Par sa douceur, Joseph nous donne accès au Christ

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Homélie de Mgr Rey donnée à Cotignac le 19 mars 2005 pour la fête de St Joseph

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Par sa douceur, Joseph nous donne accès au Christ

A s’en tenir à l’Evangile, on sait si peu de choses sur St Joseph. Il ne parle pas et la Bible parle si peu de lui. Les récits hagiographiques, les apocryphes, les artistes ou romanciers ont brodé à loisir sur son compte, ont cherché à le rendre bavard, en inventant des récits imaginaires, en lui attribuant des discours pieux. On a voulu « exhausser » la sainteté de St Joseph, exalter la sublimité de ses vertus en oubliant la discrétion dont l’Ecriture l’entoure, comme pour le protéger, dans une enveloppe de silence en laquelle il semble s’être absorbé.

Mais attention, l’humilité vécue par notre patriarche à un degré inouï d’effacement ne le contraint pourtant pas à disparaître, ne le réduit pas à n’exister dans la vie de Jésus que comme un personnage falot, insignifiant. On a parfois présenté St Joseph comme un vieillard chenu, plus grand-père que père, en s’imaginant que la vertu de chasteté était plus concevable à l’automne de la vie ! On a dévirilisé Joseph.

Ou bien encore, certains l’ont présenté le plus possible à l’écart de la vie sociale afin de lui permettre de mieux garantir la vie cachée de Jésus à Nazareth. On oubliait au passage que l’artisan de Galilée vivait à l’intérieur d’un village, que personne n’ignorait son métier de charpentier, qui était à l’époque une profession qualifiée, à mi-chemin entre l’architecture et la maîtrise d’art, et le travail technique sur le bois, et que ce métier le mettait en relation avec toute la vie du village, aussi bien ceux qui commandaient un berceau ou un lit, que ceux qui entreprenaient la construction d’une maison ou la réfection et l’acquisition d’outils agricoles. Joseph était un des notables de ce bourg.

Le tout Nazareth avait connaissance qu’il appartenait à la fine fleur de la lignée daviddique, qu’il était d’ascendance royale.

Joseph n’était pas non plus un mari fictif, un faire valoir de Marie, un figurant marginal dans les récits d’enfance de Jésus. L’évangile de Luc ou de Matthieu le trouve déterminé, résolu, homme de décision, responsable de la Sainte Famille que Dieu lui a confiée.

Joseph fit assurément « une bonne affaire » le jour où Marie, toute jeune, accepte sa demande en mariage. Elle lui apportait alors une dot merveilleuse : sa consécration virginale. Ebloui par un tel don, Joseph, et à cause d’une telle grâce, son amour pour elle, devenait plus profond, plus intense, plus pur. Marie le tirait en avant de lui-même vers la source cachée de l’Amour : le Dieu d’Israël.

Joseph lui-même, apportait à Marie sa disponibilité, sa volonté d’être à Dieu sans éclat, dans la simplicité du cœur et l’esprit de détachement. Marie savait aussi que Joseph était un don de Dieu pour elle, et qu’il l’avait choisi selon son cœur pour protéger sa virginité. Mais les projets du Seigneur sont toujours plus vastes que ce que l’on peut en soupçonner ou imaginer. Avant l’Annonciation, Marie ne savait pas encore que le choix de Joseph se rapportait à sa propre maternité divine. Ce que Joseph n’était pas, par nature, Dieu le lui offrit par pure grâce : le don de la paternité spirituelle. Dieu a accordé à Joseph un cœur de père, en vue de l’humanité de son Fils Jésus, pour le garder et l’accompagner.

De quoi est faite cette paternité spirituelle dont Joseph fut investi ? Elle ressort de 4 traits.

L’autorité

Etymologiquement, le mot autorité vient du latin « augere » qui signifie augmenter, faire grandir. D’ailleurs, le mot « Joseph » en hébreu signifie celui qui rassemble, celui ajoute, celui au contact de qui on grandit.

Il n’est pas étonnant de lire dans l’évangile de Luc (à la fin du chapitre 2) que « Jésus descendit avec ses parents à Nazareth. Il leur était soumis…. Jésus progressait en sagesse et en taille, et en faveur auprès de Dieu et des hommes ».

L’évangéliste fait ressortir le rapport existant entre l’exercice de l’autorité (« il leur était soumis ») et le développement de l’enfant (« il progressait en sagesse et en taille »).

A l’image du Père de Cieux, Joseph détient une véritable autorité, celle qui se définit par le service de la croissance de l’autre.

Avec autorité, Joseph, averti en songe par l’Ange du Seigneur, décide de l’exil de la Sainte Famille en Egypte, puis de son retour en Palestine après la mort du roi Hérode. Avec autorité, fidèle à la tradition liturgique, c’est lui, Joseph, qui donne le nom à l’enfant, à l’occasion de la circoncision (Mt 1, 25).

Joseph se sait investi d’une tâche pédagogique et spirituelle. Il s’en acquitte avec courage, détermination, un sens aigu de la décision et de la responsabilité que le Seigneur lui a confiée. Et Jésus traite Joseph comme un père. Il lui réserve l’honneur et le respect qui est dû à sa mission. Jésus donne un exemple édifiant d’obéissance : « Il leur était soumis ».

Nous vivons dans une société où l’autorité, toute forme d’autorité, est mise à mal. L’autorité paternelle en particulier. On assiste à un licenciement de la paternité et au développement de 2 caricatures de la paternité.

  • Celle du père absent physiquement ou psychologiquement parce que réduit à l’état de géniteur ou de grand frère. Or une société sans père est une société sans repère. Une société insécure, car celui qui représente l’autorité et la protection a disparu.
  • Autre caricature : celle du père cruel qui exerce la contrainte et la coercition. L’autorité devient alors autoritarisme. Il assujettit, écrase, aliène. C’est le père castrateur. Hélas, l’actualité nous offre des exemples cruels et criminels de ce dévoiement de paternité.

Ces images détériorées de la paternité manifestent la crise actuelle de l’autorité.

Le témoignage de Joseph est thérapeutique. Il offre le modèle éloquent d’une autorité exemplaire vécue dans l’amour, la fidélité et le sens de la responsabilité que Dieu lui a confiée. Une sollicitude et un dévouement qui ont raison de toute forme d’égoïsme et de manipulation.

La justice

La paternité de Joseph est également riche d’une autre vertu : celle de la justice.

L’Ecriture dit de lui que « c’est un homme juste » (Mt 1, 19), c’est-à-dire un homme intègre, un modèle d’adhésion à Dieu.

Cette vertu de justice va permettre au père nourricier de Jésus de se comporter selon les exigences de la perfection morale dans les situations délicates et pénibles où la Providence va le placer.

Par exemple, il n’y a en lui aucune trace de jalousie lorsqu’il apprend la grossesse de Marie. Aucun soupçon ne l’effleure. L’âme de Joseph était si parfaitement exempte de suspicion, qu’il ne voulait pas causer la moindre peine à la Vierge, la dénoncer et la traduire en justice, selon les prescriptions pénales de la loi mosaïque. La sainteté de Joseph s’élève au dessus de l’application formelle de la loi. Il sait que la conception de Marie est l’œuvre encore mystérieuse pour lui de l’Esprit de Dieu. Alors, par amour pour elle et par respect pour le choix de Dieu, il se retire. Il laisse à « Celui qui s’est penché sur son humble servante ». Il renonce à répudier publiquement Marie. Il la renvoie « en secret », témoignant ainsi d’une délicatesse de cœur, d’une sagesse prudentielle, qui dépassait le cadre juridique de la stricte obéissance légaliste à la loi, pour une obéissance encore plus radicale : celle qui se rapporte au choix de Dieu.

L’inspiration de Joseph anticipe l’établissement du règne de la grâce qui supplante, avec le Christ, celui de la loi.

« D’où viennent les combats entre nous ? » s’interroge St Jacques dans l’épître qu’il adresse aux premières communautés chrétiennes (chap. 4). Et l’apôtre de répondre : « du cœur de l’homme ». « Vous convoitez et vous ne possédez pas. Vous êtes menteurs et jaloux et vous ne pouvez réussir : vous combattez et bataillez. Vous ne possédez pas parce que vous n’êtes pas demandeurs. Vous demandez et ne recevez pas parce que ce que vous demandez ne vise à rien de mieux que de dépenser pour vos plaisirs… Reconnaissez votre misère, prenez le deuil et pleurez. Humiliez-vous devant le Seigneur et Il vous élèvera. »

L’injustice source de violence, vient du cœur de l’homme : cœur partagé et dévoyé. Saint Joseph propose à notre monde malade de tant de violences et d’agressions (manifestes ou cachées), le remède de la justice (non pas la justice selon les hommes, mais la justice selon Dieu). La justice qui consiste à laisser à Dieu la première place dans nos vies et de tout ordonner à ce primat.

Dans notre siècle où la loi, celle du législateur, rend possible ce que la fidélité au Christ et à son enseignement réprouve, Joseph offre un témoignage éloquent de loyauté, de liberté, d’abnégation.

Son intériorité

Troisième trait de la paternité de Joseph : son intériorité.

Joseph est un homme silencieux. Il est docteur du silence par son silence. Il nous l’enseigne. Ce silence est retrait de toute parole humaine devant la Parole divine qu’il accueille sans réserve, sans commentaire. Tout discours humain serait de trop, tant la Présence de Dieu excède ce que l’on peut dire. L’inouï du don que Dieu lui accorde en lui confiant son Fils bien aimé, le rend muet d’admiration. Le silence de Joseph est un aveu d’impuissance devant la surabondance de l’amour de Dieu qui a pris un visage humain. Joseph est plongé dans l’accueil du radical de cette miséricorde dont Dieu a gratifié l’humanité pour la sauver. Et Jésus se cache dans ce silence de Joseph qui l’enveloppe et le protège. Ce silence est l’intériorité de sa paternité.

Sainte Thérèse d’Avila, la grande réformatrice du Carmel et docteur de la vie contemplative, se fit la grande promotrice du culte rendu à St Joseph dans la chrétienté occidentale, comme rappela Jean-Paul II dans sa lettre apostolique Redemptoris Custos. Et cela en raison de ce lien qui existe entre Joseph et la contemplation.

« Cette intériorité est l’autel du sacrifice absolu que Joseph fit de toute son existence aux exigences de la venue du Messie dans sa maison. Elle lui permet de mettre à la disposition des projets de Dieu, sa liberté, sa vocation humaine, son bonheur conjugal, d’accepter la condition, la responsabilité de chef de la Sainte Famille de Nazareth, de renoncer à l’amour conjugal naturel au profit d’un amour virginal incomparable. » (Jean-Paul II).

A l’instar de Joseph, notre société cherche des « pères » contemplatifs. L’intériorité qu’il nous propose n’est pas une introspection narcissique à la recherche de soi par un retour sur soi, mais une réalisation de soi par le don de soi à Dieu et à celui que nous recevons en son nom. « Quand on aime, l’âme est moins dans celui qui aime que dans l’être aimé » (St Augustin).

L’âme de Joseph est comme dilatée par l’excès d’amour et de vie, la plénitude d’être qu’il accueille en ce Fils de Dieu qu’il reçoit comme son propre enfant, et dans les limites physiques d’un corps en lequel se concentrent soutes les perfection divines.

L’intériorité de Joseph s’abreuve de l’intériorité trinitaire même du Christ contenue en son humanité et mise, en quelque sorte, à sa portée. L’intériorité de Joseph se creuse et se purifie par les épreuves et les incompréhensions que rencontre la mission impossible que la paternité divine a confié à sa paternité humaine, et qui l’amène à marcher dans la foi la plus pauvre.

Frères et sœurs, aux bruits et aux bavardages de notre temps, aux diktats de l’image qui inondent nos écrans de TV et d’ordinateur, le témoignage de Joseph nous ramène sur les chemins du cœur profond, au recueillement de la prière, à l’humble admiration devant le don de la vie et la beauté du monde, à l’agenouillement muet et désarmé face au Verbe fait chair, à la secrète confiance au cœur…. parce que l’on croit que l’Emmanuel, Dieu avec nous, nous rejoint et que sa présence miséricordieuse nous suffit.

La vertu de la douceur

Quatrième aspect de la paternité de Joseph : la vertu de la douceur.

Jésus s’applique à lui-même la béatitude de la douceur : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29).

Quelle est cette douceur dont Joseph est revêtu ? Cette douceur est d’abord l’opposé de l’orgueil. « L’âme ne peut trouver le repos qu’après avoir résorbé cette enflure fiévreuse qui la faisait grande à ses yeux, tandis que pour toi, Seigneur, elle n’était que malade » (St Augustin).

La douceur est le contraire de l’amertume. Elle suppose la mort de tout intérêt. La douceur est aussi patience à cette capacité de savoir souffrir, qu’est l’apanage des grands saints, de ces hommes et de ces femmes tellement établis en Dieu que rien de leur douleur physique ou morale, ou de la persécution qu’ils subissent, ne les détournent de Dieu.

Joseph manifeste de la douceur envers lui-même, envers Marie son épouse, et envers Dieu, envers aussi les ordres de Dieu. Jamais il ne se rebelle, n’argumente, ne revendique. Sa douceur est une docilité exigeante pour suivre Dieu coûte que coûte.

Cette docilité de Joseph est un défi et une contestation des tentatives de notre monde et de nos contemporains de se priver de Dieu, de conduire sa vie comme s’il n’existait pas, de chercher le bonheur comme s’il était à notre portée ou selon ses caprices, de réussir sa vie en se donnant à soi-même les règles du jeu et l’illusion de la réussite. Cette logique-là conduit à la mort.

Joseph, cet homme droit et juste, éveille notre intelligence et notre cœur à un autre chemin. Il parle d’expérience. C’est parce que Joseph se montre docile aux desseins de Dieu, soumis aux imprévus et obéissant aux injonctions de la Providence (souvent en dépit de ses projets), c’est parce qu’il accepte de prendre Marie comme épouse, d’aller en Egypte et ensuite d’en revenir…. qu’à force d’être fils (fils du Père céleste), il peut devenir père, père du Fils unique. La nourriture qu’il offre quotidiennement à Jésus, c’est de faire la volonté du Père (Jn 4, 34).

Le plus grand exemple de douceur que nous trouvons dans l’Ancien testament concerne l’homme le plus viril, le plus fort, qui eut la grâce de voir Dieu de dos : Moïse, le libérateur du peuple d’Israël. « Moïse était l’homme le plus doux que la terre ait jamais porté » (Nb 12, 3).

Joseph partage cette douceur des forts. Douceur qui convainc, qui apaise, qui rassemble, qui permet l’exode et donne la terre promise en héritage. « Heureux les doux, ils posséderont la terre » (M 5, 14).

C’est par sa douceur que Joseph nous donne accès à cette terre promise qu’est le Christ. Il nous en donne le goût, le gage et l’espérance.

+ Dominique Rey
Messe au sanctuaire du Bessillon (Cotignac)
19 mars 2005

 


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