Ordinations presbytérales et diaconales du 27 juin 2021 : homélie de Mgr Rey

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Six hommes choisis par Dieu et qui dans quelques instants, par l’imposition des mains, vont devenir des « pères ». En cette année que le pape François a voulu placer sous la protection de st Joseph, et en notre diocèse consacré au saint patron de la famille de Nazareth, qui est apparu en 1660 à Cotignac, nous demandons à Saint Joseph d’inspirer par son exemple et de conduire par son intercession, tous ces séminaristes vers cette paternité spirituelle à laquelle les destine ce sacrement de l’Ordre qu’ils vont recevoir.

Le contexte actuel atteste d’une destitution, de la délégitimation de la figure paternelle, réduite soit au « bisounours » candide et invertébré, dans une société maternisante et protectrice, soit à la figure castratrice et aliénante qui écrase par excès d’autoritarisme. Mais bien souvent, on se trouve face au père « absent » en raison de ruptures familiales, désengagé, devenu un grand frère, plus confident que référent.

Dans une société qui disqualifie l’autorité et qui est marquée par des ruptures anthropologiques profondes et une crise éducative, chers ordinands, vous aurez à trouver, à intérioriser, à assumer votre rôle de père.

« On ne naît pas père, on le devient », disait le pape François. Et il ajoutait : « On ne devient pas père seulement parce qu’on met au monde un enfant, mais aussi parce qu’on prend soin de lui de façon responsable ».

Jésus lui-même, a placé les débuts de sa mission, qui commence par l’Incarnation, sous la vigilance et la protection de Saint Joseph. Cet homme juste, doux et fort à la fois.

Qu’est-ce que Saint Joseph nous apprend comme prêtre, dans l’exercice de votre paternité ? Il nous enseigne à l’école de Nazareth, que toute paternité s’exerce en vue d’un enfantement. « Je suis venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait en abondance », dira Jésus (Jn 10, 10). Alors que la maternité constitue un acte d’incarnation au sens premier du terme (prendre chair de la chair, et dans la chair de notre mère), la paternité relève d’un acte d’adoption qui signifie accueil, reconnaissance. La mère « connaît » de l’intérieur un sens étymologique du verbe con-naître. D’elle, l’enfant naît. Le père, lui, « reconnaît » et dans la tradition juive (que rapporte l’Évangile à propos de Joseph), il donne le nom, c’est-à-dire l’identité, la singularité de l’enfant. Son existence à nulle autre pareille.

Comme tout père, le prêtre a le souci de donner la vie, la vie de Dieu, et de donner au baptême à chacun (à l’appel du prénom choisi par les parents) le nom de Dieu, c’est-à-dire de rapporter cet enfant à Celui qui en est le Créateur et le Rédempteur.

C’est par l’annonce de la Parole de Dieu (Parole de Vie) par la célébration des sacrements qui communiquent la grâce de Dieu, que le prêtre exerce en premier lieu sa paternité.

La tentation de l’homme post-moderne est de vouloir se construire par lui-même, de s’auto-réaliser, en donnant libre cours à ses envies narcissiques et aux utopies technologiques censées créer un monde meilleur. En réalité, il sacralise ainsi son ego.

Dans l’ordre naturel, on ne décide pas par soi-même de naître. On reçoit la vie de deux êtres, ses parents, qui se sont donné l’un à l’autre, corps et âme. Leur amour les féconde. La vie de Dieu, elle aussi, se reçoit par la médiation d’un autre, un prêtre. Saint Paul, dans sa première lettre aux Corinthiens, osera cette formule audacieuse (1 Cor 4, 15) : « C’est moi, dit-il, qui vous ai engendrés dans le Christ Jésus ». À la suite du Christ, le prêtre lui aussi, donne sa vie pour donner la vie de Dieu. Cet enfantement prend tout lui-même, tout son temps, toutes ses énergies, toutes ses prières.

À l’instar de chaque père de famille, la paternité spirituelle du prêtre ne s’exerce pas à temps partiel, elle ne se résume pas simplement à quelques conseils, quelques séquences… elle se joue au quotidien par une imitation du Christ qui inspire son style de vie, par un dévouement sans faille, une qualité de présence à tous et à chacun.

« Le père n’est pas un expert ». Cette paternité spirituelle s’apprend et s’éprouve à partir de notre propre expérience familiale ou grâce à la présence tutélaire de prêtres qui nous accompagnent, ou dont le message de sainteté et de paternité a pu profondément nous marquer et nous édifier. La paternité requiert de trouver le juste positionnement. Cette paternité ne doit pas être invasive, intrusive, accaparante, voire hégémonique (l’Église prête attention aujourd’hui aux abus de pouvoir qui ont pu salir son témoignage).

Cette paternité ne doit pas a contrario se faire distante, lointaine, au point où l’on ne voit plus le prêtre que comme un prestataire de services cultuels, un fonctionnaire du sacre, voire un « mercenaire » dit l’Écriture. La spécificité de la paternité du prêtre est qu’elle ne s’arrête pas à elle-même. Elle renvoie à plus grand qu’elle, à la paternité de Dieu qui est la source de toute paternité. Jésus appelle lui-même ses disciples : « mes enfants, mes petits-enfants » (Mc 10, 24 et Jn 13, 33). Mais il ne nous adopte que pour nous rapporter à l’ultime paternité divine. « La paternité n’est pas un exercice de possession, mais renvoie à une paternité plus haute » (François). Comme le démontre Jésus quand il déclare : « Tout pouvoir m’a été donné d’en haut » (Jn 19, 11)

La paternité du prêtre ne peut être close sur elle-même. Elle doit être assez humble pour ne pas occuper la place du vrai et du bien. « N’appelez personne sur terre, père ou maître », avertira Jésus à ses disciples (Mt 23, 9). À son école, le prêtre s’efface devant l’autorité de Dieu, celui auquel il est lui-même soumis.

En définitive, la paternité du prêtre revendique son propre effacement et porte le souci prioritaire de l’avènement de ceux que l’Église lui confie en vue de l’accomplissement plénier de leur vocation d’enfant de Dieu.

L’étymologie du mot autorité signifie « faire grandir ». La paternité du prêtre a pour vertu de faire croître la vie divine. De faire de nous des fils de Dieu et entre nous, des frères. De ce point de vue, la mission paternelle du prêtre est d’engendrer aussi une fraternité, une communion, comme tout père qui cherche à cultiver un esprit de famille au sein de la fratrie.

Nous voyons éclore dans notre société individualiste où le tissu conjonctif s’est déchiré, des regroupements de plus en plus affinitaires : communautés numériques, corporations sportives, associations culturelles… Des personnes se choisissent autour d’intérêts communs partagés.

L’Église, elle, rassemble des personnes qui ne se sont pas choisies entre elles, parce qu’elles sont choisies par Dieu. Et la vocation du prêtre est précisément « d’incorporer » au Christ par le baptême, d’agréger à l’Église, d’accompagner, d’intégrer toujours plus profondément des personnes si différentes dont le seul dénominateur commun est le Christ. Une Église ouverte à ce que qui n’est pas encore l’Église.

En raison de sa paternité, le prêtre porte le souci de cette ouverture, de la croissance théologale et missionnaire de l’Église, de son déploiement jusqu’aux frontières du monde, jusqu’en ses périphéries.

Le père engendre, mais aussi il nourrit. L’expérience de Joseph, père nourricier de la sainte Famille de Nazareth, inspire le chemin que tout prêtre doit emprunter comme « père » : donner une nourriture solide, celle de la Parole de Dieu, celle de l’enseignement de l’Église qui s’en inspire, celle des sacrements, en particulier de l’eucharistie qui est du pain par lequel Jésus a voulu actualiser, réaliser sa présence jusqu’à ce qu’Il vienne dans la gloire.

La paternité du prêtre passe par ce qu’il donne, mais aussi par ce qu’il est. Ce que Dieu a accompli en lui, en son être, en sa chair, en son esprit. De même, sa charité doit considérer chacun, quel que soit son itinéraire, à partir de ce que Dieu a déjà accompli en lui et de ce qu’il veut encore réaliser.

La paternité du prêtre passe par le regard qu’il pose. Regard désintéressé, provident, chaste, libre, qui n’emprisonne pas, mais libère du fatalisme et qui est rempli d’espérance et de miséricorde. Un regard de père prodigue, et qui sait que l’amour de Dieu est toujours plus grand que ce qui nous sépare de Lui.

En raison de sa paternité, le prêtre est un éducateur. À l’instar de Saint Joseph qui a appris à Jésus son humanité, sa judaïté, chaque prêtre enseigne le Christ, à le rencontrer, à le connaître, à l’aimer. L’Église est une école. Elle nous offre des repères sûrs qui nous épargnent de tout réinventer par nous-mêmes. La mission du prêtre est d’éclairer, de purifier notre intelligence à la lumière de ce qu’elle a appris du Christ dans la Tradition de l’Église la plus profonde.

Notre enfance en témoigne. La mère qui accueille en son sein, porte dans ses bras, cajole, couvre de baiser, personnifie la tendresse, la consolation. Le père initie une séparation dans ce lien duel, fusionnel de la mère avec l’enfant. Il incarne un appel à sortir de soi, à se dépasser. Il est un passeur, qu’illustre Saint Christophe portant sur ses épaules un enfant pour le faire traverser le fleuve vers l’autre rive. Image du Christ qui dans sa Pâque, nous fait passer jusqu’à une autre dimension de notre vie, vers le Royaume où Il nous précède.

Dans le récit de la Genèse, cette pédagogie de la séparation est inscrite dans le processus de Création. Dieu sépare la lumière des ténèbres ; les eaux du Ciel, de celles de la terre ; « ish » (homme) de « isha » (femme) le sixième jour. Mais aussi Abraham entend Dieu lui dire : « Quitte ton pays ».

L’enfantement de soi-même à Dieu et en Dieu appelle toujours une séparation, une sortie de soi. Dans les douleurs d’un accouchement, se déroule un combat avec Dieu (non pas contre Dieu) sur les traces de Jacob, Job, Moïse… De ces luttes, l’homme sort béni et transformé. L’étreinte avec Dieu est à la fois douce et douloureuse. Elle passe par la Croix.

La paternité du prêtre passera aussi par le chemin du Golgotha : la fécondité du pasteur est sacrificielle pour lui-même et aussi pour ceux et celles qu’Il guide sur ce chemin pascal.

Chers ordinands, que Saint Joseph éclaire, inspire la paternité que Dieu vous confie ! À son école de sainteté et de service, que votre paternité fasse la joie de Dieu et du peuple de Dieu qu’il vous confiera !

+ Dominique REY
27 juin 2021
La Castille

Homélie en vidéo :

 

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