens de consommation et paralysé dans un élan vers autre chose, et d’autre part le désir déçu ou refoulé qui n’ose plus s’avouer, s’inscrit le chemin de conversion, le travail de la foi pour parvenir jusqu’au cœur. La communication de la foi se déploie dans l’acte même d’enseigner. Le cœur est une chance inouïe pour notre liberté, comme un pivot extérieur. Il est en nous un au-delà de nous-même.

Nous sommes par le cœur les ultimes réceptacles de nos propres croyances. On doit les vivre, les examiner avec toute leur pertinence, les éprouver en soi, les laisser travailler en nous. Aujourd’hui, on est contraint à la vérité de soi, à bâtir sa vie sur le roc et le roc est un cœur.

Une école « du cœur »

L’école se trouve placée au cœur de la vie de la société. Cette position centrale lui confère une responsabilité d’intégration sociale, culturelle, patrimoniale et, pour nous chrétiens, d’intégration religieuse.

Je rappelle les propos de Paul VI dans Evangelii Nunciandi. Le pape souligne l’urgence « d’évangéliser la culture et les cultures de l’homme, non pas de manière décorative, comme par un vernis artificiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines ». (Evangelii Nunciandi).

Par son caractère propre, qu’elle ne doit pas brandir de manière incantatoire, comme un slogan, mais éprouver comme une vérité vécue, l’école catholique doit sans cesse vérifier, doit discerner en interne et en externe, doit mériter ce qualificatif de « catholique » qui lui est accolé.

Comment cette identité constitue la substance et la vie de l’éducation qu’elle propose ? Comment ce caractère propre structure en profondeur le contenu de foi dont elle doit être, auprès des jeunes, l’authentique témoin ? De quelle manière « la culture qu’elle promeut s’ordonne à l’annonce du salut » (Déclaration sur l’éducation chrétienne), dans le respect des consciences et la légitime autonomie des disciplines ? Plus encore, l’apport d’une école chrétienne est de qualifier, d’enrichir la culture comme conservatoire et comme laboratoire et peut être aussi de sauver la culture d’une rationalité trop courte, des forces passionnelles qui hantent notre monde, des manipulations latentes ou patentes qui produisent du conformisme et du prêt à penser, d’un repli frileux sur soi, sur ses intérêts, sur ses doutes ; « de sauver la raison ».

Projet ambitieux, disproportionné par rapport à ses propres forces et pourtant qu’elle développe en direction de l’intelligence. C’est ce qui pourrait définir une « intelligence de cœur ».

L’anthropologie biblique, je le rappelais tout à l’heure, met la pensée (non pas dans le cerveau) mais dans le cœur. Pour dire « penser », la bible dit « parler dans son cœur » (Qo 2,15). « Donne-moi ton cœur » (Pr 23,26) ne signifie pas « donne-moi ton amour », mais « prête-moi attention ». Les apôtres avaient « le cœur endurci » (Mc 6,52) pour souligner qu’ils n’avaient rien compris. Le cœur est le siège de la connaissance et de la mémoire. « On ne se souviendra plus du passé qui ne remontera plus au cœur » (Is 65,17). Le latin garde une trace sémantique du verbe « se souvenir » puisqu’il se dit « recordari » (en italien « ricordare » ou en espagnol « acordarse ; recuerdo »). Le français parle d’apprendre ou de savoir « par cœur ».

Il y a une intelligence qui vient du cœur qui assume et dépasse la technicité formelle, la pure rationalité et l’esprit d’analyse, la faculté d’abstraction et de jugement. L’école catholique doit promouvoir chez l’enfant cette « intelligence du cœur ». Cette expression donne à penser qu’il faut libérer l’intelligence de la tentation d’autonomie et d’autosuffisance. L’orgueil de l’intelligence consiste à s’enfermer en soi, de n’être plus servante d’une vérité qu’elle recueille et non pas qu’elle produit. Cette humilité prudente de l’intelligence (cette sagesse) se décline en autant d’attitudes d’ouverture, de dialogue et de respect. Une école du cœur devant les promouvoir :

1. Savoir admirer

Rendre aimable le savoir. Quand on ne s’étonne plus de rien, c’est que l’on commence à être frappé de cécité ou de surdité. On devient blasé face à la nouveauté. S’enthousiasmer (= bof), les mathématiques peuvent enthousiasmer.

2. Accepter le témoignage des sens

Les premières connaissances de l’enfant sont sensibles. Partir des sens et y revenir pour vérifier son jugement.

3. Savoir écouter

L’écoute met en cause toute notre personnalité , pas seulement nos oreilles, tout notre corps. Ecoute passive, disponible, mais aussi écoute attentive, active, critique. Elle suppose l’abandon de ses propres cogitations pour essayer de comprendre le point de vue de l’autre. Aujourd’hui, l’argument d’autorité ne fait pas recette. Les autorités morales sont souvent disqualifiées. Elles ne sont plus en état de légitimité, mais livrées à l’ironie, au ridicule, à l’ostracisme, confondues avec le terrorisme et tous les fanatismes. Or, une société a besoin de tabernacles de certitudes, des puits de vérité, des lieux qui donnent la grammaire de la vie.

4. Se conformer au réel

Il y a une relation de l’être humain au réel qui est naturelle, instructive, charnelle, enracinée dan notre corps. Avant même que l’intelligence produise un savoir abstrait, elle s’enracine dans un rapport incarné avec soi-même, son corps, le corps des autres, la nature. La tentation spéculative d’abstraction et l’invasion du virtuel, de la simulation de l’image et de la modélisation met à mal la santé de l’intelligence, son ancrage dans le réel. Fabriquer un réel tout en gardant une impression de cohérence et l’imposer à autrui comme norme = toutes les idéologies (jusqu’au totalitarisme) s’inscrivent dans cette ligne).

5. Accepter les contraintes et la logique

La jeunesse actuelle baigne dans un univers fortement émotionnel (relayé par les médias). Le dictat de l’instruction discrédite la maîtrise des concepts et des analyses. Le labeur de l’intelligence consiste à se forger des outils de raisonnements pour assister, soutenir, confirmer, prolonger les intuitions premières suivant un ordre et une organisation formelle qui garantit la validité de la recherche.

L’intelligence, comme l’école, est un espace réglementé, organisé, comme le « code de la route », avec des droits et des devoirs. Il faut en assumer les contours.

6. Faire des choix

Les jeunes évoluent dans un contexte de non choix ou de choix différés.

Par exemple,

  • Contexte de non choix : dans l’ordre socio-économique, la refonte sans cesse reportée de la réforme du système éducatif, ou des régimes de retraite, une certaine complaisance face aux risques bio-écologiques… Tout ceci illustre le transfert en douce sur les générations futures du coût de nos « non-choix » ou des choix politiquement corrects.
  • Faire des choix, c’est investir le futur. L’insécurité affective, le vieillissement de la population altèrent notre capacité à nous projeter en avant, à investir le futur autrement que par le rêve ou la fiction. La véritable liberté ne se confond pas avec le « no mans’ land ». Etre libre, c’est choisir des références dont on va devenir responsables. Eduquer, c’est mettre un jeune en situation d’option et d’adhésion. Apprendre à dire oui ou non. Avoir le courage de s’attester.

7. Ne pas « estampiller »

Le jugement moral de beaucoup de nos contemporains est l’otage de groupes de pression savamment et puissamment organisés avec des techniques bien huilées de manipulation médiatique (puissance de la TV). On applique un jugement moral définitif sans prendre la peine de vérifier les sources d’information. La rétention de jugement s’impose bien souvent faut d’éléments probants, concordants, justifiés. L’évaluation critique des situations doit nous exonéré d’un « jugement dernier » sur les personnes, suivant la logique du bouc émissaire. On cherche des coupables, on diabolise beaucoup. La tendance actuelle au contentieux place nos contemporains dans une attitude systématique de mise en accusation, au détriment de la responsabilisation personnelle.

8. Rechercher le dialogue

La vie de l’intelligence se nourrit et s’enrichit du dialogue, ce qui suppose la confiance réciproque, la fécondité du débat, l’acceptation des différences et des remises en cause… Les tendances affectives de type fusionnel, contreviennent à l’émergence d’un dialogue vrai. La charité de l’intelligence est de ne rien donner qu’elle n’ait reçu et de ne rien retenir de ce qu’elle a reçu.

9. Reconnaître son ignorance

La pauvreté de l’intelligence face aux grandes énigmes de la vie, l’incertitude de l’avenir, le poids des risques encourus.. ;, pauvreté de ne pouvoir étreindre l’objet de sa quête, traduit en creuset la soif de vérité et de connaissance qui nous habite. C’est là la détresse de son ignorance qu’on mesure la profondeur d’un esprit et qu’on cultive la faculté d’interrogation et d’émerveillement. Il y a une humble obéissance de l’esprit qui consiste à recevoir une lumière dont on n’est pas la source.

10. Reconnaître ses erreurs

L’erreur est le pain quotidien de nos tâtonnements et de nos certitudes trop vite acquises. Reconnaître ses faux-pas est une preuve d’intelligence. Pour débusquer ses erreurs, il faut soumettre sa pensée à la critique d’autrui ainsi qu’à l’épreuve des faits. Ne pas l’idolâtrer. On a beaucoup de mal à accepter les insuffisances de notre culture, nos limites, l’imperfection inhérente aux pesanteurs personnelles ou sociales. Reconnaître ses erreurs et les assumer.

« L’intelligence du cœur » comprend peu à peu qu’elle n’est pas faite pour elle même, son propre horizon, mais qu’elle est au service de plus grand qu’elle : au service du « cœur », l’homme, et qu’il y a une éthique de l’intelligence pour l’humaniser, la christianiser autour de 4 exigences :

  • objet propre : apprendre un contenu,
  • méthode : apprendre à apprendre,
  • finalité : apprendre à être,
  • altérité : apprendre à vivre en commun.

Il y a une sainteté de l’intelligence.

A l’école du cœur du Christ

Le christianisme s’est emparé du symbole biblique du cœur. Au terme de son existence terrestre, après sa mort, le cœur ouvert de Jésus (Jn 19) livré à l’Eglise (représenté par Marie dans sa dimension prophétique et par le disciple bien aimé dans sa dimension apostolique) est devenu le signe récapitulatif de son œuvre et de sa Vie, le signe universel de l’amour. La Révélation de la Croix s’achève dans cet ultime geste public : Jésus montre son « côté ouvert d’où jaillissent le sang et l’eau » : un amour brûlant qui laisse échapper la vie et répand l’Esprit, anticipation de la Résurrection et de la Pentecôte.

En 1674, Marguerite Marie découvrira à l’occasion d’une apparition un Christ en gloire avec ses plaies « brillant comme des soleils », et sa poitrine « comme une fournaise ardente ». Un cœur à jamais ouvert et dont la blessure ne se referme pas sur elle , mais devient stigmate Un cœur blessé en lequel peut se reconnaître toute détresse, mais d’où peut jaillir un torrent de Vie (Jn 7 : « de son sein couleront des fleuves d’eau Vive »).

« L’école catholique se tient au pied de la Croix et contemple le Christ Rédempteur du Monde, celui qui a pénétré, d’une manière unique et absolument singulière, dans le mystère de l’homme et qui est entré dans son cœur » (Redemptor Huminis n° 8).

A l’école du cœur de Jésus, l’éducation est un chemin de foi, d’espérance et de charité. Un pays de mission.

Une école pour croire – Marie a cru

L’école catholique doit être une force de proposition de la foi. Elle doit offrir plus qu’une culture religieuse et plus que des valeurs évangéliques pourtant nécessaires. La démarche de foi conduit à une rencontre personnelle avec le Christ, avec sa Parole, avec les sacrements de l’Eglise, par l’expérience de la prière, de la communion fraternelle et du partage.

Le cœur du Christ nous renvoie à la croix, au mystère pascal, à l’annonce kérygmatique : Dieu est amour. En son Fils bien aimé, il nous ouvre son cœur. Un cœur blessé à cause de nos fautes. Mais son amour est plus fort que la mort. Et déjà de son côté meurtri, jaillit la vie.

  • Cette proposition suppose une présence chrétienne, lieu de visibilité et de contact avec le Christ. Cela suppose une communauté de foi, disponible et accueillante, des espaces de convivialité et de rupture qui favorisent la prise de distance, le recueillement, l’approfondissement. Cette visibilité requiert aussi des signes d’identification et d’appartenance.
  • La proposition de foi devient une premier annonce du Christ. Elle engage une démarche de type catéchuménal vis à vis de jeunes qui ne sont plus portés par des familles chrétiennes et ne bénéficient pas d’un encadrement ecclésial régulier. Cette première annonce de la foi pourra s’appuyer sur le témoignage chrétienne pour éveiller le désir et le goût de Dieu et d’une expérience de la Parole de Dieu.
    La jeunesse aujourd’hui offre une chance exceptionnelle pour une évangélisation aujourd’hui pour peu qu’il y ait du monde disponible pour la rencontrer ? Nous avons à faire, aujourd’hui, à une jeunesse « désidéologisé » par rapport au phénomène religieux, c’est-à-dire qui n’a pas eu de lecture « négative » ou « ultra positive » de l’Eglise
  • L’offre catéchétique doit proposer une vision synthétique des vérités de la foi, le noyau dur de la foi, à l’heure où les démarches spirituelles souvent éclectiques font recette sur le marché du surnaturel et charrient beaucoup d’ignorance. L’énoncé de la foi doit aller de pair avec l’intelligence de la foi. La démarche d’adhésion doit embrayer sur la communication d’un contenu. Non par deux phases successives mais plutôt deux démarches articulées entre elles : explication objective qui va de pair avec l’implication personnalisée, jusqu’à l’appropriation. (Et, comme le souligne le Directoire de la Catéchèse, prendre comme point de référence le processus catéchétique de la catéchèse des adultes et comme point d’appui la vie sacramentelle)
  • Le processus de transmission de la foi doit être conçu comme une vraie initiation chrétienne, d’inspiration baptismale. Réappropriation des sacrements, pédagogie des saints.
  • Le cœur doit être touché pour que de proche en proche toute l’existence du jeune soit évangélisée grâce à un travail d’accompagnement et de cheminement régulier. Cela requiert disponibilité et gratuité. Oui, l’école catholique doit devenir une école du croire : une propédeutique de la foi, une foi qui s’inscrit dans toutes les dimensions de l’existence et les zones de l’être humain. Une foi aguerrie dans un contexte où le jeune est livré au pluralisme d’opinion et aux scepticismes idéologiques. Elle passe par le chemin étroit entre la prise de conscience d’une claire identité chrétienne, et d’autre part la tolérance (charité des idées) et le respect d’autrui (sans prosélytisme).

Une école qui espère – M. Madeleine a espéré.

Le Christ a voulu partager la blessure du cœur de l’homme.

L’école rassemble de plus en plus de jeunes fragilisés affectivement, en errance sociale, des « jeunes sans rivage » (H. Madelin), marqués par la confusion des valeurs, sans repères fondateurs.

Le monde des jeunes et des enfants est blessé. L’espérance est la vertu du combat. L’éducateur doit être un être d’espérance qui croit dans le jeune lorsque celui-ci subit l’échec scolaire ou familial (les 2 sont liés). Il espère quand ce dernier n’espère plus.

Des lieux thérapeutiques sont à aménager au sein des établissements : lieux d’accueil et d’écoute, où le psychologique rencontre la foi, sans confusion ni parallélisme. Des adultes debout aident des jeunes à se redresser et à refaire surface. On a besoin de lieux de confidence et de convivance à l’heure où fleurit tous azimuts l’individualisme sans illusions, l’estompe des repères, des spiritualités qui exposent leurs menus composites et des médias démangés par la soif de l’insolite.

Pour espérer, il faut pouvoir se dire, être écouté, entendre une parole, peut être exigeante, marquée par la compassion et la promesse. Une parole performative qui se traduit par un agir.

La passé mal digéré blesse l’espérance. Il bloque tout cheminement. Sans doute, en s’y préparant soigneusement, le sacrement de confession doit retrouver une place privilégiée dans le travail de réconciliation avec soi-même et son passé.

Une école pour aimer – Jésus a aimé

Les enfants ont besoin d’adultes qui les aiment pour ce qu’ils sont et tels qu’ils sont, sans qu’ils aient à « faire jeune » et faire peser sur les générations nouvelles leurs déceptions et leurs problèmes d’adultes.

L’âme de l’école, c’est la charité. La communauté éducative formée d’enseignants, des directeurs, des éducateurs, des parents, du personnel administratif, des jeunes et des enfants devraient ne former « qu’un seul cœur, qu’une seule âme » (comme la primitive communauté chrétienne). Une communauté dont le Christ est au centre. Une communauté en forme de cœur. « L’amour se fait cœur ».

Cette communauté doit se donner les moyens de vivre selon l’Evangile :

  • Communauté de prière qui se rassemble autour du Christ et de sa Parole.
  • Communauté de partage, attentive au déploiement de la personnalité de chacun et de leurs dons, soucieuse de ceux qui sont loin et en difficulté.
  • Communauté de témoignage par la parole, mais surtout par l’exemplarité de vie.
  • Communauté attentive aux appels de l’Esprit, capable d’inventer et de faire du neuf.
  • Communauté ouverte sur le monde.

Cette communauté constitue un écho-système donnant à voir et à vivre un modèle chrétien d’existence, un référent au quotidien, une expression en miniature de ce qu’est l’Eglise.

Cette charité évangélique transfigure le regard que l’enseignant porte sur l’enfant, et celui de l’enfant sur les enseignants.

Conclusion

Le Pape Pie XI avait une formule osée (Misericordissimi Redemptor), « le symbole du Cœur du Christ résume l’ensemble de la religion chrétienne ». La formule est audacieuse. Elle est aussi une invitation adressée à l’Eglise, à l’école catholique à trouver dans le Cœur de Jésus un supplément d’âme, une identité, peut être un projet. J’ai bien conscience de n’avoir esquissé avec vous qu’un panorama rapide des étonnantes perspectives pastorales que nous offre la spiritualité du Cœur du Christ, en cherchant à les appliquer à l’école catholique.

Puissent ces quelques réflexions contribuer « à nous approcher du Christ dans le mystère de son Cœur… et nous arrêter sur ce point central de la Révélation de l’amour miséricordieux du Père » (Jean-Paul II Dives misericordia).

« Le cœur transpercé est comme un résumé du mystère chrétien » Pie XII Haurietatis Aquas.

+ Dominique Rey
Evêque de Fréjus-Toulon
27 novembre 2002

 


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Mgr Rey – Homélie de la messe chrismale 2024

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Mgr Rey : La voix des catholiques a-t-elle encore un poids en France ? – En toute bonne foi (RCF)

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Homélie de Mgr Dominique Rey – Saint Joseph à Cotignac