Joseph, passeur d’espérance
Homélie de monseigneur Dominique Rey le 15 mars 2014 (pour le pèlerinage à Saint-Joseph)
A l’occasion de la Fête de saint Joseph et du pèlerinage diocésain à Cotignac en son honneur le samedi 15 mars 2014, monseigneur Dominique Rey a donné l’homélie reproduite ci-après.
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Joseph, passeur d’espérance
Nous avons deux manières de communiquer, dont l’une s’appelle la parole, et l’autre s’appelle le regard. Dans l’Evangile, Joseph se tait. Il s’abstient de toute parole. Il reste coi et interdit face au Verbe de Dieu, la Parole éternelle de Dieu faite chair de notre chair, qu’il contemple en Jésus, son fils adoptif.
« Celui qui se nourrit du silence de Dieu finit par comprendre à quelle profondeur on peut écouter », disait Maurice Zundel. Ce jeûne de Joseph qui ne dit mot, nous invite à nous intéresser à son regard. Joseph ne parle pas, il regarde.
Il est des regards qui toisent, d’autres qui jugent, d’autres encore qui envient, qui comparent… Il est même des regards qu’on décoche comme des flèches et qui tuent. Quel est le regard que Joseph pose sur lui-même, sur la vie, sur le monde, sur Marie et Jésus dont il est le protecteur ? C’est un regard de foi. Car la foi n’est pas aveugle. Elle commence par les yeux qui s’entrouvrent à lumière, comme le dira Jésus à l’adresse de Marthe, la sœur de Lazare. « Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ! » « Il vit et il crut », rapporte encore l’Evangile de Jean à propos du disciple bien aimé qui découvre le tombeau vide.
Le regard de Joseph considère la Providence divine qui est le croisement entre l’attente de Dieu et nos propres disponibilités. Quelle est la Providence de Dieu à son égard ? C’est sa propre élection comme l’époux de la Vierge, comme père nourricier du Messie Sauveur ; ce sont les chemins tortueux qu’il dût emprunter et qui défiaient sa raison raisonneuse (fuir précipitamment en Egypte, pour en revenir, alerté en songe). « Dieu écrit droit à partir des lignes courbes et incertaines », dit le proverbe.
Le regard de Joseph a appris peu à peu à considérer les personnes et les événements à partir de ce que Dieu veut, en eux et à travers eux, accomplir. Son regard est devenu excentré, théologal pour ne pas rester à ce que le monde appréhende à partir de ses seules lunettes. En tournant les yeux vers son enfant, Joseph a regardé le monde avec les yeux de Jésus, ces yeux qui perçoivent le secret du Royaume et la profondeur des êtres. Car ce qui se passe dans le monde, ne relève pas d’abord du monde, mais de Dieu qui s’est révélé à lui, sous les traits désarmés et désarmants d’un nourrisson fragile et innocent.
A contrario de « ceux qui vont vers la lumière, non pas pour mieux voir, mais pour mieux briller » (Nietzsche), le regard contemplatif de Joseph est chaste. Joseph laisse la clarté du Christ précéder sa route, traverser sa propre existence. Sa discipline quotidienne sera alors de regarder le monde du point de vue de Jésus, avec l’amour de Jésus. Le philosophe Lavelle définissait l’amour comme « l’attention pure à l’existence d’autrui. » Le regard de Joseph est libre de toute compromission et sans retour sur soi. Il s’affranchit des modes et de la fascination mondaine. Son regard considère, dans l’ordinaire du temps, l’action à la fois souterraine et extraordinaire de l’Esprit. Combien ce regard attentionné, modeste, nous est-il utile, précieux, aujourd’hui dans une société du spectacle qui flotte dans le narcissisme, et qui, en perdant la vision de toute transcendance, se repaît et se replie dans le culte de l’ego.
Joseph est un contemplatif mais il est aussi un marcheur, un pèlerin. La foi passe par les yeux. Elle passe aussi par les pieds. Le chemin de Dieu se découvre en cheminant à sa suite.
Joseph fuit précipitamment en Egypte avec la Sainte Famille. Il revient ensuite en Israël sur l’injonction de l’ange Gabriel ; puis il remonte à Bethléem pour se faire recenser. Le voilà, encore sur la route de Jérusalem pour la présentation au Temple de Jésus au moment de sa circoncision. Il y reviendra à l’occasion du recouvrement.
Cette itinérance continuelle inscrit Joseph dans le sillage de tous ces pèlerins qui ont marqué l’histoire du salut ; depuis l’exil d’Adam jeté hors du jardin d’Eden ; jusqu’à Abraham qui quitte son pays et sa parenté en direction d’une terre inconnue, jusqu’à Moïse qui conduit 40 années le peuple hébreu en exode dans le désert. Ce pèlerinage de Joseph, gardien de la Ste Famille, est aussi prototype et emblématique de notre route, de la route de l’Eglise avec le Seigneur et vers le Seigneur, cette route qui est également notre montée vers la Jérusalem céleste.
Pèleriner, c’est s’appuyer sur des sols qui ne seront que de passage pour sans cesse les dépasser, puisqu’ils ne sont que des tremplins, des pistes d’envol, et non pas des demeures. Poser le pied partout, en ne se reposant nulle part. Je pense à cet épisode de la Transfiguration où Pierre voulait fixer à jamais la présence de Jésus apparu en gloire, « dressons ici 3 tentes », suggèrera-t-il à Jésus. Les Evangiles notent alors sèchement : « Il ne savait pas ce qu’il disait » (Lc 9,33).
La foi trace un mouvement. Elle se pervertit dès qu’elle s’arrête, dès qu’elle se replie, telle la rivière qui devient marécage dès qu’elle stagne. Le drame de toute idolâtrie tient à cette erreur de figer la présence de Dieu pour échapper à l’incertitude du lendemain et à la tension vers l’avant de soi à laquelle la vie nous invite. Notre tentation sera alors de fixer, de capturer l’image de Dieu dans des objets sacrés, des impressions subjectives ; comme les Hébreux au désert qui voulaient représenter Dieu, dont ils ne voyaient pas le visage, par un veau d’or, un animal domestique que l’on peut conduire à sa guise. Joseph nous enseigne que l’on ne peut rejoindre Dieu que dans le mouvement par lequel il se donne ; par lequel il nous entraîne ailleurs, toujours plus loin. La Bible de Chouraqui traduit les « Béatitudes » par « en marche ».
Pour être vivant, l’homme a besoin du pèlerin qui est en lui. Il doit toujours advenir, consentir à des déplacements intérieurs. « La foi est la disposition à se laisser transformer », disait récemment le Pape François. Il doit se mettre en route, laisser derrière lui ce qui lui est familier et acquis. Sinon il s’engourdit intérieurement. Non, on ne possède pas Dieu. Mais on va sans cesse à sa rencontre. Ma vocation est toujours devant moi.
Contemplatif et pèlerin, Joseph est aussi un éducateur. Sa responsabilité paternelle consiste à initier Jésus à son humanité, par l’apprentissage de la langue, la transmission de la culture juive, la connaissance des rites et des coutumes religieuses de son temps, l’expérience du travail de charpentier.
Nazareth est une école de vie et d’intégration sociale. Autrefois, on appelait l’instituteur le « maître ». C’est dire combien l’acte éducatif appelle l’exercice d’une autorité. Étymologiquement, le mot « autorité » signifie « ce qui fait grandir ». Elle est donc service. Elle se fait charité. La paternité de Joseph revendique son propre effacement puisque prévaut le souci prioritaire de l’avènement de Jésus et du déploiement de sa mission salvifique.
Toute paternité est source de joie. Dans la vie du philosophe Pascal racontée par sa sœur, Etienne Pascal le père du philosophe, vit son fils Blaise, à 12 ans, redécouvrir le théorème d’Euclide. Il pleura, nous dit-on, non pas de surprise mais de joie. Ses pleurs venaient de ce que le père saisissait, alors, que son fils le dépassait en raison. La paternité de Joseph relève d’une relation obéissante à Dieu dans laquelle prévaut l’humilité de celui qui se soumet à un enfant qui se manifeste comme plus grand que lui. Joseph a su créer les conditions aimantes pour révéler à son enfant sa propre dignité, sa promesse. L’autorité de Joseph sera assez désintéressée pour ne pas occuper lui-même la place du vrai et du bien. Comme le dira Jésus à Pilate, « il sait que son pouvoir lui a été donné d’en haut » (Jn 19, 11). Ainsi, paradoxalement, sa paternité programmera, comme sa plus grande réussite, sa propre disparition, lorsque l’enfant adviendra à sa pleine maturité. Joseph pourra alors faire sienne les paroles du Baptiste, « il faut qu’il grandisse et que moi, je diminue ».
Les pédopsychiatres soulignent que la mère et le père ont des rôles complémentaires dans la construction psychique d’un enfant. « Le maternel se situe davantage dans le registre de l’intime, de l’enveloppement affectif, de l’intérieur. Le paternel lui, se situe du côté de l’ouverture au monde, de la socialisation, de l’extérieur » (Marcel Rufo). Joseph est un passeur. A l’école rude et humble de Nazareth, il opère le passage (la Pâque) de Jésus de l’intimité chaleureuse de Bethléem à son ministère public en Palestine.
Chers pères de famille, Joseph vous apprend le métier de père. Alors que nous sommes plongés dans un climat de confusion des genres (face à l’éclatement des structures familiales) ; immergés dans un contexte qui privilégie l’émotionnel, le ressenti, la fuite du réel dans le virtuel (celui du sexe, de la drogue, ou d’internet) ; soumis à la promotion des relations maternisantes chaudes et courtes où prime le culte consumériste de l’ego (« consommez et jouissez », clame la pub), Joseph, l’homme juste, aide chaque père de famille à reconquérir sa mission éducative, mais aussi sa masculinité, sa virilité, qui est cette subtile conjugaison de force et de tendresse, de courage et d’infinie confiance en Dieu.
+ Dominique Rey
Pèlerinage diocésain au Bessillon (Cotignac) en la fête de saint Joseph
15 mars 2014
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