Homélie de la Messe Chrismale 2021

2021--Messe_Chrismale_003

Messe chrismale

Chapiteau de la Castille

31 mars 2021

 

Le pape Paul VI avait voulu que la Messe chrismale soit une fête du sacerdoce au cours de laquelle les prêtres pourraient renouveler, en présence de leur évêque, les engagements pris lors de leur ordination, « par amour du Christ et pour le service de l’Eglise ». C’est ce que nous allons vivre dans quelques instants au cours de cette célébration durant laquelle je vais bénir le St Chrême, l’huile des catéchumènes et l’huile des malades.

Chers frères prêtres, vous êtes invités à revenir à l’appel premier de votre sacerdoce, à l’acte de confiance que vous avez posé, au cœur parfois de doutes et de combats, comme nous le rappelle le prophète Jérémie : « Seigneur, tu m’as séduit et je me suis laissé séduire… mais à longueur de journée je suis exposé à la raillerie. Tout le monde se moque de moi » (Jn, 20) Remémorez-vous encore le dialogue houleux de Moïse avec le Seigneur au seuil de son envoi auprès de Pharaon : « Pardon mon Seigneur, mais moi je n’ai jamais été doué pour la parole…. J’ai la bouche lourde et la langue pesante. Je t’en prie Seigneur, envoie n’importe quel autre émissaire… » Alors, rapporte le livre de l’Exode, la colère du Seigneur s’enflamma contre Moïse et il lui dit : « Je suis avec ta bouche et avec la bouche de ton frère Aaron, et je vous ferai savoir ce que vous aurez à dire ». (Ex 4)

Avec le temps, nous prenons plus la mesure de la grâce de l’appel de Dieu sur nous et de la difficulté d’y correspondre jour après jour. La relation d’amitié avec le Christ nous a conformé à lui, configuré à lui. A la fois, elle enveloppe et elle développe notre personnalité, restructure notre être, nourrit notre raison, mobilise notre prière, redistribue nos dynamismes en vue de la mission ; mais corrélativement, l’amitié avec le Christ nous fait participer à ses combats. Sa croix nous élague. Sa Passion devient nôtre. Les évangiles en cette semaine sainte, décrivent les tentations qui touchent les apôtres lors de l’ultime montée de Jésus à Jérusalem et qui éclairent nos propres batailles : tentation de se séparer du Maître, de couper la branche sur laquelle leur vie est assise ; trahison, comme les apôtres qui fuient devant l’arrestation de Jésus ; doutes et défiances qui tiraillent ; activisme, individualisme, cléricalisme….

La réponse première, fondatrice à ces interrogations et à ces combats, tient à un verbe qui va parcourir l’évangile johannique : « demeurer ». « Où demeures-tu ? », demandent les 2 premiers disciples à l’adresse de Jésus. Demeurer n’indique pas seulement pour l’évangéliste, un domicile, mais la ferme intention de vivre l’un par l’autre, l’un pour l’autre. Au chapitre 15, dans un ultime discours, Jésus invitera ses disciples à demeurer greffés sur lui et en lui, comme les sarments sur la vigne. L’apôtre demeure dans le Christ. S’il s’en écarte, il se dessèche et il meurt. « Demeurez-en moi », c’est-à-dire accepter d’être renouvelé sans cesse, remodelé en Lui, par Lui, jour après jour, de messe en messe.

Certes, il faut toujours s’interroger sur les conditions d’exercice du ministère, il convient de s’engager résolument dans un processus de conversion pastorale, comme le souligne le pape François (la situation actuelle de l’Eglise et du monde nous y oblige), mais ce vaste mouvement conduit à une impasse s’il n’a pas sa source, sa lumière, sa signification dans cette rencontre décisive et fondatrice des premiers disciples avec Jésus. Notre identité sacerdotale alter Christus, Ipse Christus nous ramène sans cesse à ce verbe « demeurer », au compagnonnage avec Jésus qui fait de nous ses amis. « Je ne vous appelle plus serviteurs, mais amis » (Jn 15, 15). Cette amitié est le ressort de notre action. Elle culmine au Golgotha, aux côtés de Marie et du disciple que Jésus aimait.

Cette amitié se fonde sur le baptême et elle se déploie à partir de notre ordination pour le service de l’Eglise et du peuple qui nous est confié. Elle nous rend aussi amis, proches de tous et de chacun à partir d’un style de vie évangélique qui doit faire signe, être appelant pour autrui, manifester à l’extrême la charité du Christ qui nous a saisis et qui veut rejoindre tous les hommes, tout homme, tout l’homme pour le rapporter à son origine et à sa fin, le conduire à l’intelligence de sa propre existence.

Au cours de cette semaine sainte 2021, la Croix est plantée en pleine humanité dans un monde traversé par une crise sanitaire anxiogène avec beaucoup d’incertitudes sur aujourd’hui et sur demain ; un monde secoué par les remises en cause de ses paradigmes technologiques et de ses utopies progressistes. Et l’Eglise qui se trouve dans le monde, tout en n’étant pas de ce monde, subit elle-même de l’intérieur, et porte dans sa chair, les tragédies de notre humanité. A la fois, elle les partage, et elle y répond en plongeant jusqu’aux racines profondes des malheurs qui nous frappent, pour les rapporter à la victoire du Crucifié.

  • La Croix du Christ plantée sur le lieu de nos effondrements, de nos affaissements s’élève, comme un cri, jusqu’à Dieu. Mais elle devient la chaire à partir de laquelle le Christ nous enseigne (St Thomas d’Aquin). « L’échelle du Paradis », comme le disait le Curé d’Ars. Du haut de la Croix s’exerce le jugement du monde.

Ce n’est que lorsque nous nous trouvons à terre, littéralement parlant « a-terré », que s’échappe une supplication dont Jésus, agonisant, a fait sa prière : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Un gémissement qui en appelle à la miséricorde divine dont le Christ est à la fois pour nous l’intercesseur et le visage.

La Croix de Jésus est notre emblème. Il nous faut passer par elle. Elle atteste de notre identité sacrificielle en raison du don que nous avons fait de notre vie au Christ pour le service de nos frères et sœurs. La Croix demeure le lieu de sanctification de notre ministère. Elle signe notre enracinement dans l’Eglise qui épouse les douleurs de notre humanité sans jamais lui prêter allégeance. En même temps, en sa verticalité, la croix exprime notre élancement vers le Ciel, vers les « réalités d’en haut » dont parle St Paul. Toutes les formes d’aplatissement, d’enlisement narcissique qui nous rapatrient sur nous-mêmes, qui réduisent la vie à l’existence physique, voire à une survie sans transcendance, en raison d’une culture hygiéniste et mercantile (où tout doit être rentable et productif), réclament plus que jamais un christianisme qui atteste d’une espérance que l’homme ne peut se donner à lui-même, mais qu’il reçoit du Ciel à partir de la victoire pascale. Car sans cette victoire, notre humanité s’auto-détruit. Sans Dieu, elle s’affaisse et se dissout.

Qui d’autre que le prêtre peut énoncer cette victoire sur la mort à chaque messe qu’il célèbre ? Qui donc peut en offrir les fruits dans les sacrements qu’il propose aux fidèles comme autant de remèdes dans leur ascension vers la patrie céleste ? En unissant ses propres souffrances à celles du Christ qu’ils complètent, le prêtre est prophète d’un jout nouveau qu’ouvre l’aube pascale qu’il proclame à chaque messe.

  • La Croix signe une verticalité, mais elle suggère également une horizontalité. Les bras du Christ en agonie veulent rejoindre le monde jusqu’en son rebord, étreindre tout l’univers pour le rapporter à celui qui en est le centre et le sommet, comme chaque eucharistie le célèbre. Le geste anodin que vous effectuez, chers frères prêtres, lors de la messe, geste d’étendre les bras pour rassembler l’assemblée dans une commune prière et participation à l’offrande du Christ, exprime une posture humaine, spirituelle et ministérielle liée à votre ministère de communion. Etre prêtre, c’est d’abord mourir à notre individualité isolée. « Quand Jésus a choisi et appelé les apôtres, il les a pensés, non pas séparés les uns des autres, chacun de leur côté, mais ensemble, pour qu’ils soient avec lui, unis, comme une seule famille ». (catéchèse du pape François du 5/11/2014). « Celui qui veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même », a dit Jésus. Notre centre, c’est le Christ. Notre mission, ce sont tous les êtres humains pour en faire nos frères et sœurs. Une mission dont l’horizon s’élargit à l’universel. L’Eglise, sacrement de l’unité du genre humain, porte ce souci de l’universel dans un contexte de fragmentation, d’éparpillement, de délitement social où la communion, faute de centre de gravité, se réduit à un consensus toujours négociable (ne parle-t-on pas de « l’archipel français » ?) Comment une nation peut-elle advenir à sa vocation sans recherche d’un bien commun, d’un projet commun dont la communion eucharistique est la source et qui vient rejoindre nos aspirations les plus profondes (nos quêtes de solidarité, de pardon, de paix et de bonheur…)

La Croix de Jésus qui marque nos vies, définit notre vocation de porte-croix. Elle symbolise éminemment, non seulement la quête de transcendance en sa verticalité, non seulement la nécessité d’une communion dans un monde friable, voire éclaté, mais elle atteste du salut de Dieu qui jaillit de la mort de son Fils Bien Aimé et donne goût au monde.

Chers frères prêtres, c’est votre vie sacerdotale pétrie de louange et d’adoration, purifiée par le pardon du Seigneur, qui vous rend capable de rayonner dans l’humble service que vous êtes appelés à rendre : celui d’une charité pastorale à l’égard de tous, en particulier des plus lointains, des plus déshérités (tant sur le plan matériel que spirituel), celui d’une paternité spirituelle qui dans le chaste respect de chacun, porte le souci de faire grandir, d’accompagner, d’engendrer à la foi. La contemplation du Crucifié fortifie notre vigilance, notre endurance (Ap 13 parle de la constance des saints) pour lutter contre tout découragement, et bannir tiédeur et affadissement. Elle vous convie à devenir vous-même eucharistie comme le rappelait le pape Benoît XVI. « Devenir eucharistie, c’est le vœu et l’engagement constant du prêtre, afin que l’offrande du corps et du sang du Christ faite à l’autel, soit le sacrifice de son existence. »

Je voudrais vous exprimer ma reconnaissance pour le ministère de chacun. Vous êtes un don de Dieu pour l’Eglise, pour le monde, pour notre diocèse et j’oserai le dire aussi, pour vous-mêmes. Il vous faut vous le redire à vous-même dans la prière, le redire entre nous. Prenez soin de votre sacerdoce. Dieu se donne à vous, en vous et à travers vous. Soyez dans la gratitude pour le cadeau qu’il vous fait, sans en tirer gloriole ni suffisance. L’humilité doit être votre lot, et la joie votre héritage ; la joie de tout recevoir de Dieu, celle de tout lui rendre. La joie de donner le Christ aux hommes en vous donnant à eux, pour le soin de leurs âmes, sans retour en arrière, sans restriction et sans calcul.

+ Dominique Rey

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