Homélie : pères de familles à Cotignac 02/07/2023

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Au cœur de ce temps de pèlerinage, vous avez pris de la distance avec vos occupations familiales et professionnelles, mais également avec les agitations et les turbulences d’un monde en crise, non seulement environnementale mais en crise d’identité, d’humanité, d’espérance.Sur ces chemins parfois escarpés qui vous ont conduit à Cotignac, votre corps, votre esprit, votre âme ont été mobilisés pour vous ressourcer, vous recentrer, vous relancer dans la foi, l’espérance et la charité.

Cette démarche n’est pas sans rapport avec la spiritualité de ce sanctuaire, marqué par l’esprit de la Sainte Famille de Nazareth, mais aussi avec le cadre national où les apparitions de Marie et Joseph ont eu lieu aux 16ème et 17ème siècles.  Ces collines boisées de Provence et ces vignobles plantureux que vous avez longés et traversés parlent du Créateur, et c’est dans ces coteaux que Dieu s’est manifesté.

La relation avec le Seigneur éclot et se nourrit de la contemplation de la nature, du cosmos. Et ce n’est pas pour rien que les communautés contemplatives se sont implantées à travers l’histoire du christianisme dans des sites naturels préservés qui convoquent au silence, à l’extase.

La beauté de la Création signe la présence de Dieu. Dieu se donne à nous par sa création. Il l’expose et s’expose. Cette beauté accessible par les sens élève l’homme vers Dieu en tant que Créateur, mais aussi en tant que Beauté suprême. Dieu qui a donné tant de beauté à la Création, est lui-même Beauté, Beauté incréée.

Ainsi la beauté de la Création est signe d’une perfection plus haute : une beauté sans limites, sans contingence, sans corruption.

La beauté terrestre éveille en nous le désir d’absolu. C’est ce que souligne la philosophe Simone Weil : « la beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu’à l’âme ».

Ce désir d’absolu que nous ne trouvons pas dans les réalités terrestres, dépasse nos sens et s’adresse à notre âme spirituelle.

Ce désir d’absolu nous convie également à nous affranchir des canons esthétiques que nous imposent les modes du moment.

Je pense à cette réponse d’un prêtre à une femme entendue en confession. Elle avouait à ce confesseur son péché de vanité : « Mon père, je passe des heures à me mirer devant ma glace en me disant à moi-même que je suis belle, que je suis belle. Le prêtre prend alors soin de la regarder en considérant sa plastique. Et il lui répond alors Madame, ce n’est point un péché mais une erreur ».

Au début de son ministère pétrinien, Benoît XVI avait parlé de la « beauté » pour exprimer l’appartenance au Christ « Nous rencontrons dans le Christ, celui qui, en chair et en sang, de façon visible et historique, a apporté la splendeur de la gloire de Dieu sur terre. C’est à lui que s’appliquent les paroles du psaume 44 « Tu es le plus beau des enfants des hommes », Benoît XVI, reprenait alors à son compte une expression de St Bonaventure « Le Christ est la beauté de toute beauté » (cf. Jn 15,13). Grâce à lui, ajoutait le pape « se révèle la beauté de l’homme qui, créé à l’image de Dieu, est régénéré par la grâce destinée à la gloire éternelle.  N’est-ce pas la beauté que la foi a engendrée sur le visage des saints et qui a poussé tant d’hommes et de femmes à en suivre les traces ! La fusion extraordinaire entre l’amour de Dieu et l’amour du prochain rend la vie belle ».

 

Récemment, en participant à la messe de funérailles d’un chrétien engagé, j’entendis les confidences de plusieurs de ses proches qui ramassaient dans une formule lapidaire la qualité de ce que fut le témoignage de sa vie : « Il a eu une belle vie ». Une alchimie de profondeur, de cohérence de vie, de paix intérieure, de don de soi. Ses amis décelèrent spontanément dans le témoignage qu’il avait vécu et donné aux autres, une expression de la beauté de Dieu. « Il a eu une belle vie chrétienne ». Beauté qui transparaissait à l’heure de son déclin.

 

Un film américain est sorti il y a quelques années, « l’étrange histoire de Benjamin Button ». Grâce à des effets spéciaux, on découvre le destin d’un homme qui naît vieux et rajeunit jusqu’à sa mort, en total décalage avec le monde qui l’entoure. Un récit qui remonte le temps. Une existence vécue à l’envers. Cette histoire romantique se présente en réalité comme une fable philosophique, mais aussi comme une leçon spirituelle. Il s’agit d’inverser le cours chronologique des choses, afin de retourner à l’origine, de remonter à la source. Il en va ainsi de la « beauté » de la vie qui est un cadeau du Ciel. Une beauté qui ne se fabrique pas mais qui se reçoit, s’accueille, se recueille.

Je pense à l’accueil du nourrisson que les bras de ses parents accueillent avec un mélange d’éblouissement, d’innocence, d’extase face à cet être, fruit de leur amour et qui les rapporte au cadeau de la vie et à sa beauté. « Quand je me présenterai à Dieu, c’est l’enfant que je fus qui me précèdera », disait Bernanos.

La beauté est un don mais aussi un appel à retrouver cette beauté originelle que nous avons égarée ou pervertie en chemin. « Si vous ne devenez pas des petits enfants, vous n’entrerez point dans le Royaume de Dieu » disait Jésus. Il s’agit de retrouver l’esprit d’enfance (Ste Thérèse de Lisieux), de retrouver notre beauté première de créature faite à l’image et à la ressemblance de Dieu (« Dieu vit que cela était beau » Gn.). « Dès le sein de ta mère, je t’ai appelé », chantera le prophète Isaïe.

Mais la beauté trouve son couronnement et son accomplissement lorsque nous remontons à Celui qui en est l’origine, la source, le point de départ.

Tel est le témoignage qu’apporte la Vierge Marie. En accueillant Jésus, le plus beau des enfants des hommes, elle consent à Dieu qui lui confie son Fils éternel. Telle est aussi la beauté de toute vie chrétienne : se livrer à Jésus sans réserve et sans restriction. Dire « oui au cadeau qu’est notre vie ». Et dire à Dieu « me voici ». Lorsque retentit notre « oui » à Dieu, qui est source de toute beauté, nous renonçons librement à d’autres formes de valorisation, d’épanouissement humain parce que nous avons compris que la liberté, ce n’est pas de faire n’importe quoi de sa vie, mais la rendre disponible pour le choix de Dieu. La beauté de la mise à disposition de notre vie tient autant à la radicalité (tout pour Dieu seul) qu’en la fidélité qu’elle implique (« Celui qui regarde en arrière n’est pas digne du Royaume de Dieu »). L’amour rime avec toujours. Le don de soi n’est pas un prêt.

La beauté du chrétien à la suite de la Vierge, est de se prêter à l’action de la grâce, pour être habité du dedans par Dieu. Le Christ imprime au plus intime de notre être, depuis le jour de notre baptême, sa présence indélébile, sa charité, qui qualifie, oriente et finalise notre existence. Cette beauté est cachée, intérieure, discrète. Elle est le secret et l’intimité du chrétien avec son Seigneur. Sa marque de fabrique. Son ADN. Elle le rend capable d’agir et de parler, habité par l’Esprit-Saint.

Mais n’oublions jamais que la beauté du Christ éclate dans sa passion. C’est quand le Christ est le plus défait qu’il est le plus parfait. L’icône du Crucifié au visage défiguré contient pour qui veut le contempler, la suprême beauté de l’amour. La beauté d’un être se révèle dans l’offrande de soi, une beauté qui s’accomplit dans la douleur. Une beauté qui assume le tragique de la condition humaine, comme François d’Assise qui contemple la beauté du Christ dans la création, tout autant que dans le lépreux qu’il embrasse. Comme Bernadette au visage maculé de boue pour dégager, à la grotte de Lourdes, la source qui y coule encore. La beauté du Christ éclate toujours dans le mystère pascal et dans le don de soi (Beauté des mariés, beauté du prêtre).

La beauté d’un être jaillit de l’intérieur. Un être habité par la présence du Christ distille de la beauté autour de lui dans ses moindres gestes, sa posture, son regard, le son de sa voix, dans la façon d’être…  afin d’entraîner les autres à la rencontre du Ressuscité.

La mission du chrétien est d’éveiller dans le cœur de ceux qu’il côtoie et qu’il rencontre le sens de la beauté, de faire accéder chacun à une qualité d’être, à une existence traversée et sculptée par l’amour. En définitive, il s’agit d‘aider chacun à faire de sa vie une œuvre d’art, à retrouver l’estime de soi, car quelles que soient les tribulations de la vie, le Christ nous espère toujours. Notre foi en Lui garantit le bonheur de le suivre. Notre foi dans le Christ nous libère de cette laideur qui altère, qui avilit, qui enlaidit notre ressemblance avec Dieu et qu’on appelle le péché.

Chaque baptisé est aussi acteur de la beauté de la communauté chrétienne. Un document du Conseil Pontifical pour la Culture appelle l’Eglise, « le peuple de la beauté qui sauve », notre responsabilité missionnaire est de faire éclore entre tous et à l’égard de tous, cette beauté de la charité fraternelle. Ne parle-t-on pas ainsi d’une « belle communauté », signifiant par-là, que la vie théologale des chrétiens y est rayonnante, empreinte d’attention pour chacun et au service de tous ?

On pourrait appliquer à nos familles et à nos communautés chrétiennes ces lignes de Georges Bernanos à propos de la Providence divine « Nos pauvres vies, avec leurs travaux, ne sont rien par elles-mêmes, comme des mots détachés du texte. Mais Dieu en compose de majestueux poèmes et les fait rimer entre elles, quand Il lui plait et selon son inspiration ». Nous sommes tous garants de cette syntaxe que doivent réaliser chacune de nos familles et nos communautés chrétiennes. Nous sommes redevables de leur harmonie et de leur cohésion.

Chers pèlerins, le chrétien n’est pas appelé toujours à se tenir à l’avant-scène, sous les feux de la rampe, en cherchant à briller comme l’idole et à se complaire en un éclat médiatique. Bien souvent, le chrétien se tient en retrait et réfracte autour de lui la lumière qui le traverse et dont il désigne la source : le Seigneur.

C’est ce rayonnement de votre être, mû par la charité et là où Dieu vous a placés, que l’Eglise, que vos familles et que le monde attendent de vous. Votre mission est d’embellir le monde par la densité de votre charité. « C’est cette beauté qui sauvera le monde ». (Dostoiewsky)

+ Dominique Rey
Sanctuaire Notre Dame de Grâces
2 juillet 2023

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