Mgr Dominique Rey, un évêque libre
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À la tête du diocèse de Fréjus-Toulon depuis vingt ans, cette figure éclectique et dynamique de l’Église appelle les Français à puiser des forces dans leur héritage chrétien.
À peine remis d’une infection Covid qui semble l’avoir laissé vaillant, l’évêque de Fréjus-Toulon reçoit dans sa résidence épiscopale, sur les hauteurs de la ville portuaire, portail ouvert. En ce jour de la Toussaint, un fidèle a déposé au pied des marches un pot d’anthémis surmonté d’un mot laconique: « SVP. Pour la Vierge Marie. Merci. » Monseigneur Rey saisit de ses grandes mains le bouquet coloré et le place aussitôt dans sa petite chapelle personnelle, au pied d’une statue de la Vierge. Sur le mur d’en face, une imposante icône profanée représentant l’apôtre saint Paul est suspendue. L’image du visage barbu a été détruite d’un coup de marteau. Un étroit lambeau de bois qui garde l’empreinte de son œil perçant tient à la perpendiculaire. Offert en l’état, sous un verre, par une paroisse de Homs, ville de Syrie assiégée entre 2012 et 2016, ce vestige de la guerre rappelle la fragilité de toute chose. « L’incertitude qui règne depuis la fin du confinement a dissuadé 30% de nos paroissiens de venir à la messe, dit cet animateur d’une équipe de 250 prêtres. On a le sentiment d’être emportés par une houle dont on ignore la force. Cela provoque une situation d’effroi général. »
Assis à bonne distance sur un canapé beige en cette fin d’après-midi ensoleillée, le religieux que certains appellent le « pirate » de l’Église de France, pour sa liberté farouche, ou le « parrain », tant il sert d’incubateur à de nombreuses initiatives missionnaires et pastorales, adoucit son ton dès qu’il évoque le temps long : « L’histoire de l’Église va de chute en chute. Le christianisme naît d’un tombeau. Un tombeau qui devient un berceau, explique-t-il de façon énigmatique. La réalité de la mort, que certains croient pouvoir nier aujourd’hui, frappe notre société et donne une certaine puissance, je crois, au message d’espérance du christianisme. »
« Ces crises nous réveillent »
Outre le fanatisme islamiste qui a récemment pris des fidèles chrétiens pour cible, l’interdiction des messes décrétée par le gouvernement l’inquiète. Avec d’autres évêques, il a déposé un recours devant le Conseil d’État dans l’espoir que les paroisses et les lieux de culte de l’Hexagone restent animés, pas seulement de façon virtuelle, en cette période houleuse. « On a développé une expérience durant le premier confinement qui a porté du fruit, note-t-il. Mais on ne peut pas nier l’importance pour les chrétiens de se réunir, de prier ensemble et de communier. L’eucharistie est centrale et capitale pour nous. »
C’est le moment de dire notre foi, notre radicalité: témoigner d’un amour qui va jusqu’au bout.
Mgr Dominique Rey
Le reconfinement qui maintient les églises ouvertes sans cérémonies autres que celles des obsèques redouble l’anxiété des pratiquants qui puisent dans les offices une certaine paix. « Ces crises nous réveillent, nous contraignent à une purification. Elles nous indiquent qu’on ne peut plus se contenter de prestations sacramentelles. Au contraire, s’anime-t-il, c’est le moment de dire notre foi, notre radicalité : témoigner d’un amour qui va jusqu’au bout. »
À rebours d’une modernité qui individualise à outrance et « d’une société qui veut se construire par elle-même et s’affranchir du passé », Mgr Rey appelle à un sursaut dont le point de départ serait la famille, cellule première et fondatrice d’une certaine socialité et d’une interdépendance paisible. À 68 ans, cet homme d’Église éclectique, devenu prêtre en 1984 et évêque il y a 20 ans, est convaincu que l’on « s’adosse à un formidable patrimoine individuel chrétien, vieux de deux mille ans. Voilà une sève qui irrigue notre culture et notre propre histoire. C’est extraordinaire, on ne part pas de rien ».