Le chrétien en politique doit être une sorte de vigie

Elections : chercher le Bien Commun

Tribune dans La Croix

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, rappelle le rôle de l’Église face aux questions politiques, un rôle de vigie, dans une « démarche d’interpellation » pour accélérer la prise de conscience sur les questions « éthiques, anthropologiques et relatives au bien commun ».

 

La politique est l’activité par laquelle un peuple se gouverne lui-même. Elle n’est pas une fin en soi. L’Église invite à s’engager en politique pour nourrir la démocratie, dans une culture de débat, de responsabilité citoyenne et d’espérance, en prenant en compte les acquis et les défis de notre temps dans une vision à la fois universelle, singulière (liée à notre ADN national), mais également personnaliste, qui garantisse la dignité de la personne, depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle.

 

L’illusion du leader providentiel

L’Église n’a pas pour vocation de dicter les votes des citoyens, ou de confessionnaliser les échéances électorales en revendiquant la défense de ses propres intérêts institutionnels ou en entretenant l’illusion du leader providentiel. Elle ne se situe pas sur un plan partisan, mais dans la démarche d’interpellation. Sa parole invite à des prises de conscience des enjeux décisifs (éthiques, anthropologiques, relatifs au bien commun), comme le souligne la déclaration de la Conférence des évêques à propos du prochain scrutin présidentiel (« l’espérance ne déçoit pas »). Elle s’adresse à l’ensemble de nos concitoyens pour articuler avec audace et réalisme le principe d’humanité et le principe de responsabilité, les droits légitimes et les devoirs requis pour garantir le vivre-ensemble.

La crise du politique se constate aujourd’hui à l’aune de la perte du sens du collectif, de la polarisation idéologique des esprits et de la disqualification de l’offre politique, morcelée entre divers partis. L’objet de la politique n’est plus la poursuite d’un idéal commun et fédérateur qui dépasse les individus, mais la recherche managériale d’ajustements techniques entre les différents groupes de la population.

 

Principes non négociables

L’Église défend « la politique » au sens noble du terme, qui, en amont des déterminations partisanes, définit les conditions du vivre-ensemble dans notre société, et qui précède « le » politique, le jeu politique, et son discours médiatique. L’Église fait « de la politique » car elle cherche à promouvoir et à mettre en œuvre par un véritable débat démocratique, entre le rappel des principes non négociables et les défis complexes de notre époque, l’organisation sociale et politique la plus à même de favoriser « le vivre-ensemble » dans un esprit de justice et de charité.

« S’impliquer en politique est une obligation pour le chrétien », affirmait le pape François. Le chrétien en politique doit être une sorte de vigie. Présence incisive, parfois contestataire, mais aussi propositionnelle qui ne se dérobe pas au principe de réalité. Le chrétien lutte pour l’harmonie de trois corps : le corps individuel de la personne, le corps social et le corps environnemental, autour de quelques repères fondamentaux.

En premier lieu, l’attention à ce qui demeure. Face à une mentalité disruptive qui renie l’histoire, programme l’obsolescence, revendique le déracinement continu et la marchandisation de l’humain, l’Église rappelle que le respect de la vie et de la famille constitue la base anthropologique de la société et le premier repère éthique et éducatif du vivre-ensemble.

 

Fragmentation sociale

Une autre priorité de la politique est de porter le souci à ce qui relie et unit, dans un contexte de fragmentation sociale. La politique peu à peu s’est faite gestionnaire, davantage pourvoyeuse et protectrice de droits individuels et personnels de plus en plus étendus, que de projets collectifs. Il s’agit de veiller à ce que le bien commun ne soit ni la négation du commun au nom des individus, ni la négation de la personne au bénéfice de la communauté.

La responsabilité du bien commun incombe à chacun des groupes qui, chacun à sa place et à son niveau, composent la société. Par exemple, quand on vote aux élections, le souci du bien commun, et pas seulement de son bien propre, devrait être déterminant dans les choix politiques, évitant ainsi les motivations purement catégorielles ou corporatistes.

En troisième lieu, la politique doit veiller à ce qui fléchit et faiblit. Le défi de l’unité de la nation relève de la prise en compte du principe de solidarité et de l’option préférentielle pour les plus pauvres.

 

La qualité humaine d’une société

La qualité humaine d’une société se juge à la manière dont elle traite les plus vulnérables de ses membres et qui sont laissés au bord du chemin de la prospérité : personnes âgées, malades, mères célibataires, personnes handicapées, chômeurs, migrants… Nous ne pouvons être indifférents à aucune victime de notre société. Nous sommes responsables du respect et de la dignité de toute vie, de son commencement à son terme.

Parmi les différents sujets où notre société est en panne, et où la présence et le témoignage des chrétiens sont requis, on trouve la famille ; le souci des générations futures ; le respect de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, lorsqu’on est tenté de faire de la laïcité non plus un cadre mais un projet de société afin d’endiguer ou d’expulser le religieux de la sphère publique vers le domaine privé ; le droit au travail et à l’éducation pour tous ; la préservation de la planète.

Enfin il n’y a pas de saine politique sans attention à une gouvernance vertueuse. Le gouvernant doit porter lui-même une vision ou s’y inscrire. Il doit l’incarner dans sa vie personnelle et ses engagements ; la partager et l’attester à l’extérieur. Celui qui gouverne ordonne selon un bien supérieur que lui-même s’astreint à pratiquer. C’est à ce prix que son autorité est respectée et crédible.

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