Homélie : mères de familles à Cotignac 11/06/2023
Pèlerinage des Mères 2023 – Homélie du 11 juin
En marchant 3 jours durant jusqu’à Cotignac, vous vous inscrivez dans cette longue liste des itinérances que rapporte l’Ecriture depuis le livre de la Genèse, Adam jeté hors du jardin d’Eden ; Abraham qui quitte un pays à l’appel de Dieu ; Jacob qui en migrant, reçoit le nom d’Israël ; Moïse qui préside à l’exode du peuple hébreu.
Marche physique qui constitue aussi une démarche spirituelle, avec la rude expérience de la minéralité mais aussi de l’enracinement de soi au réel, le réel que l’on a tendance à fuir ou à oublier. Se délester du trop plein de soi-même, consentir à se dépouiller pour se ramener à l’essentiel, accepter de se fragiliser, à descendre sur des chemins caillouteux pour y souffrir afin de se sentir plus vivant et de se nettoyer de tous ses excès. Autant de démarches spirituelles dans lesquelles vous avez pu vous investir au cours de ce pèlerinage à Cotignac.
Le « quitte ton pays » adressé par la Seigneur à Abraham, (leikh leikha en hébreu), se traduit littéralement par « va vers toi-même ». C’est une invitation à effectuer un voyage intérieur, à la découverte de soi-même. C’est en marchant que tu te trouveras, que tu accèderas à toi-même. C’est en avançant que tu découvriras qui tu es vraiment. Abraham quitte sa famille, son territoire, sa patrie et au fur et à mesure qu’il avance, alors qu’il pourrait se perdre, il comprend que son identité ne se situe pas en arrière de lui, mais devant lui. En faisant un pas après l’autre, en marchant dans le désert, c’est-à-dire vers l’inconnu. En faisant preuve de patience car le chemin est plus long et plus pentu que prévu.
Bartimé l’aveugle, Zachée le collabo, Matthieu le comptable, la Samaritaine étrangère, Nicodème le pharisien… Autant de personnes rencontrées en chemin, par Jésus et auxquelles il annonce qu’un nouveau départ est possible pour cette nouvelle aventure qui ne sera pas forcément une autoroute, mais parfois un sentier un peu raide, une venelle, une bifurcation, en sortant quelquefois des itinéraires trop bien tracés et balisés, en quittant son confort, ses habitudes et ses sécurités.
« Viens, suis-moi », dira Jésus à chacun de ses disciples et qu’il redit à chacun. Son projet est un trajet à sa suite. Le programme, c’est le Christ. Le trajet, c’est l’annonce de l’Evangile.
Chères pèlerines, la foi passe par le cœur mais aussi par les pieds ! La grâce a fait en vous son chemin. La nature qui rappelle le Créateur vous a tirées vers le beau et vers le haut, en lien avec les autres pèlerines avec lesquelles vous avez prié et partagé, et qui, elles, vous ont tiré vers le vrai : ce vrai c’est l’accomplissement de vos vies d’épouse, de femme et de mère.
Se retrouver soi-même ne peut se réaliser par la seule introspection. L’individualisme promeut un être autoréféré et narcissique, qui rapporte tout à lui-même et s’idolâtre. La culture du look et de l’apparence, les effets de mode, le mimétisme, projettent et assignent des images fallacieuses de réussite et d’épanouissement qui ne sont que des leurres, ou des fuites en avant, alors que nous sommes confrontés à nos propres limites et à nos échecs. Revenu de tout, refusant tout absolu et tout enracinement, l’individu d’aujourd’hui se livre au culte de l’ego et qui renie ses racines et se livre sans cesse à l’introspection. Cet amour démesuré de soi-même qui est à l’origine des maladies de l’âme. Par ce repli narcissique, le « moi » devient l’horizon ultime de l’existence. Ce « moi » que l’on câline, que l’on cultive jusqu’au mépris et à l’oubli d’autrui.
St Paul note qu’une des intentions du Christ mourant puis ressuscitant fut de décentrer l’homme de lui-même afin qu’il se fixe en Dieu. « Le Christ est mort pour nous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour Celui qui est mort pour eux » (Cor 5, 15). En Jésus, nous trouvons le regard de Dieu qui nous espère et qui nous aime. L’oubli de soi par le don de soi, tel que nous l’enseigne Jésus au Calvaire, est le parfait contrepied à l’obsession orgueilleuse du moi. En donnant sa propre vie, il donne la vie aux autres.
Seul le regard du Christ que nous percevons à travers celui des autres et par leur charité, nous permet de nous découvrir en vérité, de trouver notre unité de vie face au danger de la dispersion. D’appréhender notre singularité, notre unicité, sans procéder par duplication, ou photocopie des modes et des modèles véhiculés par les réseaux sociaux et les influenceurs. « Dieu ne sait compter que jusqu’à un » (proverbe juif). La beauté d’un être surgit de l’intérieur dès l’instant où il découvre sa singularité, grâce au regard d’un autre. Cette beauté se corrompt ou s’étiole dès qu’il cède à la duplicité, dès qu’il se ment à lui-même. Ce chemin pour advenir à notre propre identité prend toute notre vie et relève d’un accouchement, d’un engendrement à soi par la grâce de Dieu.
Tels les pèlerins d’Emmaüs découragés qui faisaient route avec Jésus Ressuscité sans qu’ils le reconnaissent, chaque eucharistie qui est célébration de sa Pâque (c’est-à-dire du « passage » de la mort à la vie éternelle) dessille nos yeux sur le sens de notre vie et vers le but de notre voyage sur terre, qui est d’entrer dans la Maison de Dieu pour se nourrir de sa présence, dans un éternel face à face. Nous serons alors parvenus au bout de notre itinérance.
Chaque eucharistie, pain de la route, est un avant-goût du Ciel pour hâter notre course vers Dieu. C’est le sens de la Fête-Dieu de ce jour. Nous marchons avec le Seigneur et nous marchons vers le Seigneur. En ce trajet, nous devons consentir à nous délester du trop-plein de nous-mêmes, confier au Seigneur nos péchés et nos fardeaux, et consentir à porter ceux des autres. Nous nous acheminons vers nous-même avec humilité en sachant qu’en fin de course, on ne se trouve que dans le Christ, c’est lui qui nous donne l’intelligence de notre propre vie. « Savez-vous quand vous trouverez le bonheur, demandait Ste Thérèse de Lisieux à une jeune novice du carmel ? C’est quand vous ne le rechercherez plus » Et elle ajoutait : « j’en ai fait moi-même l’expérience ».
Le Christ est la lumière de nos vies. Il ne s’agit pas de vouloir briller nous-même à l’avant-scène sous les feux de la rampe et de l’actualité, mais de réfracter autour de soi un feu qui nous brûle du dedans, de l’intérieur. Le feu de l’amour de Dieu déposé en nos cœurs.
Contradictions, oppositions, échecs peuvent nous conduire au désespoir vis-à-vis de nous-même, du monde et parfois de l’Eglise. Victimes, voire quelquefois otages de la solitude, de la lassitude, des dépressions de l’âme, qui génèrent fatalisme et défaitisme, nous pouvons être aussi les complices de ces abattements. Un orgueil très subtil se niche dans une fausse estime de soi ou dans des prétentions qui ne supportent pas le spectacle de nos erreurs. Au bord de cet accablement, se trouve la désespérance, ce « péché contre l’Esprit » que dénonce l’Evangile [de Marc (Mc 3, 28-29)]. Renoncement, rebellion ou compromissions sont les conséquences de ce péché de désespérance qui est de ne pas se laisser sauver par le Christ.
Judas est le portrait type de ce désespoir lorsqu’il prend conscience de sa trahison, et pense que Dieu ne peut pas lui pardonner.
Aussi bas que nous chutions, Dieu nous offre son pardon jusqu’à tomber plus bas que nous. La vraie vie du disciple commence lorsque l’âme consent à se regarder humblement, à s’amender et à quérir la miséricorde inconditionnelle du Seigneur pour pouvoir se redresser et se convertir.
L’espérance chrétienne est portée par le courage. « Continuons sans fléchir, d’affirmer notre espérance » (Heb. 10, 23).
C’est le courage (qui s’adosse à la présence réelle du Christ dans l’eucharistie qui nous accompagne sur notre chemin), dont l’Eglise, nos familles et nous-mêmes avons besoin, afin de rester fidèles, libres et témoins jusqu’au bout.
+ Dominique Rey
Sanctuaire Notre-Dame de Grâces
11 juin 2023