On devient pĂšre en devenant dâabord fils
Homélie de Mgr Dominique Rey lors du pÚlerinage des pÚres de famille à Cotignac en juillet 2002.
« Nos paternels ont fui » expliquait un psychanalyste canadien Guy Corneau dans un livre intitulé « PÚre manquant, fils manqué ».
Absence ou déni de paternité ? Les psychosociologues et anthropologues étudient les motifs de cette crise de la paternité.
- On parle de malaise actuel des adultes vis à vis des nouvelles générations de jeunes : rupture générationnelle et culturelle.
- On invoque une montée du maternage, besoin de cocooning et de relations fusionnelles qui privilégient la relation maternelle. Le film « 3 hommes et un couffin » présente un ensemble de pÚres qui cùlinent, qui donnent le biberon, usurpent à la mÚre son rÎle.
- On souligne la crise de la masculinitĂ©. Dans une sociĂ©tĂ© du zapping, du roller ou de la glisse, on rĂ©habilite lâimage de « mĂąle prĂ©dateur », chasseur, la fuite dans le vagabondage et le dĂ©sengagement.
Deux caricatures de paternité coexistent :
- Le pĂšre absent physiquement ou psychologiquement. Une sociĂ©tĂ© sans pĂšre est une sociĂ©tĂ© sans repĂšre. Une sociĂ©tĂ© insĂ©cure, car celui qui reprĂ©sente lâautoritĂ© et la protection a disparu :
- Le pĂšre est absent car le pĂšre a Ă©tĂ© tuĂ©. Câest le siĂšcle oĂč Ćdipe, hĂ©ros de la mythologie grecque, est roi et qui sâoppose radicalement Ă Isaac. Abraham, lui, nâa pas tuĂ© son fils, il lâa offert.
- Le pĂšre rĂ©duit Ă lâĂ©tat de gĂ©niteur ou de grand frĂšre.
- Le pĂšre cruel, qui exerce la violence, la contrainte et la coercition. Son autoritĂ© devient autoritarisme. Il assujettit, aliĂšne, et Ă©crase. Câest le pĂšre castrateur.
Ces images dĂ©tĂ©riorĂ©es de la paternitĂ© sont porteuses de germes de violence, de nĂ©vroses et de pathologies, (en particulier, ils induisent lâhomosexualitĂ©). Elles dĂ©tĂ©riorent lâimage de Dieu et la juste relation Ă son Ă©gard.
Ce vacillement gĂ©nĂ©ralisĂ© du modĂšle patriarcal qui a façonnĂ©, des siĂšcles durant, les repĂšres familiaux, dâĂ©ducation et de transmission, cette faillite de la paternitĂ© nous invite Ă relire lâapport spĂ©cifique du christianisme comme une proposition originale de paternitĂ©.
1 â Le christianisme offre un modĂšle de paternitĂ© divine
« Dieu, personne ne lâa jamais vu ». Dieu demeure un mystĂšre, mais il est prĂ©sentĂ©, dans la tradition biblique, comme un pĂšre.
Certes, lâinnovation de Dieu comme pĂšre, nâest pas propre Ă lâAncien Testament, mais la Bible dĂ©finit essentiellement Dieu comme « un pĂšre ». Dâabord « pĂšre » de son peuple, puis pĂšre de personnages illustres (rois), enfin pĂšre de tous les hommes.
Dieu nâexiste dans la Bible quâen tant que PĂšre qui donne la vie et lâĂȘtre Ă un « autre » : son Fils.
- Dieu est pĂšre comme crĂ©ateur : il a fait le ciel et la terre et il lâa fait pour lâhomme. CrĂ©ateur, câest-Ă -dire origine, source, principe.
- Dieu est pĂšre car il est protecteur, provident, plein de sollicitude pour lâhomme qui sâadresse Ă lui Ă travers un nom aramĂ©en « Abba », papa : mot qui marque la tendresse, la proximitĂ©.
- Dieu est pĂšre car il est misĂ©ricordieux (parabole de lâenfant prodigue). Son amour est plus grand que ce qui nous sĂ©pare de lui, et son « mĂ©tier » est de sâapprocher de nous.
2 â Il y a en Dieu une image de la maternitĂ©
Cette reprĂ©sentation paternelle de Dieu ne dit pas tout de Dieu. En Dieu, paternitĂ© et maternitĂ© sont indissociables. (Is 49) « Une femme oublierait-elle son nourrisson ? » (Nb 11,12) MoĂŻse reproche Ă Dieu de lui avoir confiĂ© son peuple : « Est-ce moi qui lâai enfantĂ© ce peuple (mis au monde) ? »
Pour Dieu, les diffĂ©rences sexuelles sont transcendĂ©es. Il y a une complĂ©mentaritĂ© en Dieu entre dâune part les images maternelles dâintimitĂ©, de communion, de tendresse, et dâautre part, les images paternelles que soulignent la sĂ©paration, la prise de distance (cf. GenĂšse, Dieu crĂ©e en sĂ©parant) pour empĂȘcher la fusion. Tel est le sens de la loi et de lâautoritĂ© auxquelles est attachĂ©e la paternitĂ©.
Certes Dieu est tendre comme une mĂšre, et le mot misĂ©ricorde vient de « matrices », « entrailles », « utĂ©rus » (Chouraqui). Mais, si la Bible parle de Dieu au masculin, câest pour marquer et souligner la dimension dâaltĂ©ritĂ©, de transcendance qui lui est attachĂ©e. Dieu est toujours autre.
En observant dans diffĂ©rentes cultures les relations entre un jeune papa et son petit enfant, il est un geste symbolique universel : le pĂšre jette son enfant en lâair. Le bĂ©bĂ© est hilare, le pĂšre rit, la mĂšre est inquiĂšte « attention de ne pas lâapeurerâŠÂ »
Geste symbolique de sĂ©paration, dâarrachement Ă lâunion fusionnelle.
Un thĂ©ologien dĂ©finissait ainsi le pĂšre : « quelquâun qui incarne lâappel ».
- Oui le « pĂšre incarne » : la relation entre un pĂšre et un enfant est une relation charnelle (sans quâil y ait soupçon de pĂ©dophilie), diffĂ©rente de celle de la mĂšre. Lâenfant, si câest un garçon, aime Ă se bagarrer avec son pĂšre, le boxer. Il veut trouver un roc qui rĂ©siste.
- Oui, câest une parole dâappel. Cette prĂ©sence du pĂšre, bien sĂ»r, interdit lâinceste, la relation duelle avec la mĂšre, mais positivement elle invite au dĂ©passement, Ă aller plus loin, plus haut.
3 â Le christianisme nous invite Ă naĂźtre Ă notre filiation
Toute notre vie chrĂ©tienne est quĂȘte du PĂšre. Et mĂȘme si la relation Ă notre pĂšre a Ă©tĂ© blessĂ©e, endommagĂ©e (marquĂ©e par lâabandon ou par lâabsence), rien ne peut dĂ©raciner en nous cette image du pĂšre idĂ©al qui est toujours prĂȘte Ă affleurer.
Notre vocation est dâaccĂ©der au PĂšre.
Jésus nous en montre le chemin. Cette réconciliation avec le PÚre est également une réconciliation avec soi, avec les autres.
JĂ©sus est lui-mĂȘme lâimage du pĂšre « Qui mâa vu, a vu le PĂšre », lâicĂŽne de la paternitĂ© divine. Dans le discours aprĂšs la CĂšne, JĂ©sus sâadressant Ă ses disciples les appelle « mes petits enfants ».
Mais cette image du PĂšre quâest JĂ©sus, est unique. La filiation de JĂ©sus est de nature consubstantielle. Notre filiation est par participation, par adoption, le fruit de sa mort et de sa rĂ©surrection puisquâil nous ouvre lâaccĂšs au PĂšre.
A deux reprises, JĂ©sus ressuscitĂ© sâadressant Ă Marie Madeleine marque cette diffĂ©rence de filiation « je monte vers Mon PĂšre et votre PĂšre, vers Mon Dieu et votre Dieu ».
4 â Devenir PĂšre selon le cĆur de Dieu
On devient pĂšre en devenant dâabord fils. Câest respecter un ordre chronologique, gĂ©nĂ©rationnel. Câest honorer aussi un ordre spirituel et psychologique.
Dieu seul est pÚre et je ne deviens pÚre que par délégation.
Dieu seul, est pÚre, « le pÚre de qui toute paternité sur terre et dans le ciel tire son nom ».
Une autre phrase de lâEvangile est encore plus radicale « nâappelez personne « pĂšre » sur terre car vous nâavez quâun seul PĂšre qui est dans les cieux ».
Notre tentation est grande de nous prendre pour le CrĂ©ateur, Ă lâheure oĂč lâhomme a des capacitĂ©s scientifiques et techniques de maĂźtriser la transmission de la vie, Ă lâheure oĂč lâon « fait » des enfants, au risque dâen faire des « clones » ou des choses (instrumentaliser la vie).
Câest tout un art dâapprendre Ă recevoir la vie avant de la donner, de savoir ĂȘtre fils avant dâĂȘtre pĂšre.
Chacun de nous est créé en forme de fils et le restera toujours. Câest constitutif de la nature humaine. Nous resterons toujours des enfants pour nos parents, quel que soit leur Ăąge.
Un adulte qui reste un fils, câest quelque chose dâadmirable.
Quelquâun Ă qui il nâa pu ĂȘtre donnĂ© de rĂ©aliser sa filiation reste souvent malheureux, fragilisĂ©, inquiet, en quĂȘte de paix.
Saint Joseph offre une image stimulante dâune paternitĂ© forte, fĂ©conde, simple, docile aux appels de Dieu, tendre vis Ă vis de Marie, disponible Ă JĂ©sus pour lui apprendre son humanitĂ©, sa judaĂŻtĂ©.
En accueillant JĂ©sus, en exerçant sa responsabilitĂ© vis-Ă -vis de lui, Joseph entre dans le mystĂšre de la paternitĂ© de Dieu. Il lâexprime, lâincarne et en rĂ©vĂšle la profondeur. Vous pouvez compter sur son indĂ©fectible priĂšre et vous inspirer de son message.
+ Dominique Rey
EvĂȘque de FrĂ©jus-Toulon