Saint Joseph, le pieux laïc
Homélie de monseigneur Dominique Rey le 18 mars 2017 (fête de saint Joseph)
Nous aimons nous retrouver ici à Cotignac dans ce cadre naturel, végétatif, à l’écart des rumeurs du monde pour passer une journée en compagnie de St Joseph. Chaque année nous avons l’occasion de découvrir un aspect de la personnalité de ce saint protecteur, de la famille de Nazareth, de faire nôtres ses vertus spirituelles et morales, si indispensables pour prendre la mesure du chemin de sainteté auquel Dieu nous appelle et dont les couleurs et les tonalités se reflètent dans la vie des saints.
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Saint Joseph, le pieux laïc
La spécificité de saint Joseph c’est le caractère caché de sa sainteté. Bossuet écrivait que « ce que l’Eglise a de plus illustre, c’est ce qu’elle a de plus caché. » Telle est la pédagogie constante de Dieu : plus c’est précieux, plus c’est enfoui ; comme la nuée dans le désert de l’Exode qui révélait la présence de Dieu tout en la dissimulant. Le silence de Joseph dans l’Evangile n’est que le pendant sonore de cette discrétion qui le caractérise.
Joseph se cache car sa mission paternelle est de voiler, de couvrir le mystère de Jésus et de sa mère. Le nom de « Joseph » est le participe présent du verbe hébreu qui signifie « retrancher ». Le rôle de la mère est de dévoiler, de montrer ; le rôle du père est de retrancher, de protéger la virginité de Marie et de couvrir de son manteau la divinité de Jésus. Joseph met dans l’ombre ; il introduit dans les ténèbres lumineuses comme dans cette nuée qui accompagnait le peuple élu dans le désert, car il est lui-même l’ombre du Père éternel.
Joseph cache car il est lui-même caché. Et il faut user d’une persévérance obstinée et de perspicacité pour s’introduire dans son intimité, percer son secret, pénétrer dans son mystère. On ne peut le saisir car il est toujours, comme notre Père des cieux, au-delà de l’endroit où nous le cherchons. Le dévoilement de St Joseph est réservé pour la fin des temps.
St Thomas d’Aquin dit que la sainteté se mesure à la façon dont nous nous sommes rapprochés du mystère de l’Incarnation. Parce que Joseph est témoin et acteur de l’Incarnation de Dieu parmi les hommes, il va apprendre à Jésus son humanité.
De ce point de vue, je voudrais souligner un trait essentiel, mais peu relevé, de la sainteté de Joseph : Joseph est le modèle du laïc chrétien.
Oui, on peut dire que Joseph est le modèle du laïc chrétien, en raison de son lien avec l’Incarnation. D’un côté, il protège la mission sacerdotale du Christ « grand prêtre des biens à venir » (Heb 9). De l’autre, il soutient la consécration virginale de Marie son épouse et sa vocation maternelle.
Le mot laïcité fait aujourd’hui l’objet de débat, de polémique… mais à l’origine le mot « laïc » est d’origine chrétienne. Même si au fil du temps le mot « laïc » s’est laissé envahir par le sécularisme pour signifier le refus du sacré et du religieux, dans les premiers temps du christianisme, il n’en était pas ainsi : le laikos désignait une réalité interne au peuple de Dieu, une sécularité que tout chrétien doit assumer et vers lequel il est missionné. En effet, l’autonomie des réalités terrestres et matérielles ne signifie pas leur relégation loin de Dieu. Le Christ est venu tout racheter, tout récapituler en Lui (Eph 1). Au cœur du monde, par sa présence, son travail, ses engagements, le fidèle laïc assume une responsabilité : la transformation évangélique de la société. Dans une expression ramassée, Joseph Ratzinger, le futur Benoît XVI disait : « L’Eglise par définition, limite l’Etat. » En mettant en exergue, dans leur vie et leurs engagements, les valeurs suprêmes de la liberté de conscience, du respect de la vie, depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle, de soutien à la famille, de recherche de bien commun, de promotion de la solidarité avec les plus démunis qui sont nos frères, de protection de la maison commune qu’est notre terre et qui nous est confiée, les fidèles laïcs empêchent l’Etat et tout pouvoir politique de sombrer dans le totalitarisme, de transgresser les principes d’humanité que l’homme tient de Dieu seul.
Ce qui caractérise un fidèle laïc c’est d’être appelé par Dieu là où il se trouve déjà, à la différence du prêtre ou de la personne consacrée qui doit apprendre à porter le monde tout en s’en tenant à distance. La manière particulière de Joseph de se sanctifier consistera à assumer sa tâche professionnelle et paternelle là où Dieu l’a placé, à Nazareth, à se tenir dans le monde de son temps avec grâce près de Jésus et avec action grâce en participant humblement à sa mission de salut. Joseph, père nourricier de Jésus nous apprend qu’être laïc ce n’est pas seulement un apostolat à exercer, des tâches à développer, mais une manière d’être aux autres, de leur être présent, de les faire vivre par l’exercice de notre devoir d’état et par notre charité. A l’école de Joseph le « juste », être laïc c’est être sel de la terre par notre intériorité, c’est être lumière du monde par notre rayonnement. Pas d’abord faire, mais être. Se sanctifier en sanctifiant le monde.
Grâce aux laïcs l’Eglise se trouve représentée au cœur du monde mais également le monde se trouve présent au cœur de l’Eglise. Grâce à eux l’Eglise s’en va vers le monde pour l’assumer, le transfigurer… Et Joseph est la figure emblématique de cette tâche évangélique. En enseignant au Verbe fait chair la Tora, il apporte à celle-ci Celui qui accomplit la Loi nouvelle. En initiant l’Enfant Jésus au métier de la charpente, il fait entrer le Christ dans le monde du travail pour le sanctifier (et pour qu’il sculpte déjà le bois sur lequel il sera juché aux jours de sa Passion afin de sauver le monde).
Etre laïc chrétien dans un monde sécularisé, marqué par l’oubli de Dieu, c’est être présent à notre monde et le rejoindre, s’immerger, mais sans jamais s’y dissoudre. Pour reprendre la belle expression du pape François dans Evangelii Gaudium, c’est être « ferment de Dieu au sein de l’humanité ». Cette vocation du laïc à la sainteté dans le quotidien s’est déployé dans la vie de Joseph en autant de choix de vie, de fidélités, de conversions successives qui ont constitué la trame de son appel, le fil conducteur de son existence. Cet appel à vivre à habiter le monde sans être prisonnier du monde a réquisitionné toutes les facultés naturelles de sa personnalité pour les mobiliser au service de la croissance humaine de son fils adoptif, pour coopérer à l’avènement de son Royaume.
Comme travailleur, comme chef de famille, dans sa vocation de laïc, Joseph, père nourricier de Jésus, adhère au réel et à l’aujourd’hui (sans fuir dans la nostalgie du passé ni dans l’imaginaire du monde virtuel), mais en se laissant constamment dérouter par les imprévus de Dieu. Joseph a continuellement dû faire le choix de Dieu (Joseph a fait l’élection de l’élection de Dieu), quitte à éconduire ses projets personnels. Par exemple, avant l’apparition de l’ange, il renonce à épouser Marie qu’il aimait pourtant, pour ne pas faire ombrage au dessein de Dieu sur elle, parce qu’il découvre qu’elle porte l’enfant d’un autre, et que cet autre, c’est Dieu en personne. Joseph obéit sans réserve aux injonctions divines qui l’invitent successivement à prendre Marie chez lui, à fuir en Egypte, puis à rentrer au pays d’Israël.
Un ami moine me confiait que la Vierge Marie fait entrer dans l’inspiration (c’est-à-dire dans l’intériorité) et Joseph dans l’expiration, c’est-à-dire qu’il élimine, qu’il chasse ce qui distrait de Dieu. Gardien et protecteur, Joseph écarte le danger de quitter Dieu.
Joseph qui se révèle en 1660 ici au Bessillon, à un berger, à un laïc appelé Gaspard pour exercer une tâche très matérielle : soulever et déplacer une pierre. Il s’adresse à travers ce pâtre au laïc que la plupart d’entre vous êtes, pour vous rappeler d’une part la vertu de l’engagement, notre responsabilité chrétienne de transformer le monde, le soulever et le déplacer par l’exercice de notre « métier d’homme et de chrétien » ; d’autre part, la docilité aux appels de Dieu, le laissant agir en nous par sa puissance. D’un côté la force d’âme et de caractère. De l’autre, la disponibilité intérieure à la Providence divine. C’est sur cette ligne de crête que nous avançons à la suite de Joseph comme disciples et comme témoins, sur la route de la foi. « Agir comme si tout dépendait de nous ; prier comme si tout dépendait de Dieu », disait St Ignace de Loyola.
+ Dominique Rey
Messe au sanctuaire du Bessillon (Cotignac)
19 mars 2016
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