Homélie pour le pèlerinage des pères de famille à Cotignac

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Chers pèlerins,Au cours de ce pèlerinage à Cotignac, en traversant les collines ombragées de Provence, avec le chant des cigales et une chaleur parfois accablante, il vous a fallu du courage pour dépasser vos limites physiques, braver l’austérité des hébergements, avancer avec endurance trois jours durant…

Oui, le mot courage a été votre lot. Ce mot « courage » traverse l’Ecriture de part en part. On le retrouve dans les adresses de Dieu à son peuple au désert : « Courage, soyez forts » (Dt 31, 6) – « Courage, ô mon peuple » (Bar 4, 5) ; on le retrouve aussi dans la bouche de Jésus : « Courage ma fille, ta foi t’a sauvée » (Mt 9, 22) lorsqu’Il rencontre la femme souffrant d’hémorragie, ou lorsqu’Il proclame aux siens : « Courage, j’ai vaincu le monde » (Jn 16, 33)

Le courage est une expression de la vertu de force qui caractérise non seulement l’agir de Dieu, mais également l’être de Dieu. « Lève-toi. Dieu dans ta force » chantait le psalmiste (Ps 22, 14) (« Le Seigneur est mon rocher, ma forteresse, mon libérateur, mon salut, ma haute retraite, mon refuge » (2 Sam 22).

Mais le paradoxe de l’Incarnation du Christ tient à ce que cette force se révèle dans la faiblesse, la vulnérabilité, celle que Jésus éprouvera depuis la Crèche où il est nourrisson, jusqu’au Calvaire où il sera agonisant. En se faisant serviteur pour assumer notre condition humaine, le Christ s’est enveloppé de faiblesse. La puissance qui lui permettra d’accomplir des miracles, procède de l’action de l’Esprit-Saint qui l’habite, cet Esprit de force qui sortait de lui et qui les guérissait tous, note l’Evangile.

Le cri de St Paul, « lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Cor 12, 20), exprime le paradoxe de la vie chrétienne qui conduit au martyre. Le courage du chrétien relève d’un élan intérieur de l’âme faite pour Dieu et qui tend vers Dieu. Il passe certes par l’effort, la persévérance, l’audace, mais il est sous-tendu de l’intérieur par l’Esprit. Il réclame donc la prière et l’accueil de la grâce divine.

Le courage du chrétien est traversé par la charité. Il ne s’agit pas de cultiver une sorte d’héroïsme volontariste envers soi-même, par soi-même et pour soi-même, mais de rapporter le courage à la charité et au service d’autrui, à la suite du Christ, Lui qui a donné sa vie pour nous donner la vie.

Le sociologue Walter Hollstein qui a étudié la question de la masculinité dans le monde contemporain, souligne que prévaut dans notre « société liquide » la posture du « lacher-prise ». On écarte l’ascèse, l’effort, la discipline, la mortification… afin de promouvoir la quête de bien-être, le « softy-mou », le cocooning, le bisounours. On est toujours en quête de gratification et de consolation. On consomme de façon compulsive des émotions à défaut d’être affermi dans sa virilité. On récuse l’esprit pionnier, l’engagement dans la durée et la maîtrise de soi. On se détourne des exigences que requiert l’esprit d’aventure. La société privilégie ainsi la chaleur, le confort, la protection. Elle materne. Elle émascule.

  • La vertu du courage s’applique en premier lieu à soi-même. Un proverbe ancien disait que « Dieu a fait l’homme le moins possible », soulignant que Dieu a confié l’homme à lui-même pour qu’il s’accomplisse. Le 1er chapitre du livre de la Genèse (1, 26) dit qu’Adam a été créé à « l’image et à la ressemblance de Dieu ». L’image, c’est ce qu’il a reçu du Créateur ; la ressemblance, c’est ce qu’il doit accomplir en réponse à ce don ; c’est la visée de Dieu sur l’homme qui nous dit : « Deviens ce que tu es. Va jusqu’au bout de toi-même ». Le Talmud traduit la Parole de Dieu adressée à Abraham « Quitte ton pays » par cette expression : « Va vers toi-même ». Ce qui réclame d’apprendre à se connaître, à repérer ses talents ; mais également à découvrir ses limites ; à apprécier la distance entre les deux. Et tel est bien, dans la vie de couple, le rôle irremplaçable de la femme vis-à-vis son époux que de l’aider à acquérir cette lucidité, à faire la vérité sur soi-même et à gagner en cohérence.

On remarque dans le livre de la Genèse qu’après avoir dit « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance », la Parole divine ajoute : « homme et femme, Il les fit », avec cette consigne : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et soumettez-la ». Accoucher à soi-même, assumer son identité, être fécond passe par une altérité fondée sur l’amour. L’homme est achevé grâce à l’autre, l’épousée, au travers de sa complémentarité.

  • Vivre pour soi ne suffit pas. Dans l’Ecriture, l’homme et la femme sont placés par Dieu au sommet de la Création, au-dessus des créatures angéliques pourtant plus spirituelles que l’être humain, mais qui n’éprouvent pas cette altérité ontologique liée à la différence des sexes et à cette faculté, à travers cette différence, d’engendrer. En cela, la famille humaine est image de la communion trinitaire. Dans son Incarnation, Jésus petit enfant est venu évangéliser à Nazareth cette famille fondée sur Marie et Joseph.

Toutes les entreprises actuelles qui visent à gommer la différence des sexes, au nom du gender, qui cherchent à fabriquer la vie ou à l’interrompre au gré des humeurs et selon des choix égocentriques, privent l’homme et la femme de cette image de Dieu trinitaire qu’ils portent en eux et ensemble. L’écrasement de la famille, cellule de base de la société, participe ainsi de la mort de Dieu.

Courage pour chaque époux d’assumer son identité à l’intérieur d’un amour fidèle soutenu par la grâce de Dieu. Chers pèlerins, n’oubliez jamais que vous tenez votre paternité de la maternité de votre femme.

  • Courage de donner la vie. Le père engendre de l’extérieur. La filiation passe par une adoption de la part du père. La mère « con-naît », c’est-à-dire que c’est d’elle que l’enfant naît. Le père, lui, « reconnaît ». Privé de l’évidence charnelle que la mère éprouve, le père formule un acte de croyance vis-à-vis de son enfant.

A l’heure de la mise en cause de la figure paternelle et du principe d’autorité, à cause des contre-exemples d’abus de pouvoir destructeurs, ou a contrario d’absence du père en raison des ruptures familiales, le courage du père est d’assumer sa mission éducative jusqu’au bout : en premier lieu par son témoignage de vie, par la transmission de repères, et du mode d’emploi de l’existence, par la fidélité de son accompagnement. Hélas dans bien des cas, le père s’est désengagé, devenu le grand frère, le confident, plus que le référent.

Le courage paternel doit inspirer confiance à l’enfant. La force d’âme du père, qu’il ne faut jamais confondre avec l’agressivité, constitue une sécurité et une protection dont l’enfant a besoin, une muraille, surtout quand cette force d’âme se conjugue avec la tendresse. Se blottir dans les bras d’un père courageux conditionne  bien souvent la résilience de l’enfant.

Chers pèlerins, à l’école de St Joseph, montrez-vous courageux. Faites preuve de courage dans votre vie personnelle, votre relation conjugale, votre responsabilité familiale et dans vos engagements professionnels.

Charles de Montalembert écrivait déjà au 19ème s. : « ce qu’il manque aux catholiques, c’est le courage ». Dans notre société sécularisée, frappée par « l’éclipse de Dieu » (Jean-Paul II), le courage est de mise. Le courage de vivre notre foi, d’en rayonner (c’est la lumière qui brille en toi qui pourra éclairer les autres) ; « le courage aussi d’avoir peur », comme le disait le P. M-Dominique Molinié, en suivant le Christ en agonie qui traverse la mort.

Le courage réfute deux périls : en premier lieu, la présomption, c’est-à-dire la prétention de s’en sortir tout seul (sans Dieu) en se projetant sur des utopies politiques ou des rêves technologiques, ou encore en se livrant au consumérisme hédoniste. En second lieu, le péril du découragement, de la résignation et du renoncement.

Le courage du chrétien se fonde sur la victoire pascale, à chaque messe, réactualisée. Le Christ change notre peur en confiance. Bernanos définissait l’espérance comme « un désespoir sans cesse surmonté ».

Ne soyons pas lâches, poltrons ou froussards, aussi bien dans la société que dans l’Eglise. Il nous faut assumer nos choix jusqu’au bout, toujours dans la vérité, toujours dans la charité, toujours dans la constance et l’humilité, en acceptant également de se remettre en cause. Le courage brave la bien-pensance, les jeux de pouvoir et les modes. Ce courage est la colonne vertébrale de cette espérance dont notre monde a tellement besoin. Ce courage a pour sommet la Croix.

« Soyez forts, prenez courage, vous qui espérez le Seigneur » (Ps 30, 25)

 

 

 

+ Dominique Rey

Sanctuaire Notre Dame de Grâces

Le 3 juillet 2022

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