L’actualité de la mission

actumission

Nouveaux chemins de Mission pour notre Diocèse de Fréjus et Toulon

Lettre Pastorale de Mgr Dominique Rey

Février 2001

 

SOMMAIRE

[A]. Introduction

[B]. À la source de la Mission

  • La Charité du Christ
  • Le Saint-Esprit
  • L’Église
  • Une Communauté de Foi

[C]. Une Mission à discerner

  • La Mission commence par un regard
  • Quel est le monde que nous avons à évangéliser ?
  • Discerner les signes de l’Esprit
  • Les ambiguïtés du Progrès
    • La santé
    • La fracture sociale
    • Violences et désocialisations
    • Les manipulations mentales
    • L’hégémonie de l’instant

[D]. La Foi engagée du Missionnaire

  • Le Missionnaire missionné
  • La Mission est une humanisation

[E]. L’actualité Missionnaire de l’Église

  • Une Institution discréditée
  • L’Esprit travaille en creux
  • La vitalité de l’Église
  • L’homme est avant tout religieux

[F]. Les déploiements d’une nouvelle pastorale Missionnaire

  • Trois priorités pour la Mission
    • La famille
    • Les Jeunes
    • Les Paroisses
  • Les critères de la Mission
  • Une imprégnation d’Évangile
  • Le témoignage fraternel
  • Le renouveau paroissial
  • Les nouveaux modes Missionnaires
  • La formation Missionnaire

[G]. Conclusion.

 

[A]. Introduction

1. Au cours de l’année jubilaire 2000, l’Église s’est mise en marche. « Un fleuve de vie s’est répandu sur l’Église », écrivait il y a peu le Pape Jean Paul II dans sa Lettre Apostolique Novo Millenio Ineunte. II concluait par un souhait : « il faut un nouvel élan apostolique qui soit vécu comme un engagement quotidien des communautés et des groupes chrétiens » (n° 40).

2. Cette adresse est un appel à mettre en œuvre « la nouvelle évangélisation ». Le rapport Dagens, la lettre aux catholiques de France, la dernière Assemblée plénière des évêques de France… sont autant d’appels à en prendre conscience et à nous investir sur de « nouveaux chemins Missionnaires ».

Puisse ce temps de carême entraîner les chrétiens, les communautés chrétiennes et tous les mouvements de ce Diocèse de Fréjus-Toulon à une prise de conscience plus vive de l’urgence de la Mission.

Mon prédécesseur, Mgr Joseph Madec, avait déjà donné une impulsion significative dans cette direction.

Que la prière, la réflexion et le partage nous aident à relancer ce qui est déjà entrepris, à le faire connaître, à le déployer, peut-être autrement ; mais aussi à ouvrir d’autres chantiers compte tenu des attentes nouvelles qui émergent dans l’Église ou dans la Société.

3. Je souhaite que cette lettre aide chacun à opérer une relecture et une mobilisation autour du thème de la Mission.

De quelle manière sommes-nous Missionnaires aujourd’hui ? Suis-je heureux de croire au point d’en témoigner autour de moi ? Ma vie donne-t-elle envie de croire ? Est-ce que je prêche plus par mes paroles ou par mes actes ? Si oui, comment ? Si non, pourquoi ? Qu’ai-je à donner ? Qu’ai-je à recevoir ? Qu’est-ce que Dieu peut ou veut dire au monde de notre temps ?…

4. Parler de « Mission » aujourd’hui, c’est parler de ce qui est au cœur de ma foi et de ma vie. « Annoncer l Évangile, ce n’est pas mon motif d’orgueil , c’est une nécessité qui s’impose à moi ; malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile » (1 Cor. 9, 16-17).

5. Au-delà des questions de communication, de langage, de méthodes, d’accueil ou de résistances, il s’agit bien de mon rapport personnel au Christ qui se trouve engagé dans la démarche Missionnaire  » Annoncer l’Évangile est une nécessité qui s’impose à moi « .

L’apôtre Paul nous invite à une conversion personnelle et communautaire à la Mission.

6. J’invite donc tous les chrétiens de ce Diocèse, soit personnellement, soit dans le cadre des paroisses, des divers mouvements et communautés, à lire et à partager avec d’autres cette Lettre Pastorale.

Cela pourra se faire, soit dans le cadre des groupes déjà constitués (conseils pastoraux, conseils de doyennés, groupes de prières, etc.), soit dans le cadre de groupes à constituer (par quartier, par paroisses ou doyennés…).

Les suggestions proposées dans le n°36 de la revue diocésaine « Église de Fréjus Toulon » aideront à la lecture et faciliteront l’échange.

 

[B]. À la source de la Mission

La Charité du Christ 7. À la source de la Mission, il y a la charité du Christ. L’Amour ardent du Père, le « presse » (selon la forte expression de l’apôtre Paul) vers une humanité à sauver, jusqu’à « donner sa vie en rançon pour la multitude ».

Cette charité rédemptrice traverse aussi l’Église, envoyée à son tour en Mission. Elle appelle chaque chrétien, à  » porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité, et par son impact, à transformer du dedans, à rendre neuve l’humanité elle-même  » (Evangelii Nuntiandi n° 18).

8. La Bonne Nouvelle n’est ni une morale, ni une sagesse, ni une idéologie, ni une doctrine, mais la personne vivante de Jésus-Christ « témoin fidèle » du Père qui nous communique, par le don de l’Esprit-Saint, l’Amour Infini de Dieu.

Cet Amour vient à notre rencontre par le baptême. Cet Amour est un Don de Dieu qui engage notre liberté à l’accueillir, à l’actualiser et à le transmettre par toute notre vie.

Le Saint Esprit

9. Ainsi, avant d’être une parole ou une action, la Mission est l’accueil de Jésus-Christ et de Son Esprit. La Mission commence au Cénacle.

Sans l’Esprit qui est l’âme de tout apostolat, l’évangélisation devient du prosélytisme, de la propagande, de l’embrigadement ou… une campagne de promotion.

Les disciples ne devinrent apôtres qu’au terme de trois années de fréquentation assidue du Christ, marchant humblement sur ses traces et témoins oculaires de sa Résurrection d’entre les morts. Au jour de la Pentecôte, par le Don du Saint-Esprit, voici qu’ils s’approprient ensemble et pleinement cette expérience du Salut, devenant désormais les acteurs de l’évangélisation.

Ainsi naît l’Église, habitée par l’Esprit et dont la Mission, à la suite du Christ, consiste à déployer en elle et dans le monde cette richesse et cette profondeur du Salut, à engendrer les hommes à la foi par les sacrements et la proclamation de la Bonne Nouvelle.

L’Église

10. « Évangéliser est la grâce et la nature propre de l’Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour Évangéliser » (Evangelii Nunciandi n°14). L’Église est toute entière Missionnaire, rappelle le Concile Vatican II (Ad Lentes n°2).

Le témoignage Missionnaire de l’Église n’est pas l’addition des initiatives et des réalisations de tous les chrétiens. Il est le témoignage du Christ rendu présent à son Corps et poursuivant en lui son œuvre de Salut, grâce à l’activité de ses membres.

La charité fraternelle rend sensible et visible cette Mission du Christ. Elle en est la source et la condition : « Comme toi Père tu es en moi et comme je suis en toi, que tous soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21).

La charité est le premier témoignage de l’Église : « Voyez comme ils s’aiment ». En effet, la Mission ne, naît pas du besoin des hommes (parce qu’ils ne connaissent pas le Christ ou que le monde est « mauvais »).

Elle naît de la nécessité interne de l’Amour de Dieu, du Dessein du Père, de communiquer sa Vie à tous les hommes, dans une relation d’Alliance.

Une communauté de foi

11. Le témoignage Missionnaire d’une communauté chrétienne est porté par sa foi au Christ, foi attestée et célébrée dans la célébration liturgique.

C’est la foi au Christ qui fait l’unité de la Communauté, au-delà des différences de culture, de race, d’opinion, de formation. Au cœur de la célébration eucharistique, la consécration définit le sens de la Mission chrétienne : faire advenir notre humanité à une réalité nouvelle, transfigurée par le Christ, et que l’on appelle le Royaume de Dieu. Comme pour le pain devenu Corps sacramentel du Christ, en notre humanité s’accomplit, sous l’action de l’Esprit-Saint et par la médiation de l’Église, la Pâque du Christ.

12. L’avènement de ce Royaume n’est pas simplement remis à nos efforts pourtant nécessaires de Solidarité, de Justice, de Paix et de Fraternité.

Tous ces efforts prennent corps et appui sur l’œuvre première du Christ, accueillie en nos vies, poursuivie dans le monde, et que l’Église a pour vocation d’annoncer, d’anticiper, de faire pressentir par la manière de vivre des chrétiens.

 

[C]. Une Mission à discerner

La Mission commence par un regard

13. Le regard de compassion que Dieu porte sur son peuple esclave de Pharaon : « J’ai vu la misère de mon peuple gui est en Égypte » (Ex. 3, 7). Ou de Jésus « Voyant la foule, Jésus fut ému de compassion pour elle, car elle était languissante et abattue » (Mt 9, 36).

14. Mais en son origine, le regard de Dieu sur l’homme est fait d’étonnement et d’émerveillement. « Dieu vit que cela était très bon » (Gn. 1, 31).

Seul l’Amour peut conjuguer d’une part cet éblouissement devant la Beauté du Monde, la vie humaine et les choses de la Vie, et d’autre part cette pitié face à ce qui altère cette beauté et la meurtrit.

15. Le Missionnaire porte un regard d’Amour sur l’Humanité. Il est rendu sensible à toutes les blessures dont tant sont secrètes et qui défigurent l’Image de Dieu inscrite en chaque être humain. II est prêt à risquer sa vie pour y porter remède.

Mais il sait également qu’il y a dans le monde plus de belles choses (c’est-à-dire dignes de l’homme) que de mauvaises, que l’Amour est plus fort que la mort, que du mal peut jaillir un bien insoupçonné. Le regard chrétien est un regard qui espère.

16. Quel est le monde que nous avons à Évangéliser ?

  • Un monde qui brille par ses promesses scientifiques et technologiques.
  • Un monde où la contrainte de l’espace-temps recule de jour en jour, grâce aux possibilités inédites de communication et d’échange des biens, des personnes, des idées.
  • Un monde tourné vers l’avenir et de plus en plus conscient, par la mondialisation, de son Unité.
  • Un Univers où le rapport de l’homme au monde et à lui-même se trouve bouleversé en raison des avancées techno-scientifiques.
  • Une société traversée comme une lame de fond par une aspiration à la liberté, à la libération, à la revendication de devenir sujet de droit (un droit au bonheur individuel), maître de soi, à l’affranchissement de tout ce qui pourrait contraindre et limiter…
  • 17.  » L’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la Lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’Elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la Vie présente et future, et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique » (Vatican II – L’Église et le Monde 4,1).

Discerner les signes de l’Esprit

18. Ainsi, en scrutant et en aimant le monde qui est le nôtre, l’Église discerne d’authentiques signes de l’action de l’Esprit-Saint à l’œuvre dans notre société. « On a trop oublié que le thème du progrès, qui gouverne notre histoire depuis les Lumières n’était que la laïcisation de l’idée judéo-chrétienne de Salut. Son fondement spirituel est religieux avant d’être scientifique ou idéologique » (Jean Claude Guillebaud – supplément au Nouvel Observateur du 24/10/98).

Ce progrès qui se déploie sous nos yeux s’organise dans la double reconnaissance de la valeur absolue de chaque être humain et de l’Unité du genre humain. L’homme y gagne en humanité.

Les ambiguïté du progrès

La santé

19. Et pourtant ce progrès est entaché de fractures. Le crédit accordé à la science est trompeur, car sans repères, elle peut créer ses propres dangers (cf. amiante, la vache folle, la listériose…). Elle peut également faire perdre l’idée de finitude, et conséquemment, le sens de la Vie humaine.

En matière de santé publique, l’occident cherche par exemple fébrilement à garantir sa survie, tout en s’avérant incapable à discerner les limites, d’en protéger les fondements. Au nom du droit à la santé, on gaspille des fonds qui permettraient à d’autres simplement de vivre (90% du total de l’argent consacré à la recherche médicale est destiné aux « maladies des riches »). On développe des traitements de plus en plus sophistiqués et coûteux, on subventionne le contrôle des naissances, les tests prénataux détectant la trisomie, favorisant l’avortement, sans référence aux valeurs fondatrices et garantes d’humanité, sans engager une profonde réflexion sur le pourquoi et le comment.

La fracture sociale

20. Il y a la « fracture sociale » : celle des banlieues livrées à la violence et à la marginalité, celle de l’homme privé de travail, de papiers, ou de toit, vivant dans la précarité…

Notre défi est celui de tous ceux qui sont oubliés.

Dans une économie de plus en plus mondialisée, des continents entiers sombrent dans l’oubli ou la misère.

Je pense à l’Afrique crucifiée par les guerres fratricides ou ethniques, le sida, la résurgence de la malaria…

Violences et désocialisations

21. Mais jaillissent aussi d’autres pauvretés morales et affectives. La promotion médiatisée de l’homme jeune, épanoui, disposant d’un corps athlétique et bronzé… livré à la pâture de nos écrans publicitaires, détonne avec la réalité de tant d’hommes et de femmes, de familles, de jeunes et personnes âgées laissés sur le côté de la vie, « mal dans leur peau », isolés (43% des adultes parisiens sont célibataires). Le suicide est la 2e cause de décès chez les jeunes (12 000 suicides en France l’an 2000) après les accidents de la route…

La crise de la famille favorisée par la remise en cause du cadre génétique qui le protège et garantit la transmission de la vie, alimente un vide affectif, des pertes de sens et de repères.

Le délitement de la cellule familiale (divorces, séparations…), sa constitution ou sa recomposition en dehors de l’acte constituant et fondateur du mariage est à mettre en rapport avec des phénomènes de violence, de désocialisation .

Une génération amnésique de son histoire et de ses référents anthropologiques devient « adolescentrique » (Tony Anatrella), voire pulsionnelle. Elle évolue dans un monde de confusion parentale, familiale et sexuelle, d’incertitude et d’insécurité affective où la logique pulsionnelle du désir exacerbé et charriée par la publicité, la télévision, Internet, et le marché, conduisent à des conditionnements de violence, et à des attitudes de plus en plus agressives : violence dans le sport ou à l’école, violence conjugale , violence à la TV ou dans des quartiers difficiles érigés en « zones de non-droit »… En France, l’année 2000 enregistre une augmentation record de la criminalité et de la délinquance (+ 5,7%).

Les manipulations mentales

22. Mais il est aussi des violences plus insidieuses et, pour être cachées, d’autant plus dangereuses. Si notre liberté physique ou politique n’est pas menacée, par contre notre liberté de conscience et notre liberté intérieure sont en péril. Une formidable pression s’exerce à notre endroit et sévit via les médias. Elle s’organise autour de schémas de pensée ou de comportement. Une convergence idéologique latente émerge sous l’influence de la mondialisation. Elle promeut des modèles marqués par le libéralisme, l’hédonisme, une certaine absolutisation de la science (« on peut, donc on doit faire »).

À force d’entrisme soutenu et bien placé, ces écoles de pensée imposent leurs analyses, leurs dialectiques, leurs vocabulaires, leurs réflexes, leurs conditionnements… Sous couvert de « tolérances », de « modernité », de « démocratie », « d’égalité hommes/femmes », du « droit de disposer de soi », « des défenses de valeurs républicaines »… on exclut toute forme de débat qui opposerait des arguments différents, des idées critiques qui bousculeraient le « prêt à penser » caricatural et grégaire dans lequel sont enfermés beaucoup de leaders d’opinion. Terrorisme intellectuel ? Manipulation ? Censure ? Les libertés fragiles qui manquent de distance, de mémoire et de référents, s’accommodent facilement d’une prise en charge idéologique conformiste et rassurante de la part du « prêt à consommer » culturel.

23. La Bonne Nouvelle est bien une évangélisation de la liberté et de l’intelligence face à ces phénomènes d’autisme culturel, massifs et bien orchestrés, où la voix discordante et dissidente a du mal à se faire entendre, sans se faire, d’avance, disqualifier.

L’hégémonie de l’instant

24. Notre culture privilégie le rapport à l’instant, l’égoïsme et la pulsion de l’instant. La démolition du cadre juridique protégeant la famille et le respect absolu de la vie, dans des situations où elle devrait être défendue et accueillie parce que plus vulnérable (à son germe et à son terme). Les réformes toujours différées des retraites, du système de santé. La refonte sans cesse reportée du système éducatif. Une certaine complaisance face aux risques écologiques. Le recours massif à la dette publique…

Tout ceci illustre, à l’échelle des décisions publiques (et bien au-delà des positionnements politiques), le transfert, en douce, sur les générations futures, du coût de nos non-choix, ou des choix politiquement et socialement « corrects ».

À cela s’ajoute des courbes démographiques inquiétantes, qui traduisent les difficultés idéologiques de notre société vieillissante, à se projeter vers le futur ou à l’investir, autrement que sous l’angle des succès scientifiques et technologiques.

25. Comment humaniser notre rapport au temps et à la durée ? Dans un univers pluraliste et mobile, cette  » jouissance et cette avidité de l’instant « , soutenue par le consumérisme et l’érotisation, est en réalité profondément mortifère. Elle véhicule des peurs archaïques et des doutes profonds sur soi, sur son identité psychique et spirituelle. Elle favorise parfois des fanatismes ou des intégrismes qui voudraient bien, fusse par les armes, que le temps s’arrête un peu, ou retourne en arrière.

L’absence de repères dans un environnement en perpétuelle évolution, les incertitudes morales de l’essor technique, le sentiment d’écrasement et d’irresponsabilité devant les changements que l’on ne maîtrise pas, ou que l’on n’a plus le temps d’assimiler et d’intégrer, contribuent à rapatrier l’individu sur soi, à se désintéresser des autres, à se recroqueviller sur son confort, ses envies, ses caprices, son bonheur particulier sans pouvoir adhérer à un « réel » complexe, fuyant, et surtout « sans âme ». Des fuites sont toujours proposées dans le virtuel (via Internet), l’imagination, les jeux ou la quête surnaturelle…

26. Toute une religiosité sauvage fleurit. Le religieux fait irruption sur les ruines des religions traditionnelles. II n’y a pas eu en réalité disparition du religieux, mais une réorganisation de celui-ci en une recherche sauvage, disséminée où l’on grappille ça et là pour satisfaire les tendances capricieuses de son ego.

La quête de Dieu se dilue dans l’engouement affectif et éclectique pour le dévotionnel, l’extraordinaire, la superstition, des attitudes magiques et fétichistes toujours orientées vers la quête d’harmonie intérieure et l’épanouissement de soi, en rupture avec la réalité du monde.

Dieu est ramené à soi. Cette aventure spirituelle, à prétention pseudo scientifique, est une illusion. Elle cache une idolâtrie.

 

[D]. La foi engagée du Missionnaire

27. « Des espaces culturels de grande importance n’ont pas été rejoints par l’annonce de l’Évangile » (Redemptoris Missio n°37). Comment l’Évangile peut-il se frayer un chemin dans un contexte marqué par la sécularisation, où la foi devient une opinion parmi tant d’autres, où le repli individualiste jette un soupçon sur toute forme d’institution et de morale et de dogmes où l’Église se trouve marginalisée souvent discréditée, où ses prises de position sont dénigrées… Comment l’homme peut-il survivre à la mécanique idéologique et socio-économique de laquelle il voudrait s’échapper ?

Le Missionnaire Missionné

28. La première personne rencontrée par la Mission c’est le Missionnaire lui-même. « Tout Missionnaire n’est authentiquement Missionnaire que s’il s’engage sur la voie de la sainteté » (Redemptoris Missio n°90).

Ainsi le concile Vatican Il invitait-il « tous les chrétiens à une profonde rénovation intérieure, afin qu’ayant une conscience vive de leur propre responsabilité dans la diffusion de 1 Évangile, ils assument leur part dans l’œuvre Missionnaire » (Ad Gentes n°35).

29. Le contexte d’indifférence religieuse ou d’hostilité réclame un engagement de foi plus authentique. Cette « rénovation intérieure » marque le passage d’une attitude croyante reçue par tradition et par héritage, à une implication personnelle. II faut faire le choix de Dieu car « on ne naît pas chrétien, on le devient ». Là où il est accueilli, l’Évangile inaugure un nouvel ordre des réalités. Il fonde une existence nouvelle : chrétienne et ecclésiale.

30. La vie associative est fondée sur le principe d’adhésion.

Comment est-il vérifié dans le cas de nos communautés chrétiennes ? Implicite, souvent informel et inconsistant, il a besoin d’être actualisé, affirmé, conforté. Les confessions dominicales du Credo, les démarches sacramentelles, en particulier la confirmation, les parcours catéchétiques… devraient être autant de lieux d’identification et de vérification de l’engagement chrétien.

L’évangélisation des baptisés est au centre du dispositif Missionnaire qui doit être mis en œuvre dans nos communautés. Il existe des situations ou des événements qui constituent des points de contact où l’on rejoint, au-delà du voile de la routine ou de la patine des préjugés et de la pudeur, cet « abrupt de la foi » (Guy Cocq), c’est-à-dire l’expérience de la révélation de Dieu en Jésus-Christ.

Pensons au témoignage de tel ou tel nouveau converti ou recommençant, dont l’existence a été soulevée par la rencontre saisissante avec le Christ. Pensons à des circonstances particulières de notre vie qui sont des moments « de vérité » : la naissance, la découverte et la célébration d’un Amour, la mort…

31. L’expérience de Dieu est sans condition. Elle implique une détermination radicale envers le Christ qui sollicite note liberté la plus profonde, notre « oui » (« L’Église naît dans le silence, par le OUI de Marie » – Card. Suenens). Notre témoignage s’enracine dans ce lieu où la foi commence à naître. Le témoin, en se livrant lui-même, relit et à restitue cette vie nouvelle qui l’a, un jour, radicalement saisi.

32. « Chrétien, deviens ce que tu es » (Tertullien). L’Évangélisation est un processus de christianisation progressive de notre sensibilité, de notre intelligence, de notre intériorité, de notre vie relationnelle, de notre rapport au temps, à la vie, au travail, à l’Amour, à la souffrance, à la mort… Il s’agit d’une évangélisation de tout nous-même à partir d’un contact fondateur avec le Christ (reçu par le baptême) puis actualisé par autant de seuils de conversion, de purification, d’approfondissement, de prises de conscience.

33. Cet engendrement, à l’image de Dieu, que nous portons en germe depuis notre baptême, façonne l’itinéraire de toute notre existence humaine. La communion avec le Christ devient progressivement plus simple, plus essentielle, plus prégnante : « Ma vie, c’est le Christ » (Ph. 1, 21 ; Gal. 2, 20). Le disciple n’est pas celui qui est parvenu au but, mais celui qui apprend toujours à vivre de ce qu’il a reçu, à travers même ses fragilités et ses doutes.

La Mission est une humanisation

34. Ce chemin de sanctification est un chemin d’humanisation puisqu’il nous rend à nous-mêmes. Cet un avènement de soi, à soi. L’apôtre Paul en décrit le bénéfice  » l’Amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance… (Ga. 5, 22).

Ces fruits de l’Esprit sont autant de paramètres qui permettent d’authentifier l’expérience chrétienne comme une voie d’épanouissement humain, pas simplement « malgré » les épreuves, mais « à travers » elles.

Ces fruits font signe, ils portent témoignage auprès de ceux qui en sont privés.

35. La prière régulière, la vie sacramentelle (en particulier l’Eucharistie et le sacrement de Réconciliation), la participation à des retraites et récollections spirituelles, la fréquentation de groupes de partage et de révision de vie, l’engagement dans des services caritatifs et militants… constituent des lieux privilégiés où cette évangélisation de nous-mêmes, par le Christ, est propice.

Notre prochain est bien souvent une médiation efficace par laquelle la Parole de Dieu nous rejoint et nous sollicite.

 

[E]. L’actualité Missionnaire de l’Église

L’Église est le Corps du Christ. Il en est la tête, mais aussi la Vie

Une institution discréditée

36. L’expression sensible de la sécularisation, est la désaffection et le discrédit portés sur l’Église institution : « Jésus, oui ? l’Église, non ! », clament beaucoup de nos contemporains.

Cela n’empêche pas certains d’entre eux de solliciter discrètement sa présence, sa prière ou son aide ! On lui reproche un conservatisme rétrograde en matière de morale familiale ou sexuelle, son dogmatisme étroit, les erreurs de son passé, son caractère « ringard » par rapport à la revendication de la liberté hédoniste qu’exprime l’individu contemporain. On évoque son esprit de croisade et son prosélytisme.

37. Les sociologues concluent à une détérioration rapide de la situation de l’Église de France aussi bien en termes quantitatifs que qualitatifs d’emprise et d’influence sociale et culturelle. On se rassure à bon compte en évoquant la crise de la militance qui frappe aussi les organisations politiques et syndicales. C’est beaucoup, en comparaison de sa situation il y a 30 ou 40 ans.

Les sphères innovantes de la société et de la culture sont désertées par les catholiques, en particulier la création artistique, la vie littéraire, les débats publics de société.

L’Esprit travaille en creux

38. Mais, plus qu’on ne le soupçonne, l’Esprit travaille en creux notre monde sous formes d’attentes, de requêtes, sur un fond d’insatisfactions.

Notre « société de consommation », de relativisme moral, d’éclectisme de la pensée, d’incertitudes de la science… ne peut assumer les vraies questions posées par la quête de sens et de repères fondateurs d’humanité. Le décès des grandes utopies met aujourd’hui le christianisme dans une posture inédite de contestation et de recours, d’autorité morale, à l’heure où vacillent souvent dans le clientélisme ou d’affairisme, les autres pouvoirs.

Face aux périls qui menacent l’être humain dans son identité et dans sa liberté, seule la revendication de sa dimension sacrée et transcendante est en mesure de le sauver de la mécanique des déterminismes socio-économiques et biotechnologiques dans lesquels on menace de l’enfermer et de le broyer.

L’expérience fulgurante des nouveaux convertis est démonstrative du dynamisme pascal par lequel la grâce de Dieu peut ouvrir un avenir nouveau, et rendre l’être humain à la liberté.

Les 25 millions de pèlerins qui ont convergé du monde entier jusqu’à Rome au cours de l’Année jubilaire, n’ont pas vécu un événement éphémère et émotionnel de ferveur, mais une authentique démarche de renouveau spirituel préparé souvent de longue date, onéreux en temps, en argent, en actes souvent obscurs de conversion et de réconciliation.

39. Les 2,3 millions de jeunes massés autour du Pape Jean Paul II l’été dernier dans le cadre des JMJ (dont 1 000 jeunes varois ! ) n’étaient pas tous des convaincus, des pratiquants ou des habitués… Un certain nombre, j’en témoigne, avaient des rapports distants avec l’Église. D’autres se situaient en marge ou à l’écart. Dix jours durant, ils ont pris, sur leurs vacances et dans des conditions rudimentaires de vie, le temps d’un pèlerinage, d’une révision de vie, d’un partage fraternel. Quelques uns, en rupture avec leur milieu familial ou amical, ont découvert le Christ et son Église.

La vitalité de l’Église

40. Le nombre croissant de « recommençants », de catéchumènes, l’engagement significatif des laïcs dans l’Église, la Société et l’action militante ou associative, les demandes spirituelles des nouvelles générations, l’émergence des nouvelles communautés et des mouvements ecclésiaux éveilleurs de vocations sacerdotales et de vie consacrée… témoignent de la vitalité de l’Église et de la présence agissante de l’Esprit de Dieu.

Dans un monde privé de raisons de vivre et d’espérer, la puissance de transformation et de Salut du Christ continue d’être à l’œuvre. « Le problème de l’absence du Christ n’existe pas. Le problème de son éloignement de l’histoire de l’homme n’existe pas », répétait Jean Paul II en 1980 au Bourget.

L’homme est, avant tout, religieux

41. Plutôt que d’augurer le déclin inexorable du christianisme, l’observateur minutieux du fait religieux repérera les déplacements et les mutations dans l’expression de la religiosité, et dans l’investissement du sacré.

Le développement des sectes et des ésotérismes témoigne des résurgences sauvages, aléatoires et dangereuses de la religiosité non assumée institutionnellement.

42. Un courant laïciste, étriqué et arrogant et dont l’anticléricalisme voir « l’anti-christianisme » (discours inaugural du Cardinal Billé à l’assemblée plénière des évêques de France à Lourdes en novembre 2000) semble anachronique, en tout cas ignorant de l’ancrage historique du christianisme en Occident, relaie complaisamment le cliché du déclin du christianisme dans la société entière.

Peu respectueux du pluralisme culturel et idéologique qui caractérise notre société démocratique, ce courant sous estime le poids des facteurs spirituels. Peut-on parler d’un déclin fatal du Christianisme ?

Tout un discours envahit l’espace médiatique pour programmer, avec la disparition des grands idéaux totalitaires, l’effondrement des grands systèmes de sens. Les efforts de l’Église pour attirer les nouvelles générations (JMJ) entretiendraient l’illusion, sporadique et sans lendemain, d’un regain. La disparition en réalité serait inéluctable : les églises continuent de se vider, les pratiquants de vieillir, les vocations à se raréfier… Ce refrain n’est pas nouveau.

En 1881, Casimir Perier, ministre de Louis Philippe, disait à un prêtre : « Bientôt vous n’aurez plus autour de vous que des vieillards ! ». Après 20 siècles de christianisme « la nouveauté du Christ » (Irénée de Lyon) a-t-elle été dépassée, s’est-elle émoussée ?

43. La nature humaine proteste vigoureusement contre les conformismes et les prêts à penser qui évacuent ou oblitèrent les vraies questions. Où trouver du sens ? De la transcendance ? De l’intériorité ? Où et comment apprend-on « l’art de vivre » ? Quel est le vrai chemin du bonheur pressenti ? Où trouver la « vraie vie » par delà la « vie vraie » ? Où trouver des points d’appui dans l’existence ? Des lieux de vraie écoute ? Sur quelles bases fonder le « vivre ensemble » alors que la crise de la famille et la privatisation de l’existence recroquevillent l’individu dans un souci sécuritaire de soi ?

44. Nos contemporains prennent peu à peu conscience qu’on ne se détermine pas par la pure raison. Le Mystère de l’au-delà, la transcendance, le sacré, le surnaturel, les fins supérieures, la vie intérieure sont indispensables à une philosophie de l’homme. « L’homme passe l’homme » (Pascal). Le religieux attire, car la dimension religieuse est constitutive de l’homme. Nier ou évacuer ces requêtes spirituelles, c’est favoriser leur errance dans le fanatisme ou la névrose. Les attentes qu’elles signifient méritent d’être évangélisées.

45. L’évangélisation ne doit pas se comprendre d’abord comme une stratégie de transmission d’héritage ou encore de restauration d’une société de chrétienté idéalisée.

La Mission de l’Église consiste plutôt à faire se rencontrer la nouveauté de l’Évangile avec notre société contemporaine, marquée par l’incertitude, l’effacement des utopies de progrès, et l’apparition de nouveaux espaces d’attente et de questionnements.

Il s’agit, dans notre société, de repérer les énergies disponibles, d’en accompagner les dynamismes, de rappeler aussi, avec audace, les urgences de conversion et de purification et les lignes de rupture.

Trois priorités pour la Mission

46. La culture Missionnaire qui doit être mise en œuvre dans notre diocèse implique un redéploiement de notre dispositif pastoral autour de trois priorités : les jeunes, les familles, les paroisses.

  • Ces paroisses sont des lieux d’expression de la foi d’une communauté.
  • Les familles, des laboratoires de charité, d’un vivre ensemble, dans l’enracinement, dans une histoire.
  • Les jeunes portent l’espérance de la société et de l’Église.

L’Église dit une parole originale et pertinente pour notre temps, en raison de la place qu’elle donne aux jeunes, aux familles et à la présence croyante et confessante des paroisses.

Les critères de la Mission

47. Ces trois priorités feront l’objet d’un travail spécifique en vue de mettre en place un dynamisme Missionnaire. Je m’attache ici, de manière transversale, à présenter les axes de discernement et d’engagement nécessaires à toute Mission.

 

[F]. Les déploiements d’une nouvelle pastorale Missionnaire

1. La Mission est une « imprégnation d’Évangile »

48. Dans la logique de l’Incarnation, la Mission chrétienne est présente à notre monde.

 » C’est de nous plier aux manies de notre époque quand elles sont sans malice. C’est d’avoir le costume de tout le monde, les habitudes de tout le monde, le langage de tout le monde.

C’est lorsque l’on vit à plusieurs, d’oublier d’avoir un goût et de laisser les choses à la place que les autres leur donnent.

La vie devient ainsi une sorte de grand film au ralenti. Elle ne nous donne pas le vertige. Elle ne nous essouffle pas. Elle ronge petit à petit, fibre par fibre, la trame du vieil homme, qui n’est pas recommandable et qu’il faut totalement renouveler  » (Madeleine Delbrel  » Nous autres gens des rues  » p 65).

Une présence active

49. De quelle manière, les chrétiens sont-ils présents à la culture, à la vie de ce monde et à ses combats ? Cette présence est participation, partage de vie, solidarité… Elle est donc active. Elle accepte de prendre des responsabilités dans un contexte où prime le chacun pour soi. Elle décide de s’engager au nom des valeurs évangéliques de justice, de paix, d’entraide, dans la vie associative, la gestion de la cité, la militances, la vie professionnelle, sociale ou de quartier.

En quoi l’Évangile informe, éclaire et enrichit ce type de présence ? Sous quel mode s’exerce-t-elle ? Au crible de ces interrogations, l’Église nous invite à caractériser notre présence au monde  » sans être du monde  » (Jn17,14). S’agit-il de philanthropie, de bienfaisance, de générosité ? Ou bien, à travers ma présence, de la présence même de Jésus, présence pascale et rédemptrice ?

50. Cette présence du chrétien, seul ou en communauté, peut être humble, effacée, insignifiante à l’échelle des besoins qui s’expriment. Mais elle réalise efficacement la visibilité discrète de l’Église qui veut servir l’homme, et le conduire au bonheur de Dieu. La parabole de la graine de moutarde nous enseigne, qu’à partir du dérisoire, le Seigneur fait merveille !

Une présence parfois contestatrice

51. Si l’Amour de notre prochain et de notre société nous conduit à la présence, celle-ci ne s’inscrit pas toujours dans la continuité. Entre d’une part, les attentes et les attitudes des hommes et d’autre part, le message évangélique, il peut exister des lignes de rupture.

L’Église et les chrétiens devront les assumer socialement, médiatiquement, professionnellement, familialement.  » On ne peut pas servir deux maîtres  » (Lc16,13). L’Amour consonne avec la Vérité et elle n’est pas toujours reçue.

La Mission peut être contestation, dénonciation des compromis faciles et lénifiants qui portent atteinte à la pureté du message évangélique, à son radicalisme, à sa vérité.

Nos communautés et les familles doivent s’interroger sur l’aide à apporter, en particulier auprès des enfants et des jeunes, pour affronter avec détermination la dérision, le discrédit, ou une persécution larvée, en raison de leur fidélité à leurs convictions de foi, ou à leurs comportements moraux.

2. Le témoignage fraternel :  » L’Église, c’est ma maison « 

52. « L’Église, c’est ma maison » me disait fièrement un jeune catéchumène. Le contexte de décomposition de l’espace social est pris en tenaille entre deux processus : d’une part, une tendance à la mondialisation des réseaux de production et de communication de biens et de valeurs (les mêmes produits, les mêmes images et les mêmes musiques sont diffusés pour des centaines de millions d’habitants de la planète) ; d’autre part, le mouvement de privatisation, lié à l’individualisme. Ce tiraillement donne toutes ses chances à un concept de « communauté chrétienne ».

53. II faut remarquer par ailleurs, que ces deux processus, globalisation/individualisme, convergent vers l’anonymat, l’indifférence à l’autre : « Lorsque vous êtes tous ensemble dans le métro, vous n’avez presque rien en commun », me confiait un interlocuteur africain.

54. La « Communauté chrétienne » est fondée sur la fraternité qui conjugue l’expérience de la socialité du groupe et l’expression de la personnalité de chacun.

L’Église, tissée par la fraternité, devient un champ d’expérimentation de ce que toute la société devrait être amenée à vivre.

De la fraternité à la communion par le Christ

55. La communion fraternelle ne repose pas sur une concordance d’opinions, ni sur une connivence de projets, des affinités intellectuelles, culturelles ou morales, ni encore sur un même style de vie, une éducation identique, mais sur le Christ. C’est Lui qui est à la source et au principe de cette communion. La finale de l’Évangile de Matthieu « Je suis avec vous jusqu’à la fin des temps » (Mt 28, 20) n’est pas une promesse du Christ d’accompagner les disciples qui partent en Mission. Mais l’inverse : c’est dans la mesure où il est avec eux, l’Emmanuel, que les disciples sont entraînés dans un élan Missionnaire qui, à partir du Christ, les traverse et les envoie. Et l’injonction de baptiser et d’enseigner qui leur est prescrite découle de cette communion Missionnaire avec le Christ.

56. Notre manière de vivre en frères et sœurs témoigne de la Paternité de Dieu. La communion n’est pas une coexistence plus ou moins pacifique, ni une cohabitation obligée ou convenue, ni un groupement fusionnel qui formerait « tribu » par clonage ou assimilation.

C’est un « écosystème » ouvert. Une famille où l’on respire la fraîcheur de l’Évangile. Un espace où la différence devient richesse, et où l’on apprend à endiguer, par la parole et par le Pardon, les rivalités et la violence. Un foyer où chacun est accepté avec ce qu’il est et pour ce qu’il est. Une maison où le petit mérite attention et sollicitude, et où chacun a besoin des autres. Un milieu de vie, un espace vital où la reconnaissance de soi ne porte par sur l’intérêt, l’efficacité, le savoir, le pouvoir ou la richesse… mais sur « l’attention pure à l’existence de l’autre » (Lavelle). Cette fraternité, qui est communion, est constitutive de la Mission.

Une pluralité de communion, mais des composantes communes

57. Les expressions de cette vie communautaire sont variées. Il y a d’abord la famille (l’Église domestique) qui est la communauté sociale de base, lieu d’enracinement et de construction de la personne, fondée sur l’Amour indéfectible des parents.

Puis, toutes les expressions plurielles de la vie fraternelle (communautés religieuses, groupes de partage et de vie, équipes de prêtres, ou mixtes prêtres-laïcs, équipes d’Action Catholique, aumôneries de jeunes, écoles de vie ou d’évangélisation…) pour peu que l’on donne à cette notion de « fraternité » le sens d’une appartenance mutuelle, et dont la consistance se vérifie autour de quelques composantes structurantes :

  • Le sens de « l’autre »,
  • L’accueil de la grâce,
  • Le lointain devient prochain,
  • Le sens du réel,
  • La relation au temps,
  • Le partage de la joie.
  • Une vie de prière,
  • La place de la Parole,
  • Le sens de « l’autre ».

58. Par la fraternité, je découvre que « l’autre » n’est pas à conquérir ou à séduire mais à accueillir. Cela suppose un certain retrait de soi. Je ne choisis pas « l’autre », il m’est donné par Dieu et par l’Église comme un chemin de Vérité, de connaissance de soi, de croissance, de questionnement, de sanctification… et je prends conscience, peu à peu, que je suis à mon tour, et tout autant, responsable de la croissance et de l’épanouissement d’autrui.

Le sens du réel

59. La parabole de l’enfant prodigue (Lc 15) est adressée à l’homme moderne dont la prétention est de transgresser les limites (fuir la maison du Père) qui nous retiennent car elles nous définissent. II s’imagine trouver, par ce dépassement, le bonheur pressenti et l’ivresse de la liberté acquise.

Au contraire, la vie fraternelle fonctionne sur la logique de l’acceptation de soi, des limites des autres, de la contingence de la vie commune. Elle délivre une pédagogie du réel : adhérer aux êtres tels qu’ils se présentent ; se méfier du virtuel dans lequel nous nous projetons complaisamment comme pour se fuir, refuser les illusions mensongères, ou la régression dans la nostalgie mortifère.

La fraternité nous aide à devenir l’ami de soi, à « habiter » paisiblement son humanité.

Une vie de prière

60. L’activisme et le sentimentalisme (nos états d’âme !) absorbent et éparpillent nos disponibilités intérieures. Il est difficile de se réunir en soi, dans un espace de respiration intime et d’intégration. De même que la prière personnelle est le foyer de la  » chambre intérieure en laquelle je me retire  » (Mt6,6), la prière partagée est au cœur de la vie fraternelle et familiale. Faute de quoi, celle-ci perd son âme et son souffle. L’accueil de la Grâce

61. La vie fraternelle est en contradiction flagrante avec la logique marchande et prévaricatrice qui prévaut dans beaucoup de relations interpersonnelles. L’appât du gain, la course au pouvoir, le désir insatiable, l’agressivité de la compétition, le goût du futile… s’opposent radicalement au sens de la gratuité, de la générosité désintéressée, du partage sans contrepartie.

Au contraire, on n’a pas peur de l’autre. II est un cadeau de Dieu. Le sens de la « grâce » et du don provoque l’émerveillement, éveille à la louange, enseigne le respect. Ce sens de la « grâce » se déploie dans une éthique fraternelle de vie sobre et solidaire et où l’on est plus l’otage du rapport à l’argent.

La relation au temps

62. Au cœur de notre société, rythmée mécaniquement par le diktat de l’horloge et le compte à rebours fébrile, suffoquant et angoissant de nos agendas surchargés, la communauté propose une « christianisation du temps ».

Il y est vécu sous le mode de la fidélité, de l’espérance, et de la valeur de l’instant présent (« qui a l’instant présent, a Dieu » – Thérèse d’Avila).

Chaque seconde est unique, non reproductible. Dieu et le prochain nous y fixent rendez-vous.  » Ce n’est pas en tirant sur l’herbe, qu’elle pousse « , la durée a le prix incontournable des germinations intérieures, habitées par une présence agissante. Même si rien ne se voit au dehors. Et l’espérance qui « ne déçoit pas » traverse nos existences chaotiques avec leurs orages et leurs intempéries.

La liturgie des « heures », les moments de rencontre et de partage (repas, soirées…) constituent au centre de la vie fraternelle une écologie chrétienne du temps. Un temps habité et humanisé. De même, la place accordée dans une communauté aux personnes âgées, dit la valeur du temps.

La place de la parole

63. L’hyperactivité et l’isolement nous privent de la parole et de lieux de parole vraie. Sevré de discours tapageurs ou racoleurs, l’homme d’aujourd’hui est « comme immunisé contre la parole » (Evangelii Nuntiandi n°42). La fraternité enseigne la grammaire et la déclinaison de la parole. Apprendre à dire « je », « tu », « nous » sans tricher, sans risquer le jugement ou l’ironie facile. Apprendre à écouter plus qu’à entendre.

La fraternité éduque au sens de la parole (temps d’échange et de dialogue) et à croire à la parole. Grâce à elle, je comprends que la Parole quand elle est inspirée par Dieu peut bouleverser une existence humaine et qu’elle est source d’une force nouvelle (cf. Rm 1, 16 et 1Co 1, 18).

Le « lointain » devient prochain

64. Le pauvre trouve toujours une place (une assiette, un lit, une disponibilité) dans une communauté chrétienne. C’est la place même de Jésus reconnu en lui (Mt 25). La fraternité est une chance pour celui qui est frappé par la détresse. Du plus lointain qu’il vienne et d’où qu’il revienne, il sait un regard qui l’espère ou une main qui toujours se tendra.

Cette dynamique du pauvre place la communauté en « posture d’extériorité », d’attente, d’écoute. Elle l’immunise contre la tentation du repli et du recroquevillement frileux.

Au contact du pauvre, nos propres fragilités apparaissent. II est révélateur du chemin que nous avons encore à parcourir, tout autant que des réconciliations que nous avons à faire avec nos pauvretés cachées.

Le partage de la joie

65. La vie fraternelle engendre la joie d’être ensemble. Cette joie ne nous exempte pas des tensions, des incompréhensions inévitables, des épreuves. Elle ne nous les épargne pas, mais elle les assume. Elle est fille de l’humilité, de la tolérance et de l’espérance.

Dans un monde morose et désenchanté, le témoignage d’une joie non surfaite ou non artificielle évangélise ceux qu’elle rencontre.

66. Toutes ces expressions de la vie fraternelle et communautaire sont à valoriser et à soutenir dans l’Église. Son architecture repose sur leur déploiement.

Il revient aux parents, dans les familles, aux prêtres, dans le cadre de leurs responsabilités ministérielles, aux acteurs pastoraux, animateurs de groupes de vie, de prière et de mouvements… de vérifier la mise en œuvre de toutes ces composantes évangéliques dont l’impact Missionnaire est aujourd’hui tout à fait considérable.

3. Le renouveau paroissial

67. L’Église se vit et « se dit » dans la paroisse. Dans un univers mobile, la paroisse constitue un point visible et objectif de fixation et d’identification de l’Église.

La perspective Missionnaire rencontre et traverse aujourd’hui la paroisse à partir de quelques principes directeurs :

  • La paroisse : lieu de visibilité de l’Église,
  • La paroisse : lieu d’accueil,
  • La paroisse : lieu d’expression de notre vocation,
  • La paroisse : lieu de la liturgie,
  • La paroisse : lieu d’évangélisation de la piété populaire,
  • La paroisse : lieu de guérison,
  • La paroisse : lieu de transmission de la foi,
  • La paroisse : lieu de solidarité,
  • La paroisse : lieu d’évangélisation des étapes de la vie.
  • La paroisse : lieu de visibilité de l’Église

68. L’Église, comme institution souffre d’un déficit de visibilité. Elle est marginalisée. Dans bien des situations, seul le bâtiment église lui donne une reconnaissance visuelle et sociale. Cet édifice fait référence à une histoire, à un enracinement, à une mémoire.

69. L’évangélisation passe par l’usage de ce lieu chargé de symboles, référencé dans l’inconscient collectif et dont l’architecture marque une place dans la cité.

Le soin apporté à la tenue des lieux, l’atmosphère de recueillement, le goût simple dans l’agencement et l’ordonnancement de l’espace liturgique… contribuent à valoriser la dimension sacrée, propice au silence et, à la méditation.

En dissonance avec le monde du bruit, de la dispersion, de la provocation ou de la fascination visuelle des objets et des corps, l’esthétique et l’atmosphère doivent entretenir la prière et faciliter le rassemblement de soi.

70. L’évangélisation peut amener à mettre en valeur le lieu par des expositions, des concerts, des spectacles… Ils ne doivent pas empiéter sur l’usage cultuel de l’église ou de la chapelle. Ils devront s’inscrire en cohérence avec l’affectation cultuelle des édifices mettant en valeur le patrimoine culturel et religieux.

Par quelle prise de parole, la communauté accueillante pourra, au cours de ces manifestations (souvent suscitées ou gérées de l’extérieur) délivrer un message, établir un contact avec une assistance qui, pour la plupart, se tient à distance de l’Église ?

La paroisse : lieu d’accueil

71. Dans certaines églises, des espaces d’accueil ont été spécialement aménagés pour recevoir le « tout-venant ». Ailleurs, des paroissiens se relaient pour assurer un gardiennage, tout au cours de journées ou de demi-journées… Prenant en compte les nécessité de sécurité et les risques de vandalisme ou de vol, la paroisse aura à inventer des solutions pratiques pour « habiter » et valoriser, du mieux possible, l’église bâtiment.

72. L’accueil est une fonction primordiale de la paroisse. C’est aussi un acte Missionnaire. De l’informatif (obtenir des renseignements), il évolue rapidement vers l’écoute de confidences… Attention, discrétion, disponibilité, compassion sont requises pour exercer cette tâche. Une formation à l’accueil/écoute, est conseillée avant d’entreprendre ce service.

Certaines paroisses ont mis en places des structures d’accompagnement spirituel et psycho-spirituel gérés par des religieux ou des laïcs, préalablement habilités et Missionnés pour ce type de service. Ils agissent avec le mandat du curé. Ils articulent et relaient leurs propositions d’accueil spirituel avec des démarches de réconciliation sacramentelle.

73. L’Église doit progressivement s’équiper de telles instances d’accueil. Il est impérieux de pouvoir couvrir les demandes croissantes de soutien que génère un monde blessé et anonyme, frappé par la solitude et le mal être, tandis que décline le nombre de prêtres qui peuvent exercer un ministère de conseil ou de direction spirituelle.

Une solide formation pastorale, spirituelle et psychologique est requise au préalable. De même, convient-il de définir précisément le contenu de l’accompagnement (ce n’est pas un entretien psychologique ou psychothérapeutique ou une démarche pseudo-sacramentelle !).

La paroisse : lieu d’expression de notre vocation

74. La vie baptismale doit pouvoir pleinement se déployer au sein de la paroisse. De quelle manière organiser des propositions de cheminement, de formation, d’approfondissement, d’accompagnement pour tant de baptisés qui ont besoin d’être avant tout « évangélisés » ? Quelle démarche catéchuménale, post-catéchuménale, mystagogique déployer ?

75. La célébration liturgique a son rythme et son « style » propre. À ses débuts, le recommençant peut éprouver quelques difficultés à y entrer.

Quels lieux sont effectivement disponibles pour offrir un véritable cheminement de foi, en dehors de la proposition liturgique ?

76. Des réponses existent. Par exemple, les groupes de prières. Ils sont animés par des communautés nouvelles, ou à l’initiative de paroisses ou de particuliers.

Dans la mesure où ils répondent à des critères reconnus d’ecclésialité, ils offrent une proposition reproductible sur la base de quelques paramètres : la convivialité, la chaleur du groupe, l’intégration du corps et de l’émotion, le caractère spontané de l’expression, l’accueil du tout-venant, le rythme régulé des chants d’inspiration biblique, des espaces de recueillement, l’écoute de la Parole, suivie de partages. Des modules de formation de type plus spirituel ou biblique sont quelquefois proposés.

77. L’accès direct à la Parole de Dieu et à l’adoration du Saint Sacrement mettent les participants de ces assemblées en présence immédiate d’un Dieu qui se fait proche. II parle au cœur et accueille toute détresse. Fréquemment, la prière se construit autour de cette mise en présence conjointe (Parole, Eucharistie) qui est une expérience à la fois intime et communautaire de la Miséricorde de Dieu.

Au cœur de la prière, une grande place est accordée à l’accueil de l’Esprit-Saint. Les animateurs invitent souvent l’assemblée à des démarches spontanées et à apporter des réponses concrètes de conversion et d’engagements.

78. Le souci pastoral du prêtre accompagnateur est d’intégrer harmonieusement cette dynamique spirituelle à la vie de la paroisse (éviter une communauté à deux vitesses, ou pire deux communautés adjacentes, voire concurrentes).

Beaucoup de vocations sacerdotales ou religieuses ont éclos dans le terreau porteur de ces groupes (formels ou informels) qui proposent en définitive un réveil de la vie baptismale (appelée préparation à l’effusion de l’Esprit).

La paroisse : lieu de la liturgie

79. La liturgie est le lieu de rencontre communautaire et sacramentelle avec le Mystère du Christ qui y est rendu présent et dont on célèbre les Mystères. La liturgie est un espace Missionnaire au cœur de la vie de l’Église puisqu’elle y exprime sa tension vers Dieu, faite de louange, de supplications, de silences… autour de la proclamation de la Parole et de la célébration du mémorial de la Pâque.

80. La beauté, la transcendance, le recueillement prévalent sur le bavardage, la phraséologie et l’explication (celle-ci quand elle est indispensable doit demeurer discrète et sobre). Beaucoup de nos contemporains, à l’occasion d’une messe, sont sensibles à l’expérience du sacré qui filtre dans la liturgie.

L’homme, si souvent encombré de lui-même, rencontre un Mystère qui le dépasse et en même temps le sollicite du dedans. Il a accès à Dieu.

81. Commentaire familier de la Parole de Dieu, l’homélie devra s’adapter à des assistances et à des cultures religieuses variées. Elle devra être audible (attention à la sonorisation !), accessible à tout public (idées simples, phrases courtes), crédible, c’est-à-dire nourrir l’intelligence de la foi.

Il y a le contenu : la foi de l’Église, et non pas l’opinion du prédicateur. Il y a la conviction, l’adhésion à ce que je proclame et affirme et le ton engagé (sans être emphatique ou théâtral) qui l’exprime, et aussi les images. La prédication dominicale est pour la plupart des pratiquants l’unique lieu de formation chrétienne et d’ancrage dans la vie ecclésiale.

En dehors de la messe, de quelle manière (non pas alternative, mais complémentaire) inciter les chrétiens à prendre le temps de se former, d’approfondir leur foi et leur culture religieuse ? Des lectures (livres et journaux paroissiaux), des stands au fond des églises, des cours (IDFP), des conférences, des groupes d’approfondissement spirituel, de prière et de partage… peuvent être proposés.

La vie chrétienne implique au moins en dehors de la messe, d’autres ancrages.

82. La célébration liturgique du Jour du Seigneur qualifie le « dimanche » du sceau de la Résurrection. Le dimanche marque, dans le calendrier de chaque semaine, la place de Dieu. Il faut « rechristianiser » le dimanche dans nos familles et nos communautés.

N’avons-nous pas à inventer des moyens de nous réapproprier ce jour de repos, de prière, de partage, de fraternité. ? (cf. « Dies Domini » sur la sanctification du Dimanche). Il en est de même pour toutes les solennités qui ponctuent l’année liturgique.

La paroisse : lieu d’évangélisation de la piété populaire

83. « Si la piété populaire est bien orientée, surtout par une pédagogie d’évangélisation, elle est riche de valeurs. Elle traduit une soif de Dieu… Elle rend capable de générosité et de sacrifice jusqu’à l’héroïsme. Elle comporte un sens aigu de certains attributs de Dieu : la Paternité, la Providence, la Présence Amoureuse et Aimante… Elle engendre des attitudes intérieures rarement observées au même degré : patience, sens de la croix, détachement, ouverture aux autres, dévotion… » (Evangelii Nuntiandi n°48).

84. Pèlerinages, processions, visites de sanctuaires… autant d’expression d’un christianisme traditionnel diffus qu’il convient de ré-évangéliser.

Le vaste public qui fréquente occasionnellement, ou régulièrement les lieux de pèlerinages, les dévotions individuelles dans les églises ou les chapelles… appellent des propositions communautaires d’accueil, de prise en charge liturgique ou para-liturgique.

Cette religiosité « sauvage », quelquefois très fervente, dans bien des cas, rituelle, interpelle l’Église, pour qu’elle fasse droit à la dimension mystique de la vie croyante, qu’elle ne met pas suffisamment en exergue.

Évangéliser le désir religieux est une urgence pastorale. Aux fins de monnayer les richesses de notre patrimoine, il nous faut désensabler les sources de notre grande tradition mystique et retrouver les auteurs spirituels.

La paroisse : lieu de guérison

85. L’Évangile témoigne de la manière dont le caractère propre au Salut (sotériologique) de la foi chrétienne se déploie dans des œuvres de guérison et de délivrance accomplies par le Christ.

À la lumière de la parabole du Bon Samaritain (Lc 13, 30), l’Église peut s’identifier à une hôtellerie, où les soins sont gracieusement prodigués (le Bon Samaritain payera à son retour). L’huile de la joie et le vin de la ferveur, illustrent les qualités médicinales qui lui sont nécessaires.

Tant de gens blessés, déchirés dans leur vie familiale ou relationnelle, meurtris dans leur psychisme et dans leur affectivité, en « mal être », trouvent dans l’Église une écoute désintéressée, l’hospitalité fraternelle et bienfaisante et surtout la Paix du Ressuscité (Jn 20, 19) que le monde ne peut pas connaître (Jn 14, 27).

86. Un large dispositif curatif est proposé depuis toujours par l’Église pour soulager et guérir les blessures du psychisme, du corps et de l’âme sacrements (Confession, Eucharistie, Onction des malades), adoration eucharistique, exorcisme, prières de guérison et de délivrance, exercices ascétiques de pénitences et de jeûnes, pèlerinages, aumônes, sacramentaux… Ce large éventail appelle toujours une démarche éclairée de foi dans le Christ (médecin de nos cœurs), une conversion personnelle, un suivi spirituel.

Une récente instruction de la Congrégation pour la doctrine de la foi fixe les règles de vigilance pastorale au sujet des  » prières de guérison « .

87. Le terrain thérapeutique est « glissant ». Tant de sectes et de groupes ésotériques y font recette. Dans la claire conscience des rapports complexes entre foi, psychologie, médecine, l’Église dans sa plus lointaine tradition spirituelle (Pères du désert), apporte le secours de sa sollicitude et de sa compassion, avec discernement et courage.

Dans les limites pastorales et spécifiquement spirituelles qui sont les siennes, elle doit s’approprier, à frais nouveaux, une réflexion théologique et une pratique pastorale sur ces « outils thérapeutiques » aujourd’hui exploités et récupérés par des spiritualités suspectes ou dangereuses.

Le processus de conversion, jamais achevé, est un cheminement de guérison, de réconciliation avec soi-même, avec les autres et avec Dieu, afin de recouvrer la liberté intérieure et de renouer la relation avec le prochain.

Ce processus est une évangélisation progressive de soi, en s’appuyant sur la dynamique du Salut et du Pardon, offerts par le Christ en son Église.

88. L’ensemble du Corps Social (familles, entreprises, communautés sociales, relations internationales…) souffre de maladies graves violences, injustices, exploitations…

Ces structures collectives de péché ont besoin aussi d’être guéries. La « thérapie chrétienne » s’appuie sur le Pardon de Dieu et les pas de conversion entre les hommes, des réconciliations (cf. purification de la mémoire), des réparations et le dialogue confiant.

Cette évangélisation de notre humanité blessée et des profondeurs de notre conscience malade trouve son origine dans le Sacrement du Pardon. Le pénitent fait mémoire d’un passé qui obture son avenir, dans le cadre d’un libre dialogue avec le confesseur et sous le sceau du secret.

89. Enfermé entre un infantilisme, qui combine demande de sécurité absolue et de prise en charge, refus de toute obligation contraignante, et par ailleurs une propension à la « victimisation » (« responsable mais pas coupable », chacun se sent l’objet d’injustices), l’individu tend à évacuer et disqualifier toute notion de péché, de culpabilité. « L’enfer, c’est les autres » ou le système. Cette innocence autoproclamée nous enferme dans la justification de soi et nous prive de l’accueil de la Miséricorde. Il n’y a pas d’entrée possible dans le Pardon de Dieu, sans la reconnaissance en nous du péché et de la faute.

Le monde du péché nous déshumanise car il est rupture de fraternité et de liberté dans l’Esprit. C’est un monde d’idolâtries, de peurs relationnelles, de violences avérées ou larvées, de dévoiement de la sexualité, d’attitudes régressives et figées, de manques de souffle…

L’Église dans une même annonce, nous expose à la Vérité exigeante du Christ et au Pardon offert, qui seul libère.

La paroisse : lieu de transmission de la foi

90. Parents, enseignants, catéchistes sont conviés ensemble à une tâche éducative : former ensemble une communauté de foi et de témoignage fondée sur la prière, l’écoute de la Parole de Dieu, la vie sacramentelle et le partage. L’unique souci est la croissance spirituelle et humaine de l’enfant. Il s’agit de transmettre la foi et le « mode d’emploi » de la foi.

Comment doser, équilibrer d’une part l’annonce du « kérygme » (la première annonce) et d’autre part, la « didaché » (l’effort catéchétique de formation) ? Comment initier une expérience personnelle du Christ certes à destination des enfants, mais d’abord pour les catéchistes et les parents, quand ils sont peu convaincus ou impliqués ? Comment former à la première annonce et au témoignage des personnes qui, privées de manuels et de parcours, éprouvent quelquefois tant de difficultés à rendre compte de leur propre chemin de foi et de Salut ?

91. L’élan Missionnaire que nous voulons imprimer à la pastorale catéchétique doit aborder de plain pied ces interrogations. Il nous conduit aussi à réexaminer le rythme et le contenu de l’initiation chrétienne : Baptême, Confirmation, Eucharistie.

92. La transmission de la foi est plus qu’une « instruction religieuse », qui elle, relève de l’ordre de la connaissance ou de la culture. Elle s’exprime par le témoignage de vie (qui vaut tous les discours) de la part des parents, de l’enseignant et du catéchiste.

L’annonce de la foi n’est pas la simple proposition d’une doctrine ou la répétition distraite des vérités à apprendre, mais la prise de position personnelle de la manière dont l’Esprit saisit, construit et unifie notre existence aujourd’hui.

Il nous faut rendre compte de cette inscription et de cette incarnation déjà réalisée en nous, de la Parole de Dieu. Même si elle est encore balbutiante et incomplète.

En rendre compte, non seulement dans un témoignage ponctuel, mais par toute notre manière d’être, de parler, d’écouter, de patienter, d’espérer.

La véracité de notre témoignage tient à l’adéquation entre notre agir extérieur et notre vie intérieure que nos convictions de foi attestent.

93. Les jeunes soulignent le décalage entre le langage de l’Église qu’ils taxent volontiers de « langue de bois », ou de « tribu », et celui de la vie ou de la rue.

Un effort considérable d’expression, de formulation, de communication et de culture reste à faire pour transmettre le message, sans pertes de fond.

La paroisse : lieu de solidarité

94. Chaque chrétien est appelé à faire l’option préférentielle pour les pauvres. II reconnaît en ceux-ci la Présence du Christ souffrant et compatissant. Cette Présence du Christ identifie et spécifie l’action solidaire comme une proposition Missionnaire, qui ne relève pas ainsi d’une simple philanthropie et générosité humaine, aussi utile soit-elle. Cette charité du chrétien s’enracine dans l’Esprit des Béatitudes. La prière, le travail d’équipe, l’attention autant à la personne aidée qu’au service à accomplir, le parti pris de l’Espérance d’une possible transformation, une communion spirituelle, s’enracinent dans la vie eucharistique.

L’offrande du Christ pour le Salut de tous nous enseigne que la fidélité et la compassion vont jusqu’à l’oubli de soi.

95. Le témoignage de présence et d’apostolat auprès des personnes en difficulté est un signe éloquent, souvent effacé, de la délicatesse de Dieu. Il ne nous oublie jamais. C’est une invitation à se tourner vers Lui. Et quand les circonstances le permettent, à se confier à lui dans la prière commune (groupes de prière avec les blessés de la vie…).

Le contact avec la misère et la souffrance « évangélise » aussi les bénévoles, puisque Jésus se donne à voir dans le pauvre (Mt 25, 40).

96. L’Église doit toujours rester attentive à l’émergence de nouvelles pauvretés (solitude, déchirures familiales…). S’ouvrent alors de nouveaux champs Missionnaires.

C’est ainsi que beaucoup de chrétiens, à l’intérieur même de l’Église et de la foi chrétienne qu’ils professent, se sentent exclus en raison de leur choix de vie, de leur état de vie (divorcés, remariés, concubins, homosexuels…) Ils vivent, comme un rejet ou une marginalisation, la logique sacramentelle de l’Alliance sur laquelle se fonde le choix pastoral et théologique de l’Église. Nos communautés, à travers des groupes d’accueil et d’accompagnement, ont à trouver des modalités de participation et d’intégration spécifique qui mobilisent les ressources baptismales.

Un chemin de sanctification peut s’ouvrir par le don de soi, la prière et le service.

97. Par cercles concentriques, la solidarité dessine le visage d’une communauté où la communion se vit au quotidien. Pas seulement à l’égard de l’exclu, mais aussi entre fidèles baptisés eux-mêmes, au cœur de la paroisse : temps de rencontres à domicile ou à la fin des messes (le verre de l’amitié, les tables jubilaires), événements festifs et conviviaux qui scandent la vie de la communauté, l’accueil des nouveaux venus, des enfants nouveaux nés, des fiancés ou des jeunes époux, démarches de prière et de fraternité lors des deuils…

Ainsi vit et témoigne une communauté à « visage humain » et où l’Évangile façonne un art de vivre ensemble.

98. La solidarité Missionnaire est Catholique par son sens de l’Universel. Cette catholicité ouvre notre Église, comme au temps de l’apôtre Paul, au souci de l’Universel.

En ce temps de carême, le CCFD, au nom des évêques de France, le Secours Catholique tout au long de l’année, et bien d’autres organismes, mobilisent vers les plus lointains et les plus pauvres, notre prière et notre charité.

La paroisse : lieu d’évangélisation des étapes de la vie

99. L’Église prend en charge liturgiquement les grandes étapes de la vie humaine : la naissance, la célébration de l’Amour humain, la mort. Ces rendez-vous essentiels engagent particulièrement la question du sens. Ils interpellent l’Église sur la question de Dieu et sur les repères fondateurs de l’existence. La foi y est latente ou patente, ou simplement question posée.

Comment rendre accessible, compréhensible et significatif le contenu chrétien de l’engagement que réclame toute demande sacramentelle et liturgique, auprès de personnes qui n’ont pas de pratique habituelle et d’expérience chrétienne ? Ou encore peu de culture religieuse ? Ou bien encore incapable d’assumer réellement la démarche qu’ils désirent accomplir ?

Doit-on célébrer le sacrement lorsque ceux qui désirent le recevoir ne sont pas disposés durablement à le prendre en charge en dépit de leurs pétitions de principe, de leur bonne volonté ou des pressions familiales ?

Une telle démarche individuelle doit se référer à trois critères : la relation avec le Mystère du Christ, le lien avec la communauté ecclésiale, le rapport avec l’histoire et l’enracinement humain et familial du demandeur.

Ces demandes, fort nombreuses dans la vie des paroisses, nous imposent de trouver et de créer des lieux de première annonce et de cheminement catéchuménal.

100. En ce qui concerne les funérailles, le travail accompli par la Pastorale du Deuil et la Communion Saint Lazare ouvre la voie à une mobilisation des paroisses et aumôneries d’hôpitaux autour d’une évangélisation des familles endeuillées.

En France, près de 80% des obsèques sont toujours religieuses, alors que seulement 50% des nouveaux nés sont baptisés. Cet attachement à la ritualisation des funérailles facilite le travail psychologique du deuil.

À l’ultime étape de la vie humaine, l’Église est pourvoyeuse de sens, de sacré, d’ouverture à la transcendance et d’Espérance.

À la suite du Christ, elle adresse à la mort une parole de Vie.

4. Les nouveaux modes Missionnaires

101. Comment entrer avec détermination dans une nouvelle culture Missionnaire ? Certaines expériences pastorales ont déjà ouvert des pistes. Elles sont à creuser ou à élargir !

Mais, le défi de la nouvelle évangélisation nous oblige à investir de nouveaux chantiers et à inventer, de manière transversale, de nouvelles procédures.

Les Missions Paroissiales

102. Elles s’inscrivent dans une longue tradition d’évangélisation qui suscitait aux siècles passés de véritables conversions et de fréquents retours à la pratique religieuse (cf. Missions des rédemptoristes et des lazaristes). La mise en œuvre, l’organisation et le suivi pastoral, la préparation des mentalités, la promotion et le soutien logistique indispensable, réclament un capital d’expériences et de compétences que le Diocèse pourrait « mutualiser ».

103. Chaque Mission doit être « portée », c’est-à-dire définie et assumée par la communauté locale qui en bénéficie. Plusieurs paroisses peuvent s’associer.

Le contenu et le programme de la Mission doivent être formatés suivant les possibilités de la paroisse : ses ressources en fidèles, prêtes à s’investir, les caractéristiques du « terrain », les attentes qui se font jour…

104. Prochainement, notre Diocèse va se doter d’un Institut Missionnaire destiné à développer une culture Missionnaire dans toutes les dimensions de la vie de notre Diocèse.

II sera chargé en particulier de promouvoir les expériences nouvelles d’évangélisation, de soutenir les Missions Paroissiales en apportant son savoir faire, son réseau de collaboration dans la formation, la prédication, le témoignage, l’expression artistique…

Il formera également, à la Mission, des chrétiens du Diocèse. Il se déplacera sur place auprès de ceux qui vont vivre la Mission Paroissiale afin de les préparer à ce temps fort.

Pourquoi de telles Missions ?

105. La Mission Paroissiale a pour vertu d’insuffler un dynamisme de mobilisation et d’engagement de l’ensemble des paroissiens. Ce dynamisme doit se prolonger au-delà de la Mission elle-même. Le réveil spirituel et pastoral doit s’inscrire dans la durée et se pérenniser.

La Mission accoutume les chrétiens à avoir une autre attitude que la consommation cultuelle passive, dans une pédagogie de l’annonce et du témoignage. Elle met en contact la communauté avec les « gens du seuil ».

Certains pourront, par ce biais, entendre parler du Christ, et, grâce à la Mission, découvrir l’Église.

106. Certaines paroisses et communautés mettent déjà en œuvre, dans le Diocèse, des formes d’évangélisation itinérante (porte à porte dans les immeubles, évangélisation de rue ou sur les marchés). Des groupes œcuméniques témoignent aussi de leur foi par des initiatives communes de Mission populaires.

La collaboration laïcs/ministres ordonnés

107. Sous la responsabilité de l’évêque, chaque état de vie qualifie de manière singulière la Mission diocésaine :

  • Le prêtre engage son identité sacerdotale dans la Mission puisqu’il est ordonné pour elle. Il veille à ce que la Mission soit Communion : Communion au Christ, à l’Église, entre tous les acteurs concernés et à l’égard de tous les hommes confiés à sa sollicitude pastorale.
  • Le consacré (dans la vie contemplative ou apostolique) par son choix radical de Dieu signifie l’objet de la Mission, et que le Missionnaire est l’homme de la disponibilité intérieure et de la liberté évangélique.
  • Par le ministère du diacre, l’Église vit la Mission comme Service du Christ et des hommes, enracinant celle-ci dans la Charité du Christ.
  • Les laïcs.

108. « Les fidèles laïcs peuvent et doivent faire énormément pour la croissance d’une authentique Communion à l’intérieur de leurs paroisses et pour éveiller l’esprit Missionnaire en direction des incroyants et vers ceux, parmi les croyants, qui ont abandonné ou laissé s’affaiblir, la pratique de la vie chrétienne » (Chisti Fideles Laïci n°27).

Situés aux avants postes de la Mission en raison de leur enracinement dans une vie sociale, professionnelle et familiale, les laïcs doivent trouver dans la paroisse la possibilité d’exprimer leur charisme propre et d’apporter leur contribution pastorale spécifique pour l’évangélisation.

109. Les prêtres devront trouver une nouvelle manière de se situer pour cette nouvelle évangélisation. Cette mutation de perspective peut être stimulante pour le prêtre lui-même. Il devra redessiner son ministère autour des tâches de formation, d’accompagnement, de discernement, de communion. Ce dessaisissement et cette redistribution des fonctions exige une réelle conversion par rapport à des habitudes de pouvoir d’autonomie et d’organisation.

C’est aussi un impératif d’organisation interne et d’encadrement de l’Église, compte tenu de la raréfaction drastique du clergé diocésain et du nombre de religieux.

110. Un effort substantiel de discernement, de mobilisation et de formation doit être entrepris à l’échelle du Diocèse pour habiliter et former les laïcs prêts à s’investir dans un partenariat responsable.

111. Les Conseils Pastoraux ou les équipes d’animation pastorale devraient constituer, autour du curé (et des prêtres) une « fraternité » de prière, de partage spirituel et pastoral afin de porter ensemble cette animation Missionnaire, et assumer une réelle prise en charge communautaire.

112. L’an prochain, un ou deux Pôles Missionnaires Paroissiaux (PMP) seront constitués à cet effet dans le Diocèse. Ces PMP résulteront d’un réaménagement pastoral.

Il s’agit de regrouper, dans un contexte urbain, plusieurs paroisses afin de constituer un ensemble paroissial et territorial homogène.

Le curé, les prêtres et diacres, les consacrés et les laïcs particulièrement engagés, autour de ce projet pastoral formeront une communauté de vie et porteront ensemble la dynamique Missionnaire du PMP.

Le bénévolat

113. Malgré une réduction d’effectifs, l’Église est l’Institution qui compte, en France, le plus grand nombre de bénévoles. L’Église vit en grande partie du bénévolat. Il y a une grande ressource humaine et spirituelle disponible pour la Mission. Même si le renouvellement d’un bénévolat vieillissant pose déjà question dans les paroisses et les mouvements.

114. Le bénévolat apporte une contribution volontaire en temps, en disponibilité, en compétence. Ce don de soi, par le Service, manifeste un attachement pour l’Église qu’il faut honorer et encourager.

Quel est le statut du bénévole ? Une charte du bénévolat sera proposée à l’échelle du Diocèse afin d’organiser de façon objective les règles de discernement, d’accompagnement, de formation, de vie d’équipe, d’évaluation et d’encadrement dont nous devons nous doter.

Le bénévolat est aussi un lieu de cheminement spirituel, un lieu Missionnaire, un vivier où l’on peut découvrir les agents de l’évangélisation. La Communion St Lazare ou la Fraternité St Laurent constituent des prototypes de prise en charge (à l’instar des antiques confréries) et de gestion pastorale.

Les lieux publics de parole

115. Hormis les lieux de première annonce, l’Église doit faire entendre sa voix sur la place publique. En premier lieu, grâce aux outils de communication (radios, journaux, magazines). Plus de la moitié des auditeurs de RCF (notre radio diocésaine fait partie du réseau) sont non-croyants. La crédibilité, l’audience de ce média sont en constante progression. Le site Internet est fréquenté sans doute par un public inhabituel. La revue diocésaine « Église de Fréjus Toulon » a un tirage modeste quoiqu’en progression.

116. Les lieux de débat public, ouverts à tout public, sont hélas rares (« café théologique » ou certaines émissions interactives à la radio) ou bien typés. « On pêche beaucoup dans l’aquarium ». Le défi culturel est immense. « La rupture entre Évangile et culture est sans doute le drame de notre époque », avouait Paul VI (Evangelii Nuntiandi n°20).

Il y a là menace de « ghetto » ou de communautarisme. En suivant cette dérive, l’Église en viendrait peu à peu à défendre ses intérêts de groupe et ceux de ses membres. Ou bien à faire du « lobbying » en menant une campagne de propagande auprès des élus et des hommes d’influence.

La Mission nous confirme au contraire que la Parole de Dieu s’adresse à tous les hommes et à la Société toute entière. Cette Parole repère, conforte le travail de l’Esprit à l’œuvre dans le monde.

Mais elle est également une force de contestation, de dissidence, de protestation contre tout ce qui stigmatise les pertes de sens et de dignité de la personne humaine telle que le christianisme l’interprète à partir de la Révélation. C’est une Parole libre, « libre à l’égard de tous ».

117. La prise de parole publique appartient à chaque chrétien comme décideur, responsable politique ou syndical, conférencier… Elle peut aussi faire l’objet d’initiatives ecclésiales sur le terrain culturel, artistique, politique et social… chaque fois qu’il faut prendre position en faveur de ce qui contribue au bonheur de l’homme et de la recherche du bien commun.

118. L’Église n’a pas de limites dans sa volonté de dialogue avec tous ceux qui ont à cœur de promouvoir les valeurs d’humanité et une éthique de la Paix et du respect de la Vie.

En particulier  » il n’y a pas de contradiction entre l’annonce du Christ et le dialogue inter-religieux. Grâce au dialogue, l’Église entend découvrir les semences du Verbe et les rayons de la Vérité qui illuminent tous les hommes  » (Redemptoris Missio n°55-56).

Même si tout homme de bonne volonté peut être sauvé par le Christ et recevoir, par lui, la grâce de Dieu, l’Église est le moyen ordinaire par lequel le Christ, « le Chemin, la Vérité, la Vie », nous apporte la Vie Éternelle : « Celui qui croit en moi, a la Vie éternelle » (Jn 6, 4-7).

119. Pour surmonter les malentendus, les préjugés, l’intolérance, le vrai dialogue suppose le respect du témoignage réciproque. Celui-ci peut conduire à des collaborations socio-caritatives ou à des ateliers de réflexion.

Compte tenu de l’importance de la communauté musulmane dans le Var, ce dialogue, déjà instauré, est emblématique de la gestion pluralité/intégration au sein de notre Société.

Les grands rassemblements

120. Les catholiques minoritaires (en terme de pratiquants) éprouvent le besoin de se rassembler : rassemblements diocésains, JMJ, le Frat, sessions organisées par les communautés nouvelles… Ces grands « forums » de la foi sont construits autour de la fête et de la convivialité, de temps de partage de la foi et de prière communautaire, de témoignages et d’expressions artistiques… Ils mettent également en valeur une forte proposition sacramentelle. Pour lancer une année, marquer un temps fort, beaucoup de paroisses, d’aumôneries (en conjuguant l’aspect ludique ou sportif) se ressemblent dans le même esprit.

Lieux d’identification et de reconnaissance communautaire et sociale, d’expression plus libre de la foi et d’encouragement… ces rassemblements sont des temps privilégiés où la foi peut se dire et se vivre.

121. Des conversions, des prises de conscience, des changements de vie s’opèrent à l’occasion de tels rassemblements. On reprend pied dans l’Église, la prière, la vie sacramentelle…

Il serait utile que nos communautés et mouvements prennent en compte cette dimension nouvelle de reconnaissance et d’encouragement vécus dans le contexte de ces rassemblements à l’heure où les forces vives sont éparpillées et fragilisées.

Les relais pastoraux sont également à trouver afin de fidéliser ce public ponctuel.

Les nouveaux acteurs d’évangélisation

122. Des réponses novatrices aux besoins religieux contemporains naissent spontanément à l’intérieur du christianisme.

Souvent à l’extérieur des quadrillages pastoraux existants qui ont beaucoup de difficultés à rejoindre les « gens du seuil » et à « pêcher hors du vivier ».

Ces communautés vivantes, rassemblées autour d’une vie communautaire exigeante et un style de vie évangélique, attirent des nouveaux convertis. Ils rejoignent ceux qui campent sur les frontières de l’Église. Mais aussi les personnes en « mal-être » que les structures traditionnelles n’accueillent pas.

Ces groupes de nature diverse sont des nouveaux modes d’expression Missionnaire. Ils promeuvent des initiatives prophétiques qui méritent d’être connues.

123. Notre Diocèse accueille beaucoup de nouvelles communautés. Vecteurs d’évangélisation, l’Église reconnaît leur charisme particulier et leur offre des lieux d’expression et de rayonnement (paroisses, aumôneries, sanctuaires…).

Les régulations ecclésiales indispensables doivent être mises en place, afin d’articuler pastoralement leur projet avec l’ensemble diocésain (ne pas fonctionner en vase clos).

Cela permet aussi d’authentifier, de garantir leur dynamique et leur équilibre interne.

5. La formation Missionnaire

124. La formation n’est pas le préalable ou la condition de la Mission. Elle fait partie intégrante de la Mission. Si la Mission est l’annonce du Christ, la formation en est la première étape, celle de l’accueil : « Alors il leur ouvrit l’esprit à l’intelligence des Écritures » (Lc24,45).

125. La proposition de la formation rencontre aujourd’hui des allergies. On suspecte une forme d’enseignement trop magistral ou doctrinal. Des divergences de sensibilité ou de positions théologiques et pastorales, des difficultés de langage et de communication, des requêtes diverses de cheminement… sont autant d’obstacles. La formation des formateurs

126. La formation des formateurs (catéchistes, éducateurs, parents…) ne peut se résumer à une acquisition de connaissances religieuses, mais doit honorer un cahier des charges :

  • Un réel engagement chrétien et spirituel de la personne (de la « foi connue »à la « foi vécue »).
  • Un esprit d’équipe et de communion ecclésiale. C’est la communauté éducative qui évangélise et non pas le charisme et les compétences particulières de tel ou tel.
  • Une capacité pastorale d’adapter la formation aux besoins évolutifs de publics différenciés dans leur sociologie et leur cheminement. La formation recouvre des pédagogies et des démarches différentes.

Une formation associant l’intelligence, le corps et le cœur

127. Le Missionnaire est d’abord un témoin capable de rendre compte de l’expérience personnelle du Salut.

Catéchète, il doit transmettre un contenu objectif capable d’être entendu, intégré à l’intérieur d’un cheminement de foi.

L’insertion d’une formation à l’intérieur d’une vie de communauté offre des référents de vie, et des critères d’exemplarité et d’identification, que l’expression orale isolée ne pourrait obtenir.

128. La formation doit être intégrative et globale, scandée par la proposition de démarches d’appropriation personnelle, par la vie sacramentelle, et par des gestes symboliques.

Elle porte le souci d’une inculturation de la démarche de foi dans toutes les dimensions de l’existence.

Il faut renvoyer la personne qui bénéficie de la formation à des lieux de vérification et d’accompagnement qui font appel à l’exercice de la liberté intérieure et renvoient à une relecture priante de ses choix.

L’enjeu de la formation est l’humanisation de soi, par la foi.

129. La formation contribue à la structuration de toute la personne et pas simplement de son intelligence. Néanmoins, celle-ci est appelée à être évangélisée grâce à une pastorale de l’intelligence.

Quelques requêtes sont à valoriser :

  • Une connaissance suffisante de la Parole de Dieu, puisque celle-ci offre une lumière de foi sur toute l’existence humaine et sur le Mystère de Dieu.
  • Une redécouverte de l’Écriture exonérée de tout fondamentalisme, mais qui offre un contact vital et direct avec Dieu et nourrit la prière.
  • Des repères structurants et fondamentaux sur la foi chrétienne : quelles sont nos « raisons de croire » ? Offrir une catéchèse pour adultes à partir de l’Histoire du Salut, et du commentaire du Credo, ou du Catéchisme de l’Église Catholique.

130. Face au toxines actuelles, je souligne quelques points d’attention :

  • L’introduction à une théologie de l’histoire qui fasse ressortir le déploiement, dans la vie de l’homme, de la grâce du Salut (se défier d’une mystique a ?temporelle).
  • La connaissance de l’anthropologie chrétienne à l’heure où l’Amour, la vie, la fécondité sont instrumentalisés.
  • Une présentation de la théologie de la grâce face aux périls d’un piétisme ou d’un néo-pélagianisme.
  • Des éléments de doctrine spirituelle pour puiser dans la Tradition spirituelle de l’Église, les valeurs sûres de croissance et de discernement spirituel.
  • Une catéchèse de la morale, alors que les notions de liberté, de bonheur, de loi naturelle, et d’éthique de la vie (questions bioéthiques actuelles) sont brouillées ou effacées.
  • Une vision chrétienne de l’eschatologie, face au foisonnement des prédictions, visions pseudo-prophétiques, et millénarismes qui renforcent superstitions et crédulités. Entre le rationalisme qui oublie les fins dernières et le retour du gnosticisme qui projette ses rêves, quelle vision d’avenir nous offre la Révélation Chrétienne ?

 

[G]. CONCLUSION

131.  » Le monde a besoin d’évangélisateurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils devraient connaître et dont il devraient être les familiers, comme s’ils voyaient l’Invisible  » (Evangelii Nuntiandi n°76).

132. Plus que de stratégies et de plans pastoraux, la Mission requiert de vrais témoins du Christ, dont les qualités personnelles de simplicité, de zèle, d’abnégation, d’esprit de prière, de charité envers tous, spécialement les pauvres, laissent transparaître la Miséricorde de Dieu, des cœurs convertis et disponibles, capables de toucher leurs semblables.

133. Dans ce Diocèse que j’arpente, et que j’apprends à aimer, en découvrant les multiples richesses naturelles, humaines et spirituelles qui le composent, je mesure l’urgence de la Mission.

En reprenant par cette Lettre Pastorale les défis de la nouvelle évangélisation pour notre Église, et qui sont placés devant nous, je voudrais éveiller en chaque chrétien un vif désir de renouvellement, de formation, d’engagement.

Un nouvel élan de foi et de prière qui nous porte, sans crainte, au devant de nos frères.

Un enthousiasme à aimer et à servir, et qui sera source de joie.

134. Cette Lettre est à reprendre personnellement ou en groupe. Puissiez-vous en la lisant ou en la relisant, envisager telle ou telle révision de vie, prendre une résolution, ou encore susciter une initiative à l’échelle de votre voisinage, de votre paroisse ou d’un mouvement !

135. Le dimanche 29 avril 2001, en la Cathédrale de Toulon, je confierai à la Vierge Marie, Notre-Dame de la Mission, tous nos projets Missionnaires.

À cette occasion, les représentants de chaque paroisse du Diocèse recevront une « icône pèlerine » qui circulera de maison en maison, dans nos villages ou dans nos cités, comme pour ouvrir la route de la Mission.

Je confie à sa prière et à sa protection cette nouvelle étape de notre Diocèse.

+ Mgr Dominique Rey
Évêque de Fréjus-Toulon

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Homélie de Mgr Touvet pour l’ordination diaconale de Thomas Duchesnes

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