Prêtre pour un triple amour

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Homélie de monseigneur Dominique Rey le 5 avril 2004 (messe chrismale)

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Chers frères prêtres,

Il nous est bon ce soir de nous redire les uns les autres, les uns aux autres, ce que nous sommes. Notre identité sacerdotale. Le ministère ordonné ne peut jamais se réduire au seul aspect fonctionnel parce qu’il se situe au niveau de l’être. Nous le referons au cours de cette messe Chrismale en renouvelant les engagements que nous avons pris au jour de notre ordination.

Vous redirez tout à l’heure votre résolution de « vivre toujours plus unis au Christ Jésus, de chercher à lui ressembler en renonçant à soi, de s’acquitter de la mission que l’Eglise vous a confiée en intendants fidèles des mystères de Dieu, d’accomplir votre ministère dans l’obéissance avec désintéressement et charité » (texte de la liturgie).

Chers laïcs, témoins de ces promesses réitérées, vous nous les rappellerez. Priez pour nous.

Vous nous demanderez d’être pour vous, ce que nous professons devant vous. Vous nous aiderez à être ce que Dieu veut que nous soyons (en nous demandant tout ce que nous pouvons vous donner en tant que prêtre). Car nous sommes aussi façonnés par vos demandes. Vos demandes nous feront devenir davantage prêtre. Alors, exigez de nous d’être des hommes de Dieu, qui parlent de Dieu non seulement dans de pieux discours, mais surtout par l’exemple. Réclamez nous d’être assidus à la prière, des lecteurs attentifs de l’Ecriture. Que la Bible soit notre livre de chevet (plus que la TV).

Que nous proclamions sans concessions, ni accommodements l’Evangile de la Vie, l’enseignement de l’Eglise. Sollicitez de nous les sacrements du Salut : l’eucharistie, la confession individuelle, l’onction des malades…

Invitez nous à ne pas rester à l’écart de notre monde sans toutefois que nous soyons tentés de nous rendre à lui. Il attend du prêtre un regard de compassion car notre humanité est fragile et blessée. Un regard d’espérance pour lui ouvrir un avenir.

Mais surtout, chers frères et sœurs, nous sommes redevables vis à vis du Christ et vis à vis de vous, d’un triple amour.

Amour de l’Eglise

Le prêtre est un homme, pas simplement « dans » l’Eglise, mais « de » l’Eglise. A juste titre, beaucoup l’identifie à elle. Et toute critique concernant l’Eglise l’atteint en retour. Il souffre avec elle des maux intérieurs à elle. Rien de ce qui la touche ne le laisse indifférent ou détaché. Il a partie liée avec elle. Elle est sa patrie. Sa terre nourricière. Elle a ravi son cœur. Il est prêt à donner sa vie pour elle, comme le Christ l’a fait pour son Corps, car elle est la matière du Royaume qui vient.

Il s’enracine dans son sol. Le prêtre est riche de ses richesses. Il apprend d’elle à vivre, et pour elle, à mourir. Grâce à elle, il lit l’Ecriture. Il aime son passé au point qu’il l’assume. Il partage ses attentes, son expérience.

A Paris, j’ai connu le drame d’un ami, prêtre, universitaire qui m’avait annoncé qu’il quittait le ministère et qu’il prenait ses distances avec l’Eglise. Au soir de son départ, il me confiait « Désormais, je ne suis plus qu’un professeur, c’est-à-dire, un homme seul ». Réflexion pathétique et si juste d’un homme qui venait de quitter sa Famille, sa Maison, et qui quelque part, se trouvait en situation d’exil et d’errance !

Oui, celui qui entend du fond de son être l’appel de Dieu et s’y livre tout entier, comprend alors qu’aucune amitié, qu’aucun amour humain, qu’aucune recherche spirituelle, intellectuelle ou artistique, qu’aucune autre aventure humaine, ou qu’aucun groupement humain ne peut assouvir la soif de communion que l’Eglise a pour vocation d’étancher. Nous sommes faits pour l’Eglise. Toute autre expérience apparaît vite décevante, impuissante à arracher l’homme à une solitude qui se creuse au fur et à mesure et que l’on se refuse ou que l’on se prive de cette communion.

En effet, Dieu ne nous a pas fait pour accomplir une destinée solitaire, mais pour être introduits ensemble dans la vie Trinitaire. Et ce rassemblement trinitaire commence ici bas dans l’Eglise.

Elle est la mystérieuse extension de la Trinité dans l’histoire des hommes. A elle, nous sommes incorporés par le baptême. Elle nous prépare à cette récapitulation de toute l’humanité en Dieu. Elle nous y fait déjà participer.

Cette Eglise « pleine de la Trinité » (Origène), la prêtre la voudrait plus active, plus pure, plus proche de la vie des hommes, des femmes, des jeunes, plus éloignée de toute compromission avec le monde, plus sainte, même si elle l’est déjà car le Christ habite en elle. Mais, il n’est pas possible de réformer l’Eglise sans commencer par soi, ni sans aimer l’Eglise, ou encore en s’enfonçant dans une critique systématique à son endroit, en s’en prenant à sa doctrine, à sa discipline, à sa hiérarchie. On peut sombrer alors peu à peu dans une dépression, une amertume, et cultiver une aigreur schizophrène : d’un côté se dire serviteur de l’Eglise, et de l’autre la railler ou la condamner.

Frères et sœurs laïcs, rappelez-nous cet amour pour l’Eglise qui est constitutif de notre état. Notre mission qui est de vous faire aimer l’Eglise, parce que, nous, on l’aime.

Frères et sœurs, nous sommes redevables d’un deuxième amour : l’Amour de notre monde

Cette Eglise que nous aimons n’est pas là pour elle-même, mais pour l’humanité. Elle n’existe dans ses institutions, sa liturgie, sa doctrine que pour que le monde devienne un espace pour Dieu. Elle est le lieu de l’alliance en Jésus-Christ entre Dieu et les hommes ? Au cœur de cette alliance, Dieu offre son amour et reçoit notre réponse.

Non, l’Eglise n’existe pas pour elle-même dans l’unique objectif d’élargir son périmètre ou de réaliser sa propre conservation. Elle a reçu du Christ une tâche vis à vis de toute l’humanité. Une responsabilité morale et spirituelle : signifier le Salut de Dieu. Une Eglise qui ne tournerait qu’autour d’elle-même, s’auto-célébrant, soucieuse d’abord de son image ou de son audience, tombe en décadence, même si elle a de grands moyens, ou une visibilité sociale.

C’est pourquoi la fécondité de l’Eglise se mesure au degré de la vitalité en elle de la présence de Dieu, de la disponibilité des communautés chrétiennes à la vie de l’Esprit, de leur fidélité au Christ.

Aimer l’Eglise, c’est entretenir la ferveur de sa prière, le zèle de son apostolat, la communion de tous les fidèles en vue d’un monde en attente de salut. La vie d’une communauté chrétienne n’est pas faite seulement de la vie religieuse qui s’y déploie. Frères prêtres, votre paroisse, c’est votre quartier, votre village. Elle est composée de beaucoup de fidèles, croyants ou pas, qui y vivent. Elle est faite des événements qui façonnent leur histoire, des joies et des détresses qu’ils connaissent, des influences qu’ils subissent. Le quartier ou le village est le lieu où s’exprime et se vit, dans toute sa complexité, sa vérité, son actualité, le mystère de l’être humain.

C’est ce monde-ci que le Christ nous invite à aimer, non pas celui que nous pourrions rêver ou imaginer, ou fuir par peur.

Frères et sœurs laïcs, apprenez-nous à découvrir et à aimer ce monde dans toute son humanité ou parfois son inhumanité, dans ses réussites ou ses échecs, dans tout ce qu’il porte de meilleur ou supporte de pire, pour y décrypter les « signes des temps », les pierres d’attente, vous qui êtes, par votre vocation, immergés dans ce monde. Aidez-nous à l’aimer de l’amour même du Christ, tel que Dieu le considère. Aidez-nous à le rendre aimable, c’est-à-dire au nom du Christ, d’inscrire en lui la vie du Ressuscité.

Aidez-nous à croire en ce monde, aimé par Dieu, qu’il est venu habiter en son Incarnation, relever par sa Rédemption, alors que tant de voix dénoncent la corruption de notre monde ou prédisent sa perte. Aidez-nous à le transformer pour qu’en lui se reflète le visage de Jésus.

Troisième tâche qui nous est assignée : « Aimer notre vocation »

Toute l’activité chrétienne se déploie nécessairement sur un fond de passivité. C’est Dieu qui se donne à nous le premier pour que nous puissions nous donner à lui en retour. La vérité du Christ ne pénètre en nous qu’en nous dépossédant nous-même, qu’au prix d’une démission, d’une mort à soi pour vivre en Lui, pour vivre de la dépendance à l’égard du Christ.

Notre ordination nous conduit à poser des actes, à prononcer des paroles, à assumer des tâches qui ne sont pas à la hauteur de nos capacités :

  • pardonner alors que nous nous découvrons nous-même pêcheur,
  • proclamer le Christ, avec des paroles balbutiantes, si loin de vivre ce que nous prêchons,
  • rassembler une communauté alors que rien de notre tempérament ou de notre caractère ne nous porte à jouer les animateurs ou que nous ne nous connaissons que si peu de charismes.
  • en élevant l’hostie, vous dire « Ceci est mon Corps » alors que nos corps sont soumis à la fragilité et au découragement, alors que nous sommes sujets à la lâcheté ou à la suffisance.

Notre mission nous projette dans l’ordre de la grâce qui dépasse infiniment nos ressources et nos talents.

On n’aime pas sa vocation sacerdotale comme on aime un métier ou une profession y cherchant une réalisation de soi, une reconnaissance morale, un retour sur investissement. On aime son sacerdoce parce qu’on aime le Christ, et que le Christ nous a choisi au-delà de tout mérite et de tout calcul pour manifester sa présence. On aime son ministère parce qu’on trouve Dieu en prêchant, parce qu’en le donnant on le reçoit.

Mais cet amour ne nous donne aucun pouvoir sur nos frères. Il ne nous donne pas le droit de les juger, de les utiliser, manipuler. Il nous rend serviteurs inutiles de nos frères, trouvant notre joie unique à leur donner le Christ pour qu’ils s’accomplissent en toute plénitude leur humanité d’enfants de Dieu.

En devenant prêtre, nous ne concevons et justifions notre mission que comme un don radical et désintéressé de nous-même.

Chers frères et sœurs laïcs, votre amour pour le prêtre que nous sommes, malgré ou plutôt à travers nos imperfections et nos péchés, réveille en nous la grâce insigne que Dieu nous a faite d’être appelé par Lui pour vous appelez à sa suite, envoyé vers vous afin de vous envoyez à votre tour au milieu de vos frères.

Votre amitié, votre affection, vos gestes de reconnaissance, votre soutien… seront l’expression sensible de votre amour qui nous aidera à croire à notre appel, à en assumer les exigences spirituelles, affectives, relationnelles, et à ne « jamais nous habituer au Mystère déposé entre nos mains ». (Jean-Paul II)

+ Dominique Rey
Messe à la cathédrale Notre-Dame de la Seds (Toulon)
5 avril 2004

 


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