Homélie Messe Chrismale 2022

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Chers frères prêtres,

Au seuil du triduum, en cette cathédrale, église-mère de notre diocèse, nous nous retrouvons dans un contexte très particulier : une situation de crise où s’entrecroisent les questions sanitaires alors que l’épidémie de Covid continue de sévir, la guerre en Ukraine et les tensions au Moyen Orient avec les incertitudes économiques et financières que ces conflits engendrent, avec les préoccupations environnementales de la planète, les tensions politiques liées en France aux élections présidentielles puis législatives.

Une crise globale qui met en cause

  • D’une part le corps social de plus en plus fragmenté, morcelé avec l’atomisation et la privatisation des modes de vie, les replis communautaristes, la perte du sens du Commun qui génère exclusions et violences.
  • D’autre part, la crise actuelle met en péril le corps individuel. Les ruptures anthropologiques justifient, légalisent le droit de mettre en question la vie de l’enfant à naître, à pratiquer l’euthanasie ; à refuser toutes les limites de l’être humain jusqu’à en arriver à marchandiser le corps humain.
  • Enfin, en troisième lieu, le réchauffement climatique et la surexploitation des ressources naturelles mettent à mal le corps environnemental et l’avenir de notre planète.

Corps individuel, corps social, corps environnemental. Tous ces sujets sont corrélés entre eux. Ces problématiques s’entrecroisent. Elles touchent au respect de la Création, à la dignité de la personne humaine et du cadre de vie où Dieu nous a placés ; mais aussi au mystère de la Rédemption et à l’œuvre de salut, de restauration, de réparation que le Christ a confié à son Eglise ; et enfin au message de communion dont l’Eglise, Corps du Christ, est le sacrement et dont nous sommes comme prêtres, les ministres.

Chers frères prêtres, demain jeudi, à l’occasion de la commémoration de la sainte Cène dans nos communautés, nous célèbrerons le geste du lavement des pieds. Nous nous rappellerons liturgiquement, par ce geste qui précède l’institution de l’eucharistie, que le Christ a pris la place de l’esclave. La charité fraternelle qui vérifie et authentifie la communion au corps et au sang du Seigneur, commence par le bas et l’eucharistie couronne cette diaconie jusqu’au don de nous-mêmes pour le salut de tous. « Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime », dira Jésus.

Le prêtre est d’abord serviteur. Serviteur de la Parole qu’il enseigne et annonce. Serviteur de l’autel où l’offrande de sa vie se conjoint à celle du Seigneur. Serviteur de la charité à l’égard de tous, en commençant par les plus vulnrables et les plus démunis à la suite du Christ qui se donne à voir en chacun d’eux. « Ce que tu as fait aux plus petits d’entre les tiens, c’est à moi que tu l’as fait ». « Cet amour du Christ nous presse », dit Paul aux Corinthiens (5, 14).

Dans la liturgie tridentine, le célébrant porte en dessous de sa chasuble, la dalmatique, l’habit du diacre, comme pour signifier par cette vêture, que le diaconat n’est pas uniquement une étape de cheminement vers le presbytérat, mais que le service habite, inspire, irrigue tout le ministère sacerdotal.

Chers frères prêtres, en cette messe chrismale qui fête votre sacerdoce, votre service porte une triple tâche :

  • En premier lieu, le souci du frère. La grâce sacerdotale s’exerce à l’intérieur de la fraternité baptismale, fraternité que le Christ veut ouvrir à tout homme, à tous les hommes (Fratelli Tutti). L’attention au frère justifie tous ses efforts, mobilise toutes ses énergies. Et si par le Seigneur, il a été mis à part, ce n’est pas pour être séparé ou distingué, mais pour se faire encore plus proche. Aussi accueille-t-il chacun comme un don de Dieu, comme une mission, comme une responsabilité, pour lui signifier l’amour dont Dieu l’aime.

Une communion missionnaire à bâtir ensemble est d’abord une communion fraternelle à instaurer ou à restaurer entre tous et s’inscrit dans la démarche synodale initiée par le pape François. « Cette communion fraternelle n’est pas une uniformité, mais elle s’avère d’autant plus impérieuse qu’à l’intérieur de notre Eglise, à l’intérieur de nos communautés comme à l’intérieur de la société, peut régner la règle du chacun pour soi, de l’individualisme pastoral au gré de ses sensibilités ou des replis identitaires.

La communion entre nous n’est rendue possible et crédible que si premièrement, elle s’adosse à l’Evangile, à la fidélité à l’Eglise, à son enseignement, autour de son pasteur universel le saint Père ; et deuxièmement que si cette communion est tendue vers la mission, ouverte à l’universel, aux attentes d’un monde peut-être loin de l’Eglise, mais déjà travaillé par l’Esprit-Saint, en quête de sens, de transcendance, de repères d’humanité, de besoin de solidarité.

Notre sacerdoce ne sera fécond qu’en étant personnellement et intérieurement, par notre cœur et par notre intelligence, arrimé à la foi, à la vie et à la pensée de l’Eglise ; et d’autre part, mobilisé entièrement vers l’évangélisation. « L’Eglise existe pour évangéliser », disait Paul VI.

Et cette évangélisation repose en premier lieu sur le témoignage de la fraternité, le « voyez comme ils s’aiment » qui qualifiait les premiers chrétiens. Une fraternité à vivre d’abord entre nous, prêtres, et avec les fidèles, en mettant en valeur les talents et les charismes de chacun ; en portant une attention privilégiée aux plus petits ; en développant une gouvernance partagée avec nos conseils ; en cherchant à être inclusif ; en acceptant de nous laisser personnellement interpeller, quelque fois corriger avec humilité, disponibilité.

  • Le prêtre est au service de ce qui unit, de ce qui relie, de la fraternité, mais également de ce qui faiblit, de ce qui fléchit : du pauvre. La communion missionnaire commence par la miséricorde.

Jésus est venu « annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres » (Lc 4,18).

Oui, dans l’Evangile les pauvres se pressent au passage de Jésus : infirmes et malades, blessés de la vie et de l’amour, exclus et marginaux de son temps. Ils quémandent tous son intervention, au point que Marc rapporte qu’il est littéralement assailli « jusqu’à ne plus pouvoir manger » (3,30). « Tout le monde te cherche », lui disent ses disciples.

 

Mais, cette proximité vécue avec Jésus ne relève pas uniquement du registre compassionnel ou de l’éthique de la solidarité. Cette proximité est d’ordre théologal. L’amitié du Christ manifeste le vrai visage de Dieu. Car la question des pauvres est intérieure à la question de Dieu, à tel point que Jésus, en sa Passion, viendra épouser la condition des rejetés et des déshérités.

En cette semaine où nous revivons la Passion du Christ, la contemplation de Jésus défiguré, insulté, outragé dans un simulacre de procès, initie les siens à découvrir « le cœur de Dieu », à pénétrer dans ses entrailles de miséricorde, à méditer jusqu’où et combien Dieu nous a aimés, en livrant son Fils pour notre salut. En définitive, la communion du Christ avec les pauvres nous révèle la miséricorde de Dieu, le cœur paternel de Dieu.

Car qu’est-ce que le pauvre ? Dans les Ecritures, le pauvre n’est pas celui qui n’a rien. Mais celui qui, parce qu’il n’a rien, qu’il soit pécheur ou indigent, privé de la grâce ou privé de biens, s’en remet à Dieu. Celui qui attend tout de Dieu. « L’homme est un pauvre qui a besoin de tout demander à Dieu » disait le Curé d’Ars.

Le prêtre est appelé à accueillir tant d’hommes et de femmes qui lui confient leur solitude, l’âpreté de leur vie, des démunis de toute sorte (démunis d’argent, de travail, de logement, d’affection). Il côtoie de près la souffrance des étrangers et celles des pénitents. Toutes ces pauvretés aux multiples visages, qu’il rencontre dans l’exercice quotidien de notre ministère, lui enseignent à son tour à dépendre lui-même de Dieu. Ces pauvretés l’invitent à son tour à s’appauvrir, à accepter ses limites, qu’elles soient les siennes propres, celles de sa communauté.

 

Chers frères prêtres, l’esprit de pauvreté nous conduit encore à vivre une juste chasteté dans nos relations, à porter notre Croix et celle de nos frères et sœurs en humanité, à vivre les détachements nécessaires par rapport à une mission qui ne vous appartient pas, mais qui vous est confiée par l’Eglise, pour une œuvre qui n’est pas taillée à votre mesure, car elle est à la démesure du projet de Dieu sur l’humanité. Notre ministère repose d’abord sur la grâce de Dieu.

 

  • La communion missionnaire à bâtir ensemble s’enracine dans une expérience évangélique de fraternité (ce qui nous unit), dans l’attention prioritaire aux pauvres (à ce qui faiblit), mais aussi elle porte la préoccupation de ce qui surgit, elle veut faire naître et faire grandir.

Comme tout père, le prêtre a été choisi, béni pour donner la vie, donner la vie de Dieu ; et pour guider la communauté chrétienne sur les chemins de croissance, croissance des personnes, et croissance du corps ecclésial. Le prêtre peut prendre à son compte ces paroles de Jésus. « Je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait en abondance ».

Parce qu’il est père, le prêtre veille à ce que chacun découvre et déploie le don singulier dont Dieu l’a gratifié et que chacun se découvre comme un don de Dieu pour les autres, et qu’ainsi se construise le corps ecclésial, pour le salut de l’humanité tout entière.

 

Jésus s’est fait petit enfant. Jésus bénissait les enfants. Il les présentait comme un modèle de vie chrétienne : « Si vous ne devenez comme des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu » (Mt 18, 3). Oui, le prêtre a partie liée avec l’enfance qui est figure d’espérance. Il est témoin d’une espérance pour notre monde, espérance actualisée à chaque messe où nous célébrons la résurrection du Seigneur.

La grâce de l’enfance, c’est l’espérance ! L’enfant ne réveille pas simplement l’amour dans un cœur blessé ou blasé, mais il fait jaillir cette conviction intime que rien n’est encore joué, que tout peut repartir, que tout reste à faire …A son contact, on se reprend à croire que la pesanteur de notre cœur n’est pas inexorable. L’esprit d’enfance nous guérit de la résignation, du défaitisme et de la morosité. Il nous invite à trouver et à partager des chemins de croissance à la fois théologale et missionnaire par l’union à Dieu. Face à un monde livré à l’incertitude, à l’errance et au désenchantement, le prêtre est prophète d’espérance. Une espérance qui se nourrit de prière, de persévérance et de confiance car le christianisme se trouve devant nous.

Chers frères prêtres, je voudrais vous remercier pour votre engagement à bâtir ensemble une communion missionnaire à partir de ce qui nous unit (et par-delà nos différences), au service de la croissance des âmes et du Royaume de Dieu, et en témoignant de la miséricorde divine qui, pour nous relever du mal et du péché, nous rejoint dans nos fragilités et dans nos chutes.

Le sacerdoce est un chemin pascal où nous sommes appelés à donner Dieu en nous donnant nous-mêmes. Chemin de croix. Chemin de vie. Joie d’appartenir au Seigneur, de l’aimer et de le faire aimer, et d’essayer fidèlement jour après jour de lui correspondre.

Merci pour votre « oui » à Dieu.

+ Dominique Rey
Cathédrale Notre Dame de la Seds
13 avril 2022

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